— C’est le 15 novembre. L’anniversaire de Shapely. Un truc à voir. Une sorte de carnaval. Beaucoup de jeunes se foutent à poil, mais avec le temps qu’il fait en ce moment je ne sais pas. On se verra peut-être. Saluez Skinner de ma part.
— D’accord, je le saluerai, fit Yamazaki en souriant tandis que Fontaine poursuivait son chemin, l’arc-en-ciel de son bonnet au crochet restant longtemps visible dans la foule.
Yamazaki se dirigea vers l’étal du marchand de café. Il se souvint de la procession funèbre et du personnage sautillant tout en rouge, avec son fusil rouge. Le symbole de la disparition de Shapely.
Le meurtre – certains disaient le sacrifice – avait eu lieu à Salt Lake City. Les sept tueurs, des intégristes lourdement armés appartenant à une secte de Blancs racistes rentrés dans la clandestinité à la suite de l’attaque de l’aéroport, étaient toujours emprisonnés dans l’Utah, à l’exception de deux d’entre eux, morts des suites du sida, peut-être contracté en prison, après avoir refusé obstinément d’être soignés par le traitement qui portait le nom de leur victime.
Ils n’avaient rien dit pour se défendre durant le procès. Leur chef se contentant de répéter que la maladie était la vengeance exercée par Dieu sur les pêcheurs et les impurs. Ils étaient maigres, le crâne rasé, le regard vide et implacable. C’étaient les justiciers de Dieu, et ils resteraient dans l’histoire, pour l’éternité, avec ce même regard.
Shapely était mort riche, se disait Yamazaki en prenant sa place dans la file d’attente pour le café. Peut-être même était-il mort heureux. Il avait vu le produit de son sang inverser le cours de ténèbres. Il y avait d’autres calamités dans le monde, mais le vaccin élaboré à partir de son virus avait sauvé des millions et des millions de vies.
Yamazaki se promit d’assister au défilé célébrant la naissance de Shapely. Il ne faudrait pas qu’il oublie de prendre le bloc-notes.
Humant l’arôme du café fraîchement moulu, il attendit patiemment son tour.