Elle renifla. « Y a quelque chose qui crame, dit-elle.
— Ils ont aussi allumé un feu de joie », expliqua Magrat.
Mémé renifla encore. « Ils font griller de l’ail ? fit-elle.
— Je sais. Je vois pas pourquoi. Ils arrachent tous les volets aux fenêtres pour les brûler sur la place, et ils dansent autour du feu. »
Mémé Ciredutemps décocha un méchant coup de coude à Nounou Ogg. « Réveille-toi.
— Wstph ?
— J’ai pas fermé l’œil de la nuit, avec ses ronflements », fit Mémé d’un ton de reproche.
Nounou Ogg souleva prudemment les couvertures. « L’est beaucoup trop tôt pour que ce soit déjà le matin, dit-elle.
— Allez, répliqua Mémé. On a besoin de tes connaissances en langues. »
Le patron de l’auberge battit des bras et courut en rond. Puis il montra du doigt le château qui se dressait au-dessus de la forêt. Il se suça ensuite vigoureusement le poignet. Enfin il s’écroula sur le dos. Il regarda alors Nounou Ogg, de l’espoir dans l’œil, tandis que derrière lui le feu d’ail, de pieux et de lourds contrevents flambait joyeusement.
« Non, fit Nounou au bout d’un moment. Toujours non comprendé, maille nerf. »
L’homme se remit debout avant d’épousseter de la main sa culotte de peau.
« Il dit que quelqu’un est mort, je crois, suggéra Magrat. Quelqu’un dans le château.
— Ben, faut reconnaître, ç’a l’air de faire plaisir à tout le monde », dit Mémé Ciredutemps d’un ton sévère.
À la lumière du jour nouveau, le village paraissait beaucoup plus gai. Tout le monde hochait joyeusement la tête à l’adresse des sorcières.
« Sans doute parce que c’était le propriétaire, dit Nounou Ogg. Il leur suçait carrément le sang, qu’il dit, j’crois bien.
— Ah. Ça doit être ça, alors. » Mémé se frotta les mains et posa un regard approbateur sur la table du petit-déjeuner qu’on avait sortie au soleil. « En tout cas, on va sûrement mieux manger. Passe le pain, Magrat.
— Ils arrêtent pas de nous faire des sourires et des gestes de la main, dit la jeune sorcière. Et regardez-moi toutes ces victuailles !
— Fallait s’y attendre, répliqua Mémé, la bouche pleine. On est là que depuis hier soir et ils comprennent déjà que ça porte chance de bien traiter les sorcières. Aide-moi donc à ouvrir ce pot de miel. »
Sous la table, Gredin procédait à sa toilette, assis sur son derrière. De temps en temps il lâchait un rot.
Les vampires sont capables de revenir de la mort, de la tombe et du caveau, mais jamais d’un chat.
Cher Jason et tout ceux des nos21, 34, 15, 87 et 61 mais pas du 18, tant qu’elle m’aura pas rendu le bol qu’elle ma bélébien emprunté, malgré ce qu’elle peut dire.
Voilà, ça y est, bon sang quelle rigolade, me parlé plus de sitrouilles, enfin, y a pas de mal. Je vous fais un dessein de l’oberge où on a dormi hier soire et j’ai mis une crois sur notre chambre là où elle est. Il fait…
« Qu’est-ce que tu fiches, Gytha ? On est prêtes à partir. »
Nounou Ogg leva les yeux, la figure encore creusée par l’effort que lui coûtait la rédaction de son courrier.
« Je m’suis dit que ce serait bien d’envoyer un mot à mon Jason. Tu comprends, pour plus qu’il s’inquiète. Alors j’ai dessiné l’auberge sur un bout de carton et Maille Nerf, là, va la donner à quelqu’un qui passera par chez nous. On sait jamais, ça pourrait arriver. »
… toujours bau.
Nounou Ogg suça le bout de son crayon. Une fois de plus dans l’histoire de l’univers, une personne qui n’avait d’ordinaire pas plus de mal à communiquer qu’à rêver tomba en panne d’inspiration au moment de rédiger quelques lignes au dos d’une carte.
Voilà, c’est à peu près tout pour auge hourdui aujour dhuit, j’écrirai encore bien tôt. MAM.
P.-S. Le chat a l’aire trait fatigué, je crois que la maison lui manque.
« Tu viens ou quoi, Gytha ? Magrat est en train d’mettre mon balai en route. »
P.-P.-S. Mémé vous fait une grosse bize.
Nounou Ogg se renversa sur son siège, consciente et ravie d’avoir accompli du bon travail[14].
Arrivée au bout de la place, Magrat s’arrêta pour se reposer.
De nombreux spectateurs s’étaient regroupés afin de voir une femme avec des jambes. Ils restaient très polis sur le sujet. Par certains côtés, elle trouvait ça pire.
« Pour qu’il vole, faut courir très vite », fit-elle en se rendant compte au même moment combien son explication était idiote, surtout pour des oreilles habituées à une langue étrangère. « Et s’y reprendre à plusieurs fois. Je crois qu’on appelle ça un départ en quatre strophes. »
Elle prit une inspiration profonde, fronça les sourcils pour mieux se concentrer et se lança encore en avant.
Cette fois, l’engin démarra. Il tressauta dans ses mains. Les brins émirent un bruissement. Elle réussit à le mettre au point mort avant qu’il risque de la traîner par terre. Le balai de Mémé Ciredutemps – un très vieux modèle qui datait d’une époque où les balais se fabriquaient pour durer et non pour tomber en poussière, mangés par les vers, au bout de dix ans – avait une particularité : si le démarrage était difficile, une fois parti, il ne chômait pas en route.
Magrat avait un jour songé à expliquer le symbolisme du balai de sorcière à Mémé Ciredutemps et y avait renoncé. Elle aurait eu droit à un savon pire que le jour où elle avait évoqué la signification de l’arbre de mai.
Le départ prit un certain temps. Les villageois insistèrent pour leur donner quelques bricoles à manger. Nounou Ogg fit un discours que personne ne comprit mais que tout le monde applaudit. Gredin, régulièrement secoué d’un hoquet, se laissa glisser à sa place habituelle au milieu des brins du balai de sa maîtresse.
Alors qu’elles s’élevaient au-dessus de la forêt, une fine volute de fumée monta aussi du château. Puis des flammes.
« Je vois des gens qui dansent devant, dit Magrat.
— C’est toujours dangereux de louer à des gens, fit Mémé Ciredutemps. J’imagine qu’il a dû traîner pour refaire la décoration, réparer le toit et le reste. On les prend en grippe, les proprios. Le mien, il a jamais levé le p’tit doigt pour ma chaumière depuis tout l’temps que j’y habite, ajouta-t-elle. Une honte. Me faire ça à moi, une vieille femme.
— Je croyais que la chaumière était à vous, dit Magrat tandis que les balais s’éloignaient au-dessus de la forêt.
— Ça fait soixante ans qu’elle paye pas de loyer, c’est tout, expliqua Nounou Ogg.
— Est-ce que c’est ma faute, à moi ? fit Mémé Ciredutemps. J’y suis pour rien. Je demande qu’à payer, moi. » Ses lèvres s’étirèrent lentement en un sourire plein d’assurance. « C’est lui qui demande pas », ajouta-t-elle.
14
Nounou Ogg envoya un grand nombre de cartes postales à sa famille, mais aucune ne parvint à destination avant son retour. Le phénomène, classique, se reproduit partout dans l’univers.