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« Ks’est passé ? fit-elle. Ks’est passé ?

— Une ferme vous est tombée sur la tête, répondit Magrat.

— Oh. C’est des choses qui arrivent », commenta distraitement Nounou.

Mémé la saisit par les épaules.

« Gytha ? Combien de doigts tu vois ? demanda-t-elle aussitôt.

— Quels doigts ? Fait tout noir. »

Magrat et Mémé empoignèrent le chapeau par le bord et, tantôt tirant, tantôt dévissant, libérèrent la tête de Nounou. Laquelle les regarda en clignant des yeux.

« C’est le renfort en osier », dit-elle tandis que le chapeau pointu reprenait en grinçant sa forme primitive comme un chapeau claque. Elle vacillait doucement. « Ça bloque un coup de marteau, un chapeau renforcé d’osier. Les entretoises, voyez. Ça répartit les forces. J’vais envoyer un mot à monsieur Vernissage. »

Magrat, ébahie, faisait des yeux le tour de la maisonnette.

« Elle est tombée du ciel, comme ça ! dit-elle.

— Y a peut-être eu une tornade, un truc de ce genre-là, quelque part, dit Nounou Ogg. Elle a soulevé la maison, voilà, puis le vent est retombé et la maison aussi. On voit de drôles de choses par grand vent. Vous vous souvenez de la bourrasque qu’on a eue l’année dernière ? J’ai une poule qu’a pondu le même œuf quatre fois.

— Elle radote.

— Pas du tout, je cause comme d’habitude », répliqua Nounou.

Mémé Ciredutemps jeta un coup d’œil dans une pièce. « J’imagine qu’y a rien à manger ni à boire dans cette baraque ? fit-elle.

— J’crois que j’boirais bien une p’tite goutte, moi », dit aussitôt Nounou.

Magrat leva la tête vers le haut des marches. « You-hou, lança-t-elle de la voix étranglée de qui veut se faire entendre sans élever la voix, ce qui serait mal élevé. Y a quelqu’un ? »

Nounou, quant à elle, regarda sous l’escalier. Gredin : une boule de fourrure tapie dans un angle. Elle le sortit par la peau du cou et lui donna une petite tape d’un air un peu hébété. Malgré le chef-d’œuvre de monsieur Vernissage en chapellerie féminine, malgré le plancher vermoulu et même malgré le crâne à l’épaisseur légendaire des Ogg, elle ne se sentait pas dans sa tasse de thé et sa nature d’ordinaire au beau fixe souffrait d’une vague mélancolie teintée de mal du pays. Chez elle, on ne lui tapait pas sur le crâne à coups de ferme.

« Tu sais, Gredin, dit-elle, j’crois pas qu’on soit à Lancre.

— J’ai trouvé de la confiture », annonça Mémé Ciredutemps depuis la cuisine.

Il ne fallait pas grand-chose pour remonter le moral de Nounou Ogg. « Très bien, lança-t-elle. Ça sera excellent sur le pain de nain. »

Magrat refit son apparition.

« Je sais pas si on peut se servir dans les réserves des autres, fit-elle. J’veux dire, cette maison appartient forcément à des gens.

— Oh. Quelqu’un a parlé, Gytha ? » demanda Mémé Ciredutemps d’un air condescendant.

Nounou riboula des yeux.

« Je disais seulement, Nounou, fit Magrat, que c’est pas notre propriété.

— Elle dit que c’est pas à nous, Esmé, répéta Nounou.

— Dis à qui veut le savoir, Gytha, que c’est comme de la récupération après un naufrage, fit Mémé.

— Elle dit que c’est à qui l’trouve, Magrat », transmit Nounou.

Quelque chose passa en voltigeant devant la fenêtre. Magrat s’approcha et regarda dehors par le carreau sale.

« C’est rigolo. Y a tout un tas de nains qui dansent autour de la maison.

— Ah bon ? » fit Nounou en ouvrant un placard.

Mémé se raidit. « Est-ce qu’ils… J’veux dire, demande-lui s’ils chantent, dit-elle.

— Ils chantent, Magrat ?

— J’entends quelque chose, répondit Magrat. Ça ressemble à “Dingdong, dingdong”.

— Ça, c’est bien une chanson de nains, commenta Nounou. Y a qu’eux pour tenir toute une journée avec « hi-ho ».

— Ils ont l’air drôlement contents, poursuivit Magrat d’une voix indécise.

— C’était peut-être leur ferme, alors ils sont contents de la récupérer. »

On tambourina à la porte de derrière. Magrat l’ouvrit. Une bande de nains vêtus de couleurs vives, l’air embarrassés, reculèrent en vitesse puis l’examinèrent, la tête levée.

« Euh… fit celui qui semblait le chef, est-ce que… est-ce que la vieille sorcière est morte ?

— Quelle vieille sorcière ? » demanda Magrat.

Le nain la fixa un moment, bouche bée. Il se retourna et consulta ses collègues à voix basse. Puis il lui refit face.

« Combien vous en avez ?

— Deux au choix », répondit Magrat. Elle ne se sentait pas de très bonne humeur ni disposée à soutenir la conversation plus que nécessaire. Une méchanceté qui ne lui ressemblait pas lui fit ajouter : « D’autres questions ?

— Oh. » Le nain réfléchit. « Ben, sur quelle vieille sorcière elle est tombée, la maison ?

— Nounou ? Non, elle est pas morte. Juste un peu étourdie. Mais merci tout de même de vous en inquiéter. C’est très gentil de votre part. »

Les nains parurent déconcertés. Ils se regroupèrent pour se lancer dans une dispute sotto voce.

Puis le chef des nains refit face à Magrat. Il ôta son chapeau qu’il tourna et retourna nerveusement dans ses mains.

« Euh… dit-il, on peut avoir ses bottines ?

— Quoi ?

— Ses bottines ? répéta le nain en rougissant. On peut les avoir, s’il vous plaît ?

— Vous voulez ses bottines pour quoi faire ? »

Le nain la regarda. Puis il se retourna pour un autre conciliabule avec ses collègues. Il refit encore face à Magrat.

« On a… l’impression qu’on doit lui prendre ses bottines », dit-il.

Il l’observait en clignant des yeux.

« Bon, je vais demander, dit Magrat. Mais ça m’étonnerait qu’elle accepte. »

Alors qu’elle allait fermer la porte, le nain tortilla un peu plus son chapeau.

« Elles sont bien couleur de rubis, hein ? demanda-t-il.

— Ben, elles sont rouges, répondit Magrat. Ça va, rouge ?

— Faut qu’elles soient rouges. » Tous les autres nains opinèrent. « Ça ne colle pas si elles sont pas rouges. »

Magrat lui jeta un regard vide et referma la porte.

« Nounou, dit-elle lentement une fois de retour dans la cuisine, y a des nains dehors qui veulent vos chaussures. »

Nounou leva la tête. Elle avait trouvé une miche rassise dans un placard et mastiquait laborieusement. C’est incroyable ce qu’on accepte de manger quand on n’a d’autre choix que le pain de nain.

« Les veulent pour quoi faire ? dit-elle.

— L’ont pas dit. Seulement qu’ils avaient l’impression de vouloir vos chaussures.

— Ça me paraît sacrément louche, fit Mémé.

— Le vieux Cornet Ouistelet, du côté des Sources-Casier, était un dingue des bottines, dit Nounou qui reposa le couteau à pain. Surtout des bottines à boutons noirs. Il en faisait la collection. Dès qu’il te voyait passer avec une nouvelle paire, fallait qu’il courre s’allonger.

— Je trouve ça un peu sophistiqué pour des nains, dit Mémé.

— Ils veulent peut-être boire dedans, fit Nounou.

— Comment ça, boire dedans ? demanda Magrat.

— Ah, ben, c’est ce qu’ils font dans les pays étrangers, répondit Nounou. Ils boivent du vin pétillant dans des chaussures de dame. »

Toutes baissèrent les yeux sur les bottines de Nounou.