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— Comment ça se fait que vous soyez dans la garde du palais, Casanabo ?

— Le soldat de fortune accepte toutes les occasions qui se présentent, madame Ogg, répondit Casanabo d’un ton sérieux.

— Mais tous les autres font un mètre quatre-vingts, et vous… vous êtes d’un genre plus petit.

— J’ai menti sur ma taille, madame Ogg. Je suis un menteur célèbre dans le monde entier.

— C’est vrai ?

— Non.

— Et pour ce qui est du plus grand amant du monde ? »

Suivit un silence.

« Ma foi, je ne suis peut-être que le deuxième, répondit Casanabo. Mais je fais davantage d’efforts.

— Est-ce que vous pouvez aller nous chercher une lime, quelque chose comme ça, monsieur Casanabo ? suggéra Magrat.

— Je vais voir ce que je peux faire, mademoiselle. »

La figure disparut.

« On pourrait peut-être demander à des gens de venir nous voir et on s’échapperait dans leurs vêtements ? proposa Nounou Ogg.

— Ça y est, je m’suis enfoncée l’épingle dans le doigt, grommela Mémé Ciredutemps.

— Ou on pourrait demander à Magrat de séduire un des gardes, fit Nounou.

— Pourquoi pas vous ? répliqua Magrat aussi méchamment qu’elle put.

— D’accord. Je marche.

— La ferme, vous deux, ordonna Mémé. J’essaye de réfléchir… »

Il y eut un autre bruit à la fenêtre.

C’était Legba.

Le coq noir fouilla un moment des yeux le local entre les barreaux puis s’en repartit en voltigeant.

« M’flanque les chocottes, celui-là, dit Nounou. J’peux pas le regarder sans penser avec nostalgie à d’la sauge, des oignons et d’la purée. »

Son visage ridé se rida davantage.

« Gredin ! s’exclama-t-elle. On l’a laissé où ?

— Oh, c’est qu’un chat, fit Mémé Ciredutemps. Les chats savent se débrouiller tout seuls.

— C’est qu’un gros bébé… » commença Nounou, mais quelqu’un entreprit de défoncer le mur.

Un trou apparut. Une main grise surgit et empoigna un autre moellon. Une forte odeur de vase envahit le cachot.

La pierre s’émietta sous les doigts puissants.

« Mesdames ? s’enquit une voix sonore.

— Ben, monsieur Saturday, fit Nounou, je revis… sauf votre respect, ’videmment. »

Saturday grogna quelque chose et s’éloigna.

On tambourina à la porte et on se mit à tripoter des clés.

« Faut pas moisir ici, dit Mémé. Venez. »

Elles s’aidèrent à passer par le trou.

Saturday, à l’autre bout d’une petite cour, se dirigeait à grands pas vers les flonflons du bal.

Et quelque chose derrière lui s’étirait comme la queue d’une comète.

« C’est quoi, ça ?

— Un coup à madame Gogol », répondit Mémé Ciredutemps d’un air sombre.

Dans le sillage de Saturday, de plus en plus large à mesure qu’il sinuait à travers le parc du palais vers l’entrée principale, s’écoulait un flot d’obscurité plus profonde. À première vue, on croyait y reconnaître des silhouettes, mais un examen plus attentif révélait qu’il s’agissait plutôt de suggestions de silhouettes qui se formaient et se reformaient. Des yeux luisaient fugitivement dans le remous. On entendait grésiller les grillons et miauler les moustiques, on sentait l’odeur de la mousse et les remugles de la vase.

« C’est le marais, dit Magrat.

— Plutôt l’idée du marais, précisa Mémé. Ce qui vient d’abord, avant le marais lui-même.

— Oh là là », fit Nounou. Elle haussa les épaules. « Bon, Illon s’est sauvée et nous aussi, c’est donc le moment de l’histoire où on s’échappe, c’est ça ? C’est ce qu’on est censées faire. »

Aucune d’elles ne bougea.

« Ils sont pas très sympathiques, ces gens-là, dit Magrat au bout d’un moment, mais ils méritent pas les alligators.

— Vous autres, les sorcières, vous restez où vous êtes », lança une voix dans leur dos. Une demi-douzaine de gardes étaient regroupés autour du trou dans le mur.

« La ville, c’est quand même plus animé, dit Nounou en extirpant une autre épingle de son chapeau.

— Ils ont des arbalètes, prévint Magrat. On peut pas faire grand-chose contre des arbalètes. Les armes de jet, c’est la leçon sept et j’suis pas encore arrivée là.

— Ils peuvent pas appuyer sur la gâchette s’ils croient avoir des nageoires, dit Mémé d’une voix menaçante.

— Attends, dit Nounou, on a pas besoin de ça, tout de même ? Tout le monde sait que les gentils gagnent toujours, surtout contre un adversaire plus nombreux. »

Les gardes émergèrent du trou.

À cet instant une grande forme noire tomba silencieusement du mur derrière eux.

« Tenez, fit Nounou, je l’avais bien dit qu’il resterait pas loin de sa maman, pas vrai ? »

Un ou deux gardes s’aperçurent qu’elle fixait fièrement quelque chose dans leur dos et se retournèrent.

Pour ce qu’ils en savaient, ils se retrouvèrent face à un homme aux épaules larges, à la crinière de cheveux noirs, affublé d’un cache sur l’œil et la figure fendue d’un grand sourire.

Il attendait, debout, les bras croisés.

Une fois qu’il eut capté toute leur attention, Gredin écarta lentement les lèvres.

Plusieurs hommes reculèrent alors d’un pas.

« Pourquoi avoir peur ? lança l’un d’eux. C’est pas comme s’il avait une ar… »

Gredin leva une main.

Les griffes ne font pas de bruit quand elles sortent, mais elles devraient. On devrait entendre un genre de « tzing ».

Le sourire de Gredin s’élargit encore davantage.

Ah ! Ça au moins, ça fonctionnait toujours…

Un des hommes eut la bonne idée de lever son arbalète mais la mauvaise de se décider alors que Nounou Ogg se trouvait derrière lui, une épingle à la main. Le geste fut si rapide que tout jeune novice en robe safran en quête de la sagesse aurait sur le champ opté pour la Voie de madame Ogg. L’homme hurla et lâcha son arme.

« Wrowwwl… »

Gredin bondit.

Les chats sont comme les sorcières. Ils ne se battent pas pour tuer mais pour gagner. Ça fait une différence. Un adversaire mort ne sert à rien. Il ignore qu’il a perdu. Un vrai vainqueur a besoin d’un adversaire vaincu et qui le sait. On ne goûte pas de triomphe au-dessus d’un cadavre, mais un adversaire déconfit et qui le demeure chacun des jours restants de son existence triste et misérable prend une valeur inestimable.

Les chats, bien entendu, ne cherchent pas aussi loin d’explication à leurs habitudes. Ils apprécient seulement de voir un concurrent repartir en clopinant, allégé d’une queue et de quelques lambeaux de pelage.

La technique de Gredin n’avait rien de scientifique et n’aurait pas pesé lourd devant une escrime digne de ce nom, mais elle bénéficiait d’un avantage : il s’avère quasiment impossible de pratiquer une escrime digne de ce nom quand on a l’impression de s’être fourvoyé dans un mixeur qui arrache les oreilles à coups de dents.

Les sorcières suivirent la scène d’un œil intéressé.

« J’pense qu’on peut le laisser maintenant, dit Nounou. Je crois qu’il s’amuse. »

Elles se hâtèrent vers le bal.

L’orchestre était au beau milieu d’un morceau ardu lorsque le premier violon jeta par hasard un coup d’œil vers la porte et lâcha son archet. Le violoncelliste se tourna pour voir la cause de l’incident, suivit le regard fixe de son collègue et, dans un instant de désarroi, voulut jouer de son instrument à l’envers.

Dans une succession de couacs et de canards, l’orchestre s’arrêta de jouer. Les danseurs continuèrent un moment, emportés par leur élan, puis s’immobilisèrent avant de se tourner de tous côtés, en pleine confusion. Ensuite, un à un, ils levèrent à leur tour les yeux.