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– Je crois que je suis à moins trois.

Il baisse les yeux. Je ne sais pas s’il a compris.

– À moins de trois centimètres de la grande casse. Il me reste au mieux trois à six mois. Enfin, je crois.

– Alors, n’attends pas trop pour me raconter.

Je grimpe dans mon lit et me glisse sous les draps. Bien content d’être au chaud. Marcus tourne sa tête vers moi, au moment où on éteint les lumières :

– Je suis soulagé de te voir. J’avais peur.

– Tu vois, ce n’est pas si grave. De toute façon, je n’ai pas envie de t’abandonner.

Mes yeux se ferment. Je vais bien dormir.

Ce matin, je ne sens plus l’odeur des soldats flotter autour de mon lit. Je me lève. Ma main effleure un petit bâton glissé sous un coin de mon oreiller. Comme par instinct, je le glisse dans la poche de ma veste de pyjama. À l’aveugle, je tente de comprendre. Ce n’est pas un bâton, mais ça en a la forme. C’est plus souple, peut-être un morceau de carton extrêmement fin. Je le transfère bientôt dans mon pantalon. Je dois trouver un moment propice pour le regarder sans risque. Je fais ma première tentative aux toilettes mais, à peine entré, j’entends tambouriner un petit qui hurle que je dois me presser. Toutes les activités de ce début de matinée s’enchaînent au pas de course. Dès que j’en ai l’occasion, je touche le petit bâton, le soupèse, le tords. Je ne connais même pas sa couleur. À force de le triturer, je m’aperçois qu’il s’agit d’un rouleau de papier roulé très serré. Avec l’ongle du pouce, je parviens à l’étaler. Je suis maintenant sûr que c’est un message, un message de la nuit.

Je suis assis depuis un quart d’heure et j’écoute un cours sur la culture de la pomme de terre, ses origines, ses propriétés nutritives…

Je sors mon mouchoir que je serre autour du papier. Je laisse glisser le message sur mon cahier et je me mouche. Marcus tourne la tête vers moi et me sourit.

– Tu as pris froid ? chuchote-t-il.

Je ne réponds pas car j’entends le prof de botanique qui s’interrompt et tourne sa tête vers nous.

C’est un homme sans âge et sans cheveux qui se déplace difficilement en s’aidant de lourdes béquilles. Un élève lui sert de poisson pilote dans les couloirs car il est aveugle, ou quasiment. Il parle d’une voix claire et calme :

– Marcus, lance-t-il, ne vous inquiétez pas de la santé de votre camarade. Il n’est pas du tout malade, vous savez. Il y a dix secondes, il a mouché à vide.

Il se tait. Va-t-il reprendre son cours ?

– Méto, pourquoi avez-vous mouché à vide, au fait ?

Je ne desserre pas les dents. Si je parle, il comprendra que je mens. Je patiente. Une longue minute s’écoule.

– C’est sans importance, après tout ! déclare-t-il fina-lement. Revenons à nos patates qui ne méritent aucun contretemps.

Je respire enfin mais pas trop fort.

Tout en écrivant de la main droite, je retourne le papier. Il mesure environ huit centimètres sur un. Il y a deux lignes tracées à l’encre grise, les caractères sont minuscules :

Agir pendant qu’on est encore à la Maison est plus facile qu’après. Ne fais confiance à personne ni le jour ni la nuit. Si tu veux suivre nos pistes,enroule un de tes cheveux autour du premier bouton de ta chemise du jour. Mange le message.

J’attends la fin du cours, le moment où les chaises reculent bruyamment, pour chiffonner le papier et en faire une boulette que j’avale. Personne ne m’a vu.

Marcus semble encore perturbé par l’incident. Il me regarde avec des yeux de chien battu. Dans le couloir, il me retient par le bras.

– Pourquoi tu n’as pas répondu ?

– Je ne pouvais pas répondre.

– Pourquoi ?

– Je ne peux rien te dire.

Son regard se durcit. Il est en colère. Il doit avoir l’impression que je le trahis un peu plus chaque jour. Il s’écarte et lâche :

– Et puis merde !

Je le regarde qui s’éloigne vers la salle de piqûre. Une main se pose sur mon épaule. C’est Crassus.

– Alors, Méto, tu vas bien ? Qu’est-ce que tu me racontes ?

Cette question, que je devrais juger légère, me perturbe un instant :

– Que veux-tu que je te raconte ? On était en botanique. On a parlé patates. Et toi ?

– Moi, j’étais en mécanique, on a eu droit à l’histoire de la chaudière volcanique de la Maison.

– Toi qui crains le froid, tu devais être passionné. Bon, on se retrouve après pour la lutte. Je dois aller à la piqûre.

Nos élèves sont alignés en silence. Ils ont revêtu leur justaucorps marron. Je les regarde l’un après l’autre. Aujourd’hui, Marius n’est pas dans son assiette. Il serre les dents et braque ses yeux sur Crassus, mon « ancien élève ».

Titus, à qui rien n’échappe, me propose :

– Tu commences l’entraînement et je m’occupe de Marius. Il est très remonté. Mais tu préfères peut-être que ce soit le contraire ?

– Non, vas-y.

Titus se dirige droit sur Marius, le prend par les épaules amicalement mais fermement et l’éloigne des autres.

Je commence l’échauffement sous le regard goguenard de nos deux assistants habituels.

Titus revient au bout de quelques minutes.

– Il est calmé, mais c’est à toi qu’il veut parler.

Je rejoins Marius.

– Crassus bave, déclare-t-il gravement.

– Crassus ? Le petit nouveau dont je me suis occupé ?

– Oui. Tu n’as pas dû assez lui expliquer qu’on ne doit pas raconter des trucs sur les uns et les autres.

– Il fait ça ? Donne-moi des exemples.

– ll a dit des trucs sur Quintus.

– Sur Quintus ? Il est arrivé le jour de son départ ! Il ne l’a même pas connu… Je te promets de tirer cette affaire au clair et de t’en reparler.

– Méto, on a confiance en toi. Ne te trompe pas d’amis.

– J’ai compris, va t’amuser.

J’appelle Crassus qui me sort son plus beau sourire.

– Crassus, c’est quoi cette histoire ? Tu as insulté Quintus ?

– J’ai juste dit qu’il n’était pas très courageux.

– Et comment sais-tu cela ?

– Méto, je t’ai déjà raconté que, la nuit, j’entends des voix. Alors, le matin, je répète ce que j’ai entendu. J’en ai parlé à Marius par hasard, pendant le petit déjeuner. Je ne savais même pas que c’était son copain.

– Arrête tes salades ! Si tu n’es pas capable de contrôler tes paroles, tu risques de très graves ennuis.

– Je n’ai pas peur. Tu ne dois pas t’inquiéter pour moi, tu n’es plus mon tuteur. Tu me l’as déjà dit.

– Je te parle comme à un ami.

– Je ne le ferai plus, c’est promis.

– Tu vas t’excuser tout de suite.

– Si tu veux.

Je fais un signe à Titus. Il pousse amicalement Marius vers Crassus qui sourit. Le Bleu foncé garde un visage très fermé. Les deux se serrent la main et Crassus articule :

– Je regrette ce que j’ai dit. Je te prie de m’excuser.

En sortant de la salle de gym, Marius me frôle et me glisse :

– Il n’était pas sincère. Je laisse tomber pour ne pas t’attirer de problèmes, mais Crassus n’est pas clair et il continue à me défier du regard.

– Il est jeune, je vais le surveiller.

– N’en fais pas trop pour lui. La dernière fois, ça t’a coûté quatre jours au frais. Maintenant tu n’es plus obligé.

J’observe mon ex-protégé pendant le repas. Il a trouvé sa place maintenant. Il est détendu et souriant. Il a un air presque dominateur quand il regarde les autres. Je m’aperçois que, si le hasard ne m’avait pas obligé à m’en occuper, il ne serait jamais devenu mon ami.

D’ailleurs, est-ce un ami ?

Pour beaucoup de mes camarades, je devrais le haïr ou au moins m’en méfier. Si je fais le bilan de ce qu’il m’a apporté – quatre jours au frigo, des parties d’inche supprimées quand je devais l’aider pour son travail –, ce n’est pas très reluisant. Je pense aussi qu’il m’a menti quant à son expédition au vestiaire et qu’il s’est payé ma tête à la fin du cours de lutte…