Выбрать главу

J’entends une porte s’ouvrir. Je garde les yeux fermés. On me secoue sans ménagement. César 3 est de retour.

– Tu vas mieux. Tu rejoindras le groupe demain matin. Ne traîne pas.

J’ai envie de parler :

– Et les autres vont bien ?

– Pourquoi cette question, Méto ?

– Comme ça, pour rien.

– Alors, ne gaspille pas ton temps en bavardages.

César est-il préoccupé ou veut-il me faire payer le temps que je lui fais perdre ? Il s’y reprend à trois fois pour réussir son injection. Mon bras me fait horriblement souffrir. Heureusement, ça ne dure pas et je m’endors.

Je suis réveillé. Je vais aux nouvelles. Le message est court et n’occupe qu’un dixième de la feuille.

Trouve les traîtres. Stylo sous la table. À ranger après. M.l.m.

Avant de m’installer pour travailler, je pars à la recherche du stylo. Il est fixé par deux élastiques sur le côté gauche du plateau. Il est plus petit que mon auriculaire.

Je sais comment chercher. Les oreilles au repos forment un carré. Je dois dessiner le plan du dortoir, un quadrillage de douze sur six, avec un rectangle vide de quatre sur deux à l’endroit de l’entrée. Je place les noms des soixante-quatre enfants. Pour cela, je ferme les yeux à plusieurs reprises car j’ai besoin de visualiser. Je ne veux pas me tromper. Jamais plus je ne disposerai d’un tel moment de tranquillité. J’avance doucement, même si je n’ai pas vraiment d’hésitation. C’est prêt. Je relie Crassus à Paulus. Il n’y a pas de possibilité de développer le carré vers le haut car on dépasse les limites. Je trace donc, à angle droit, deux côtés de même longueur vers le bas. Julius chez les Violets et Publius chez les Rouges. Je les connais très bien, mais ils n’ont jamais appartenu au cercle de mes proches.

J’ai eu l’occasion d’échanger quelques mots avec Publius depuis mon retour du frigo, car c’est lui qui a remplacé Quintus chez les Rouges et dans mon équipe d’inche. Il joue nettoyeur. Il aime beaucoup parler mais surtout être à l’écoute des autres. Maintenant je comprends mieux pourquoi.

Ce qui me trouble, c’est que, lorsque j’espionnais Crassus, je n’ai jamais vu Julius ni Publius en grande discussion avec lui. Ils doivent donc utiliser des codes, comme nous.

Maintenant que j’ai accompli ma mission, je vais devoir avaler le message. Sans eau. Je le découpe en tout petits morceaux et je mâche méthodiquement. C’est long et amer. Je ne dois pas m’endormir avant d’avoir fini. Je ne sais pas de combien de temps je dispose avant le retour de César. Je me mets à suer. Je dois me calmer. Je suis à présent allongé dans le lit et je guette le moindre bruit. Deux boulettes résistent. Elles ne peuvent franchir la barrière au fond de la gorge. Des pas se rapprochent.

– Bonjour, Méto.

Je me contente de lui sourire et j’en profite pour caler les restes de papier dans le creux de mes molaires du bas à droite.

Il m’observe attentivement. Pourrait-il voir quelque chose ?

– Tu vas bien ?

– Oui, mais j’ai un peu soif.

Il détourne le regard et enchaîne :

– Lève-toi. Tu as juste le temps de passer au décrassage et de t’habiller avant la course.

Sous la douche, j’ouvre la bouche. Je suis enfin libéré du message. Je remarque que j’ai une petite tache d’encre entre le pouce et l’index. Je frotte pour l’atténuer. J’ai du mal à me persuader que César ne l’a pas vue. Je frictionne violemment mes joues et je sautille sur place pour me réveiller. J’ai une compétition dans un quart d’heure et mes copains comptent sur moi.

Ils sont là. Ils m’attendent.

– T’as l’air en pleine forme, commence Octavius. Tant mieux parce qu’il faut qu’on s’arrache ce matin, sinon ils vont nous rétrograder. Hier, notre temps à trois a été déplorable. C’est le mot qu’a employé César.

– J’ai senti des regards de défi toute la journée, comme si notre tour était venu de passer la main, surenchérit Claudius.

– Sûrement pas, déclare Rémus, je n’ai jamais fait partie d’un autre groupe.

Je les rassure :

– Ne vous inquiétez pas, les gars, je suis plein d’énergie. J’ai passé mon temps à dormir.

Nous rejoignons nos places.

C’est parti. C’est vrai que je suis en forme et je ressens un réel bonheur à courir. Je vois arriver Claudius. Il va me parler :

– Tu les connais ?

– Oui.

Deuxième tour, j’annonce :

– Julius.

– Julius, répète-t-il.

Troisième tour :

– Publius.

– Publius.

Quatrième tour :

– Bon boulot. Allez, on met la gomme !

– OK.

Les quatre visages sont crispés, personne ne veut rien lâcher.

– 1, 2, 4, 3, annonce César. Temps amélioré.

Rémus arbore un large sourire.

– C’était bien, les gars. Méto, tu passes en trois. Tu as entendu ?

– Oui, oui. Alors, Octavius ? Pas trop déçu ?

– Non, répond mon ami en souriant. Je soupçonne les médicaments qu’on t’a donnés d’y être un peu pour quelque chose.

– Si tu le dis, camarade.

– Demain, annonce-t-il, je prendrai ma revanche !

Claudius me rejoint.

– Tu sais presque tout maintenant.

– Oui, et ce n’est pas gai.

– Grâce à nous, ça va changer.

Chapitre 7

Le lendemain, Claudius m’attend devant les lavabos. Aucune « oreille » à l’horizon.

– J’ai reçu un message. Nous devons préparer le grand jour.

– Le grand jour ?

– Le jour où les enfants et les serviteurs prendront le pouvoir.

– Contre les soldats, on ne pèsera pas lourd.

– Ils quittent l’île une ou deux fois par an.

– Tous ?

– Presque tous. Il faudra saisir notre chance.

– Ce sera… bien… si… on…

Crassus vient de m’apparaître dans le miroir.

– Vous parlez de quoi ?

– Je disais que ce serait bien d’améliorer encore notre temps.

– Tu veux passer deuxième maintenant, c’est ça ?

– Pas forcément.

S’il savait comme aujourd’hui tous ces rituels pour lesquels je me passionnais m’indiffèrent. Je n’y participe que pour ne pas me faire remarquer. Claudius me tape sur l’épaule :

– Faut y aller tout de suite, Méto.

– Salut, Crassus.

De nouveau tranquilles pendant quelques secondes, nous reprenons notre discussion à l’endroit précis où nous nous étions interrompus :

– Ce sera quand ?

– Pas dans les tout prochains jours. Nous devons d’abord recruter des gens sûrs pour nous aider.

Nous avons rejoint nos amis au point central. Je manque presque le départ de la course. Je crois que je vais vite retrouver ma vraie place dans la hiérarchie. Qui ? Qui mettre dans la confidence ? À qui faire prendre ce risque ? Ceux qui participeront ne pourront pas faire marche arrière.

Claudius m’engueule en me croisant :

– Bouge-toi ! Ce n’est pas le moment de faire n’importe quoi !

C’est comme si je me réveillais. Je fonce. Je me fais mal. Lorsque je m’arrête, je reste recroquevillé, un genou à terre pendant plusieurs minutes. C’est le vide. Octavius vient me relever.

– Ça va aller ?

Je retrouve une respiration presque normale.

– Oui, oui, merci. Et le chrono ?

– Comme d’habitude, mais tu es repassé derrière moi.

– Ce n’est pas grave.

Octavius ? Oserai-je mouiller Octavius ? Si ce n’est pas lui ou Marcus, en qui j’ai toute confiance, à qui pourrai-je parler ?

Claudius nous a rejoints. Il retrouve le ton autoritaire et bienveillant qui nous rassure tous.

– Méto, tu dois te concentrer sur ta course. Je veux que tu restes dans mon équipe.

– J’ai compris, chef, dis-je en souriant.