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– C’est bien que vous soyez venus. Je n’en pouvais plus.

– On y est. Tu me montres la clef ?

– C’est celle-là !

Sextus et Kaeso semblaient nous attendre derrière la porte.

– C’est toi ? On croyait que c’était la bouffe, dit Sextus.

– Je ne comprends pas comment tu as pu résister quatre jours, ajoute l’autre.

– Je te raconterai une autre fois.

– C’est qui, le grand ?

– Je suis Optimus, répond celui-ci avec douceur.

– Alors, ça y est ? On est les maîtres de la Maison ?

– Pas encore tout à fait. Regagnez le dortoir. On va venir vous informer.

– Méto, on a faim !

– Ce n’est pas le moment. Allez finir votre nuit et soyez très discrets. On s’occupera de la bouffe plus tard.

Je repars vers la chambre-cellule des serviteurs. La discussion est très animée. Tous se retournent avec un air impatient quand nous arrivons.

– Ce n’est pas trop tôt ! déclare Numérius. On doit mettre la main sur les trois César qui manquent.

– Et tu sais où les trouver ?

– On sait où dorment les César. Avec un peu de chance, ils ne seront pas encore levés.

– Et Jove ? interroge Claudius.

– Jove, reprend Numérius, on sait qu’il existe car beaucoup d’entre nous ont senti son odeur vinaigrée, un jour ou l’autre. Quant à savoir où il se cache, nous n’avons aucun indice.

– De qui parlez-vous ? demande Titus.

– Jove est le grand maître de la Maison, le créateur de tout ça, précise Claudius.

Nous partons dans les étages en courant. Un serviteur nous désigne la porte 404. Nous l’ouvrons avec prudence. Elle débouche sur un couloir au fond duquel il y a une autre porte. Numérius nous fait signe de nous taire. Je mets la clef dans la serrure avec le maximum de précaution. Ça tourne. Je pousse doucement la porte. Trois serviteurs m’écartent et pénètrent dans la chambre plongée dans la pénombre. Ils se dirigent lentement vers des points qu’ils connaissent par cœur. J’entends le bruit de quelqu’un qui se débat. Claudius allume la lumière. Deux César sont plaqués sur leur lit. Bâillonnés et mains liées, ils vont sous escorte rejoindre les autres.

– Il en manque un, déclare Numérius, déçu. Il faut organiser au plus vite un rassemblement.

– Et les profs ? On ne doit pas s’occuper d’eux ? interroge Marcus.

– Rien à craindre de leur côté, réplique le chef des serviteurs, ils sont enfermés dans leurs appartements et, de toute façon, ils sont inoffensifs.

Les révoltés Rouges et Violets forment un cercle. Numérius prend la parole :

– Les petits et les neutres dorment encore. À leur réveil, plein de problèmes matériels vont se poser, auxquels on n’a pas eu le temps de réfléchir. Mais, tous ensemble, on trouvera des solutions. Avant cela, nous devons sécuriser la Maison. Les forces armées sur l’île sont très faibles en ce moment, on ne compte qu’une douzaine de gardes répartis dans les différents campements. Ils sont chargés de la surveillance des travailleurs de l’extérieur. Le gros de la troupe est en maraude sur le continent. La principale menace se trouve au troisième étage : il y a là un poste de garde avec six soldats, prêts à intervenir en cas d’extrême urgence. Cette mission est très dangereuse. A priori, nous bénéficions encore de l’effet de surprise et nous n’aurons sans doute pas à nous battre. Mais nous devons nous préparer au pire.

– Tu as un plan d’attaque ? interroge Claudius.

– Oui, nous connaissons le moyen de les bloquer dans leur repaire.

– Si nous devons nous battre malgré tout, avec quelles armes allons-nous affronter les soldats ? demande Titus.

– Nous n’avons rien pour l’instant. Des caches d’armes existeraient dans la Maison, mais nous ne disposons actuellement d’aucun élément pour les localiser. Alors, nous allons passer à la cuisine et nous saisir de tout ce qui peut servir à nous défendre.

– On va les affronter avec des fourchettes ? demande Octavius, goguenard. Ça me va !

– Je suggère qu’on utilise aussi les protections de l’inche, propose un autre.

– Nous n’avons pas le temps, tranche Numérius. Alors ? Qui est partant ?

Une dizaine de doigts se lèvent. Ce sont les convertis de la première heure. Numérius sourit et nous entraîne vers la cuisine.

Octavius se coiffe d’une casserole et brandit une louche et un couvercle de marmite.

– Et comme ça, Méto ? Je te fais peur ? demande-t-il en rigolant.

Je suis beaucoup moins à l’aise que lui. Je ne desserre pas les dents. Je récupère dans le four une lourde broche et je vais retrouver les autres. Si j’étais moins angoissé, je crois bien que j’éclaterais de rire devant notre troupe dont les regards sérieux tranchent radicalement avec le ridicule de notre armement.

Numérius passe devant. Il sait où il va. Nous nous retrouvons devant une petite porte, la 411, que j’aurais prise pour l’entrée d’un placard à balais. Il fait sombre. La porte franchie, nous progressons dans un étroit couloir, en silence. Bientôt, l’espace s’élargit. À une dizaine de mètres, j’aperçois un rai de lumière vertical. Numérius lève son bras. Il avance tout seul et plaque son visage contre la fente. Il se recule et attrape deux d’entre nous par le cou. Tous les enfants l’imitent et nous nous retrouvons les têtes plaquées les unes contre les autres. Il parle très bas :

– Cette porte à double battant donne sur la salle des gardes. Ils sont six, comme prévu. Quatre sont allongés sur leur lit mais gardent les yeux ouverts. Deux sont debout, aux aguets. Ils sont équipés et prêts à envahir les couloirs. Il y a…

Il marque un temps. Nous retenons notre souffle. Aucun bruit. Il reprend :

– Il y a un moyen de les empêcher de sortir. Au pied du mur, à ma droite, sont posées trois barres de fer qu’il faut fixer dans des logements prévus sur les côtés de la porte. Cette manœuvre doit s’effectuer dans un silence parfait. Nous commencerons par celle du milieu.

Je ne suis pas sûr d’avoir très bien compris. Je suis les autres. Nous nous répartissons le long d’une des barres. Nous regardons la bouche de Numérius qui compte sans bruit, en bougeant seulement les lèvres :

– 1, 2, 3…

C’est si lourd que, pendant un moment, j’ai l’impression qu’on ne progresse pas. Je puise dans mes réserves. Je vois les autres grimacer sous l’effort. Octavius respire trop fort et Claudius lui décoche un petit coup de coude dans les côtes pour le lui faire remarquer. Surpris, Octavius se plie et manque de tout faire chavirer. La première barre est en place. Nous nous reculons pour positionner la deuxième, celle du bas. Les corps sont douloureux et, çà et là, des gémissements discrets se font entendre. Il faudrait accélérer la manœuvre mais nous en sommes incapables. Quand nous laissons tomber la barre dans son logement, nous percevons des bruits qui nous glacent le sang. Nous avons tous compris : les soldats nous ont entendus et ils vont se défendre. Des coups d’une violence inouïe font trembler la porte. Nous nous regardons. Si nos yeux pouvaient émettre des sons, ils hurleraient : « Barrons-nous tout de suite ! »

Claudius prend la parole. Il doit crier pour se faire entendre :

– Nous ne partirons que quand la troisième barre sera placée. Allez, les gars ! C’est la dernière ! On y va.

Comme si un signal nous l’avait indiqué, nous nous mettons tous à hurler, à jurer. Nous empoignons la lourde pièce en fer en nous criant des encouragements, peut-être surtout pour couvrir le bruit de la menace qui se précise. Nous touchons au but. Beaucoup tremblent. Un dernier effort. Ça y est, c’est fini. Je tombe à genoux et je ne suis pas le seul. Le bruit derrière la porte s’est brusquement arrêté. Les soldats ont compris et ont aussitôt renoncé. Octavius m’aide à me relever. Les sourires commencent à poindre sur les visages exténués.