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Le repas du soir est à peine plus bruyant qu’un repas surveillé. La veillée-débat, elle, est très animée, mais je remarque que ce sont toujours les mêmes qui prennent la parole. Certains disent qu’ils se sont ennuyés sans le sport. Beaucoup de questions tournent autour du thème de la nourriture : la plupart ont peur de manquer. Certains enfants, muets pendant toute la soirée, restent prostrés dans un coin. Ils donnent l’impression de ne pas s’intéresser aux échanges. Comme si écouter, c’était pour eux montrer un consentement.

Ceux qu’on appelle maintenant les « Isolants », sur une proposition de Kaeso, parce que, a-t-il expliqué, « leur résistance a rompu le courant de la soumission », se réunissent ensuite dans le gymnase. Le premier problème abordé est la garde des ennemis. Titus et Octavius se portent volontaires. Pour remercier ce dernier de sa solidarité dans l’épreuve de la cache d’armes, je décide de me joindre à eux. Marcus fait de même. Numérius explique que, pour que la nuit se passe bien, les Bleus ont bu pendant le repas l’eau habituelle, chargée de soporifique. Titus demande si on peut garder des armes à portée de main pour impressionner les César et leurs amis, en cas de nécessité. Claudius est d’accord mais il ajoute :

– Surtout, les gars, en cas de problème, n’hésitez pas à venir nous réveiller.

– C’est promis, assure Octavius.

Nous débarquons dans la salle de classe qui a été réquisitionnée pour les prisonniers. Ils sont assis sur le sol et enchaînés par groupes de trois aux radiateurs. Les traîtres arborent une mine plutôt réjouie qui m’étonne. Ont-ils une idée en tête ? Les César conservent leur air supérieur, malgré leur situation piteuse. Ils s’adressent à nous d’une voix très sûre et très calme :

– Bonsoir, mes enfants, commence César 3.

– Vous savez que vous avez fait un très mauvais choix, continue César 1. Vous n’avez pas…

– Tais-toi ! hurle Titus. Nous ne sommes pas venus ici pour discuter mais pour dormir. Tout César que vous êtes, sachez que nous n’avons plus rien à perdre et que je n’aurai aucune hésitation à vous fracasser les membres ou la tête si vous me provoquez. Vous avez compris ? Regardez ce que nous avons trouvé en cherchant une serpillière. Il paraît que ça ne pardonne pas, à bout portant.

Plusieurs heures se passent et tout paraît facile. Nous échangeons de brèves paroles entre nous. Je veux que nous organisions des tours de garde pour que chacun puisse se reposer un peu. Marcus et moi dormirons la première partie de la nuit.

Même sans drogue, je m’endors en quelques minutes.

Je suis soudain réveillé par des gémissements. J’ai des difficultés à comprendre ce qu’il se passe. Un César gît par terre. Il a une blessure à la tête. Octavius pleure. Titus a braqué un fusil sur la tempe de Crassus, qui pleure aussi. Marcus s’est réveillé juste après moi. Octavius se met à parler doucement, comme s’il ne s’adressait qu’à lui-même. Il est à bout.

– Ils n’ont pas le droit de dire ça sur nous… Ils n’ont pas le droit.

– Que se passe-t-il ?

– Ils disent des choses sur nous avant, des choses pas bien, surtout à Titus.

– Moi, je vais dégommer ce petit con ! hurle ce dernier.

– Les gars, on se calme. Venez avec moi au fond de la salle. On va parler.

Je saisis doucement l’arme de Titus qui se laisse faire. Mes copains se lèvent et me suivent. Octavius prend la parole :

– Ils ont dit que Titus avait tué toute sa famille dans des conditions atroces. Ils ont aussi parlé de toi. Ils disaient que tu allais nous trahir, que tu faisais semblant de dormir, que tu attendais le moment pour nous fusiller et… On est fatigués…

– Ils veulent nous diviser. Ils veulent nous faire craquer. Mais, les gars, je sais comment agir. On va les conduire au frigo, comme l’a suggéré qui vous savez. On va les évacuer tout de suite et…

– Je suis d’accord, coupe Titus, mais on doit prévenir les autres, on a promis hier soir.

– Je suis sûr qu’ils hésiteront à prendre la décision, alors que nous, nous savons bien que c’est la seule solution.

Même à bout de forces, ils ne semblent pas convaincus.

– Si vous voulez, je dirai que c’est moi, que je vous y ai contraints.

– Pas la peine, je suis avec toi, dit Marcus.

Quand nous nous tournons vers nos ennemis, je vois qu’ils ont compris que la partie est perdue pour eux. Crassus, à qui j’ai pourtant sauvé la vie cinq minutes avant, me lance un regard plein de haine. Ils se lèvent en silence. Ils savent où nous les conduisons. Je déverrouille la porte du frigo et je regarde entrer, enchaînés les uns aux autres, nos adversaires défaits. César 4 grimace. Pour lui comme pour ses compagnons d’infortune, c’est une première. Je referme la porte. J’espère que Romu ne les trouvera pas trop tôt. J’aimerais qu’ils aient le temps d’apprécier le climat sain de l’endroit.

Nous retournons au dortoir, épuisés mais souriants. Nous nous en sommes bien tirés.

Chapitre 9

Ce matin, mon réveil est tardif. C’est la première fois de ma vie. L’emploi du temps ne s’applique plus et chacun choisit de disposer de sa journée comme il l’entend. Cet état de fait ne résulte pas d’une décision mûrement concertée, c’est plutôt une non-décision, en attendant d’en prendre une vraie.

Nous prenons le petit déjeuner dans un brouhaha de plus en plus sonore. On a des difficultés à se comprendre. Marcus et moi y renonçons après deux ou trois tentatives. Je sais, de toute façon, ce qu’il veut me dire, qu’il est content de la résolution prise ensemble cette nuit, mais aussi qu’il craint les remontrances des autres. Claudius me tape sur l’épaule et me glisse que nous devons le rejoindre avec Octavius dans le bureau des César, dès qu’on aura fini de manger. Je transmets par signes le message à Marcus qui s’angoisse déjà. Dans un lieu aussi exigu, je devine que nous ne serons pas jugés par l’ensemble des Isolants. Peut-être ne seront présents que Claudius et Numérius.

J’avais raison. Ils trônent tous les deux sur les fauteuils des César en regardant des papiers, et nous, pauvres coupables, restons debout à les contempler. Ils ne vont tout de même pas nous laisser mariner, comme le faisaient ceux qui occupaient ces sièges il y a quelques jours ! Je casse tout de suite ce que je perçois comme une mise en scène :

– Bon, on est là pour quoi ? J’ai d’autres projets pour ma matinée.

Mes complices sourient de mon arrogance. Les deux autres sont surpris.

Numérius prend la parole, d’une voix agacée :

– On veut comprendre pourquoi vous avez pris la décision de vous débarrasser des César et des autres, contrairement à ce qui avait été décidé hier soir.

– Ils nous ont poussés à bout et, sans l’intervention de Méto, ça aurait tourné au carnage, commence Titus.

Je précise avec fermeté :

– Nous avons jugé que c’était la meilleure chose à faire à ce moment-là. À l’entrée du frigo, nous ne sommes tombés dans aucun guet-apens et maintenant nous ne sommes plus menacés par leurs agissements. Que voulez-vous de plus ?

– Ce n’est pas ce que nous avions décidé. Vous n’aviez pas le droit d’agir ainsi, précise Claudius.

– Vous vous conduisez comme des César ! Quand vous parlez, on doit tout le temps être d’accord. Vous êtes toujours sûrs d’avoir raison. Eh bien, là, vous aviez tort. Et si vous vous attendez à des excuses, j’espère que vous avez plusieurs vies devant vous, parce qu’on ne se sent pas prêts.

Numérius se lève, excédé :

– Tu nous insultes en nous traitant de César !

– Mais regardez-vous, assis dans leurs fauteuils, avec devant vous des petits élèves convoqués ! Allez, les gars, on s’en va.