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– C’est normal, déclare Tibérius.

– Sauf que nous ne pouvons pas être sûrs, reprend Numérius, qu’il ne s’agisse pas d’un piège tendu par les soldats ou des espions pour s’approprier nos armes ou pénétrer dans la Maison.

– À moins d’aller les rencontrer pour s’assurer de leur bonne foi, je ne vois pas ce que nous pouvons faire, insiste Tibérius.

– Nous devons soigneusement préparer cette rencontre. Il faut prendre le temps de réfléchir pour éliminer tous les risques, déclare Claudius.

– Nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre, il me semble. Nous dépendons d’eux pour le ravitaillement, fait remarquer Octavius.

– Les réserves sont impressionnantes, nous ne mourrons pas de faim tout de suite, assure Numérius. Ce que je crains, c’est le retour du reste des soldats sur l’île. Réunissons-nous cet après-midi à quelques-uns pour mettre au point un plan.

Je décide d’intervenir :

– Moi, je voudrais poser une question sur les serviteurs de l’intérieur. Voilà…

– Ce n’est pas le sujet, tranche le « nouveau César ».

– Laisse les autres en juger. Nous parlons et, en ce moment, des serviteurs, dans cette même salle, continuent leurs occupations habituelles. Qu’est-ce qui a changé pour eux ?

– Ils ne sont plus frappés et humiliés à longueur de journée, et ils dorment chaque nuit de manière raisonnable, explique Numérius.

– Pourquoi ne sont-ils pas invités à nos discussions, comme toi par exemple, et pourquoi n’organisons-nous pas le travail différemment ? Les élèves pourraient participer aux travaux et les serviteurs, eux, pourraient faire du sport ou continuer à apprendre.

– C’est une excellente idée, intervient Claudius, mais nous sommes dans l’urgence et nous ne pouvons pas tout traiter à la fois. Dans un premier temps, et avec leur accord, il a été décidé que les serviteurs assureraient leur travail habituel. Rassure-toi, cette organisation est transitoire. Elle durera tant que la défense de la Maison ne sera pas parfaitement organisée. Ensuite, une nouvelle vie commencera ici, sans serviteurs ni servis, dans la liberté et l’autonomie, avec moins de violence. Personnellement, c’est ce que j’espère et je crois ne pas être le seul.

– J’aime t’entendre parler ainsi, Claudius, dis-je.

– Moi aussi, ajoute Marcus.

Pendant quelques secondes, personne n’ose intervenir. Claudius reprend :

– Merci, les gars. Je change de sujet. Avez-vous trouvé les caches d’armes ?

– Oui, on a trouvé les trois autres. Elles renferment les mêmes munitions que la première.

– C’est une très bonne nouvelle. Bravo, les gars !

Quelques élèves applaudissent. Je vois Numérius qui plisse ses lèvres nerveusement. Il marque un temps avant d’intervenir :

– Je propose qu’on remette la décision pour ceux du dehors à la réunion de ce soir. Et, si vous êtes d’accord, on peut inviter tous les serviteurs. Sachez tout de même que je leur rends compte fidèlement de nos discussions. Enfin, puisque nous avons des armes, je propose que certains s’exercent à les utiliser. Y a-t-il des volontaires ?

Titus lève la main :

– Je suis un expert dans ce domaine et je servirai d’instructeur. J’invite tous ceux qui le veulent à me retrouver après le repas.

Claudius approuve :

– J’étais sûr qu’on pouvait compter sur toi. Hier, en te voyant manier un fusil, j’ai tout de suite compris que tu t’y connaissais. Ah oui… Avant qu’on ne se sépare, je voulais vous informer que, cette nuit, la décision a été prise de nous débarrasser des César et de leurs fidèles. Ils ont été conduits au frigo ce matin. Et, pour revenir à la proposition de Titus, il faudrait que certains se désignent pour organiser ou surveiller les activités des Bleus.

Mamercus lève la main pour se proposer. Marcus le rejoint. Je me lève avec le sourire. Je regarde Numérius. Je suis sûr qu’on peut tous ensemble faire de belles choses ici.

Pendant le repas, qui atteint un niveau sonore jusqu’alors inimaginable, je n’essaie même pas de parler. Je me demande comment je vais occuper mes prochaines heures. Vais-je apprendre à tirer pour être prêt à défendre la Maison efficacement en cas d’attaque des soldats ? Vais-je donner mon temps aux plus jeunes pour assurer la paix dans la Maison ? Je sens monter en moi une envie qui surpasse toutes les autres. Je veux fouiller dans les mystérieux dossiers des César. Je veux savoir d’où je viens, qui sont les membres de ma famille, s’ils existent encore et comment je m’appelle vraiment. Quelque chose me dit que la réponse est là et qu’elle me tend les bras. J’irai en parler à Claudius à la fin du déjeuner.

Je retrouve mon ami dans le bureau de nos anciens chefs.

– Nous avons commencé à mettre le nez dans leurs papiers, me déclare Claudius. Nous n’avons pas encore trouvé de dossier sur les enfants. Si tu veux nous aider dans nos recherches, tu es le bienvenu.

– Sur quoi portaient les dossiers que vous avez parcourus ?

– Des inventaires de matériel, des tableaux, des calculs sur la consommation de la Maison en énergie, sur l’approvisionnement des cuisines, des plans…

– Des plans de la Maison ?

– Je ne crois pas. Ça ne ressemble pas à la disposition d’ici.

– Il y a des annotations qui pourraient nous renseigner sur l’endroit représenté ?

– Il y en a, mais elles sont cryptées : des séries de chiffres remplacent toutes les légendes. Tu pourras y jeter un œil, toi qui es doué pour les énigmes.

– Quelle partie des dossiers avez-vous fouillée ?

– Les classeurs de couleur, ceux qui t’ont permis de trouver la combinaison de la boîte aux clefs. Je crois que les secrets sont dans cette armoire métallique-là car il est impossible de l’ouvrir. Aucune clef ne correspond.

Mon ami s’éloigne. Si lui a échoué en employant son intelligence, c’est qu’il ne reste que la manière forte et brutale pour résoudre le problème. Je vais pouvoir me défouler. Je décide d’aller chercher une hache, j’en ai aperçu dans les caches d’armes. Je cogne comme un fou. Le métal plie, pourtant la porte ne s’ouvre pas. Je m’épuise vite. Le bruit attire peu à peu des spectateurs. Plein de volontaires se proposent pour m’aider. Bientôt, Titus apparaît avec sa petite armée. Il élève la voix pour que je l’entende :

– Tu t’y prends mal, Méto. Pose la hache et écarte-toi.

Je n’ai pas le temps de répondre qu’il tire déjà à cinq reprises dans la serrure, qui cède aussitôt.

– Autre chose, mon ami ?

– Non, je te remercie.

Mes spectateurs s’écartent bientôt quand ils me voient reprendre mon travail de fouille.

C’est long et je veux le faire sérieusement. J’épluche tous les dossiers, tous les registres, en commençant par ceux du haut à gauche. Au bout de trois heures, je tombe sur un petit cahier calé au milieu d’un classeur de schémas techniques. C’est une liste sans doute chronologique des enfants, avec notre nom d’ici et la photo prise à notre arrivée. On trouve une lettre associée à chaque cliché. Il y en a trois différentes : A, G et E. Je suis E et Claudius est G. Comment savoir à quoi elles correspondent ? Peut-être est-ce le rôle qu’on avait prévu de nous faire jouer plus tard ? Dans ce cas, nous n’aurions pas eu le choix, contrairement à ce que m’avait indiqué Romu… Peut-être est-ce en rapport avec le temps d’avant, le lieu d’où nous venons.

Dans un classeur vert, je trouve les pages qui avaient été arrachées dans notre livre de sciences. Elles évoquent avec des photos et des planches la reproduction humaine. Tous mes copains rêveraient d’être à ma place. Je m’arrête sur la photo d’une maman ou d’une sœur, avec des cheveux longs et des pectoraux en forme de cône, qui doivent servir à l’allaitement. Je glisse les feuilles sous ma chemise, je prendrai le temps ce soir de les examiner plus en détail.