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– Je te l’avais dit. On les a abandonnés.

– Tais-toi. Ne dis pas ça, Numérius était mon meilleur ami.

J’arrive en courant.

– Expliquez-moi ce qui se passe et arrêtez de vous engueuler. On doit rester unis.

– C’est foutu, Méto. Ils ont eu Numérius.

Claudius peine à contenir son émotion :

– On a reçu un message de l’extérieur nous indiquant qu’on trouverait un colis au frigo. On a entrouvert la porte et on a vu le corps de Numérius avec un message autour du cou : Rendez-vous ou vous finirez tous comme lui.

– Il est toujours là-bas ?

– Méto ! C’est tout ce que ça te fait ? s’insurge mon ami. Ils l’ont tué et toi tu…

Je le prends dans mes bras quelques secondes. Soudain, il éclate en sanglots. Je l’entraîne vers le bureau des César et je l’assois dans un fauteuil.

– Attends-nous là. Repose-toi.

Je sors, accompagné de Titus.

– Il faut vérifier qu’il est bien mort et surtout qu’il n’a pas dissimulé un message pour nous avant d’être pris.

– Tu as raison, mais je vais appeler du renfort. Si c’était un piège, il faut qu’on soit couverts.

Le corps de notre ami gît à nos pieds. Je lui ferme les yeux. J’inspecte ensuite ses poches. Je lui ouvre la bouche. Marcus ne peut s’empêcher de me le reprocher :

– Laisse-le en paix, Méto. Il est mort.

Je continue ma fouille sans me déconcentrer. Et, dans sa chaussette gauche, je trouve deux feuilles pliées en huit. Ce n’est pas l’ultime message de Numérius, c’est une missive de Romu. Elle m’est adressée. J’entreprends de la lire à haute voix.

Méto,

C’est bien moi. Fais-moi confiance. Pour ce message, je suis absolument sûr qu’ils ne se doutent de rien. Si on se rencontre un jour, je t’expliquerai pourquoi. La feuille qui suit te donne la liste de ceux qui seront exécutés après l’assaut. Tous ceux qui s’y trouvent doivent fuir la Maison avant ce soir minuit. C’est l’heure actuellement retenue pour l’intervention. Mais ne tardez pas trop car elle peut être avancée. Les soldats seront de retour sur l’île d’un moment à l’autre. Ce sont eux qu’on attend pour passer à l’attaque. Il existe un tunnel qui peut vous permettre de rejoindre le sud de l’île, zone non contrôlée par les troupes de mon père. On y accède par le débarras (porte 101). À l’intérieur, tourne le clou auquel est suspendu le balai pour ouvrir l’entrée du passage. Un long escalier vous conduira en dehors de la Maison. À la sortie du tunnel, suivez le chemin tout droit. À deux cents mètres, sur la gauche du sentier, se trouve un poste de garde que vous devrez neutraliser avant de passer. Il faut à tout prix éviter que l’alerte ne soit donnée. Bonne chance.

Romu

Mes copains se jettent sur la liste. Ils trouvent tous leur nom. Marcus ne peut retenir ses larmes. Nous partons retrouver Claudius.

Il est étrangement calme. Il parcourt rapidement la liste et déclare :

– Tous les Rouges et les Violets, et tous les serviteurs, ils ne font pas dans le détail… Alors ? Vous en pensez quoi ?

Mes copains se tournent vers moi. Ils savent déjà ce que je vais dire :

– Ce n’est pas un piège. Romu ne m’a jamais trahi. La fuite nous permettra de bien montrer que nous seuls sommes responsables, que les petits n’ont fait que nous obéir. En ne les mêlant pas à une résistance, de toute façon inutile, nous augmentons les chances qu’ils soient épargnés. Et comme nous partons avec les armes et que quelques-uns d’entre nous sauveront sans doute leur peau, peut-être pourrons-nous même revenir un jour libérer les Bleus.

Mes copains semblent abattus et personne ne songe à discuter. Octavius conclut pour tout le monde :

– Perdu pour perdu…

Claudius reprend la parole :

– Nous partirons après le repas. Je vais aller prévenir les serviteurs. Méto, retourne près des petits. Les autres, préparez les sacs. Emportez à manger et des couvertures, des vêtements chauds aussi. Titus, tu t’occupes des armes. Ce soir, il ne faudra pas lésiner sur le somnifère pour les Bleus. On mangera à des tables séparées pour ne pas se tromper. Est-ce que j’oublie quelque chose ?

– On pourrait emporter les combinaisons d’inche sous nos affaires et porter des casques, propose Marcus.

– Retenu.

– Est-ce qu’on ne pourrait pas mettre dans la confidence un des Bleus pour qu’il explique aux autres un peu plus tard la raison de notre départ ?

– Méto, tu ferais courir un grand risque à tout le monde. Je ne sais pas ce que vous en pensez, les gars, mais ça me semble être une très mauvaise idée.

– Je suis d’accord, déclare Titus, catégorique. Oublie ça, Méto.

Je hoche la tête en signifiant que je me rallie au groupe. Nous nous dispersons. Je retrouve les Bleus, étonnamment calmes. Décimus quitte sa table de jeu pour venir me parler :

– T’as vu, on est sages. On voulait te faire la surprise. C’est bien, cette révolte. Elle est sympa, la Maison, comme ça. Méto ? Méto, pourquoi tu fais la gueule ? Vous avez eu de mauvaises nouvelles ?

– Non, ça va. On est inquiets parce que Numérius et Mamercus sont partis rallier les autres serviteurs de l’île la nuit dernière et que nous n’avons pas de nouvelles.

Son visage devient grave. Il hésite puis se lance :

– Tu crois que tout pourrait redevenir comme avant ?

– Non, on est là, nous. On est là pour que ça n’arrive pas.

– Tu viens jouer avec nous ?

– Pourquoi pas ?

Claudius s’est installé face à moi pour le repas. Il est pensif. Moi aussi. Je me sens déjà nostalgique d’un monde que pourtant je n’aimais pas. Des choses vont me manquer quand même. Les parties d’inche, par exemple, ou les conversations clandestines, le soir avant de dormir. J’ai l’impression de n’en avoir pas assez profité. Une page se tourne définitivement. J’ai peur aussi que mes amis meurent ce soir. Tous ceux qui me font confiance vont peut-être tomber dans un piège. Je pense à Claudius, qui est à l’origine de cette révolte, qui l’a provoquée pour sauver son ami Numérius, mort aujourd’hui. Vers où ses pensées vont-elles, là, à cet instant ?

– Méto… Méto ? appelle Claudius.

– Oui, pardon ? Tu disais ?

– Les petits étaient sages quand tu as débarqué tout à l’heure sans prévenir ?

– Oui, c’était beau à voir. Je savais qu’on pouvait arriver à un équilibre, ici.

– On aura manqué de temps et d’un peu de chance, déclare Claudius.

Titus intervient brutalement :

– Revenez sur terre, les gars. Ce soir, c’est de survie qu’il s’agit. Pensez à bien manger. Fourrez-vous du pain et du sucre dans les poches. Le rendez-vous est fixé dans une heure. Tout le monde devra se passer le visage et les mains à la suie.

– J’irai surveiller le coucher et je vous rejoindrai le plus vite possible.

– Ton sac est fait ?

– Non, pas encore.

– Je le préparerai pour toi, me propose Claudius. C’est bien que tu continues à t’occuper des petits. Comme ça, ils ne se douteront de rien. Il n’y a rien de spécial que tu désirerais emporter ?

– Si, trois choses : un classeur métallique qui, je l’espère, contient plein de secrets sur la Maison et sur ses habitants, un petit cahier, et aussi un dossier vert avec des documents scientifiques, entre autres sur la reproduction humaine.

– Alors là, tu m’intéresses, intervient Titus avec un large sourire.

– C’est tout ?

– Oui.

Les petits, commençant à sentir les effets de la drogue dissoute dans l’eau, se dirigent rapidement vers les dortoirs. Comme chaque soir, ils plient leurs affaires et se hissent dans leur lit avec précaution. Certains s’endorment à l’instant où leur tête touche l’oreiller.