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– Non, pas exactement, des Bleu foncé en tout cas. Toi, tu as déjà essayé ?

– Moi, j’ai tout fait. Tu commences à me connaître… Lors d’une course-purée, j’ai bien failli m’étouffer. J’en ai rejeté par les narines. Un vrai supplice.

– Et alors ?

– J’ai perdu.

– Je ne vois pas l’intérêt de ce jeu.

– Il faut bien passer le temps.

– Rémus pleure, me glisse Octavius à l’oreille, au moment où nous rejoignons la salle d’étude. Il est assis par terre dans le couloir, la tête dans les mains.

– Quelqu’un lui a parlé ?

– Moi.

– Et que veut-il ?

– Il veut te parler, et à toi seulement.

– J’y vais.

– Ce n’est pas le bon moment. Qu’est-ce que tu vas dire à César ?

– La vérité. Il finit toujours par la connaître, de toute façon. J’y vais.

Je trouve Rémus au bout du couloir est. Il a les yeux dans le vague.

– Qu’est-ce que tu as ?

– J’ai été suspendu d’inche, me répond Rémus.

– Ce n’est pas nouveau. Pour un an, je crois, c’est ça ?

– Oui, mais je devais reprendre bientôt. J’ai demandé à César la date précise de ma réintégration dans l’équipe. Et là, il m’a annoncé qu’ils avaient décidé de me suspendre un an de plus. Dans un an, je ne serai plus là.

– Tu le leur as dit ?

– Oui. Eh bien, ils m’ont assuré que si, que je serai encore là. Moi, je sais que je suis vieux, je suis un Rouge plus mûr que toi, et toi, dans trois ou quatre mois, tu es fini.

– Je vais voir ce que je peux faire. En attendant, lève-toi, tu ne peux pas rester là.

– Non, d’abord, promets-moi que tu vas m’aider. Je veux rejouer au moins une fois, au moins une fois.

– Je m’en occupe. Lève-toi, maintenant.

Il se relève tranquillement et part en direction des dortoirs. Il ne va jamais à l’étude et personne ne lui dit rien. En ce qui concerne sa prolongation, je ne lui ai pas promis de réussir, mais je vais essayer. Si les César avaient eu plus de courage, ils lui auraient directement annoncé qu’il était interdit à vie. Rémus, dans le jeu, peut être d’une violence extrême, d’un acharnement qui fout vraiment la trouille. Je l’ai vu une fois cherchant à casser le bras de Claudius. Il écumait de rage et était totalement incontrôlable. Tous les joueurs s’y sont mis pour les séparer. Il a fallu l’assommer pour qu’il lâche prise. Il est interdit d’inche « pour cruauté ».

Son exclusion a entraîné, pendant plusieurs mois, un arrêt total des matchs. Mais des bagarres éclataient pendant des séances de lutte ou dans les couloirs, et le frigo tournait à plein régime. Et comme la violence contrôlée et organisée est plus facile à gérer, l’inche a été rétabli.

Je rentre dans l’étude. Je viens me planter devant César 3 qui me regarde comme s’il était surpris que je veuille lui parler. Pourtant, si je m’étais glissé discrètement à ma place, j’aurais passé un sale quart d’heure dans son bureau.

– Je viens vous expliquer mon retard : un camarade pleurait, prostré dans le couloir est. Il m’a fait dire qu’il désirait me parler. J’ai pens…, pardon, j’ai…, j’y suis allé sans trop réfléchir.

– Pourquoi ?

– Pourquoi quoi ?

– Pourquoi toi ?

– Je ne le sais pas. Il ne me l’a pas dit.

– Et toi, qu’en penses-tu ?

– Je n’en pense rien.

– Où est-il maintenant ?

– Il s’est relevé et il est parti vers…

– Je sais vers où, tu peux regagner ta place.

– César, j’ai promis d’intercéder en sa faveur…

Il ne relève même pas la tête. Il a mis un terme à la discussion et n’imagine pas que je puisse la prolonger de mon propre chef. J’insiste :

– César ?

– Tu es encore là ? Alors que tu as déjà pris beaucoup de retard dans ton travail ?

Il marque un long silence puis reprend :

– Plus tard, peut-être, on se parlera.

Je n’insiste pas. Une vague promesse de sa part, ce n’est déjà pas si mal.

Je repense à ce que m’a dit Rémus : « Dans trois ou quatre mois, tu es fini. » C’est quoi, finir ? Qu’est-ce qui m’arrivera ? Et Quintus, traîné par deux monstres dans un sac, il y a deux semaines… Qu’est-il devenu ? Est-il encore en vie ? Je me suis fait à l’idée qu’on nous recyclera dans un emploi, ailleurs. On ne peut pas nous avoir entraînés et éduqués chaque jour pour ne rien faire de nous au bout du compte.

Crassus s’est assis en face de moi pour manger. Il a sans doute des questions en réserve. Curieusement, il ne démarre pas tout de suite. Il m’observe sans rien dire pendant la moitié du repas. Qu’attend-il ?

– Rémus, finit-il par lâcher, c’est ton ami ?

– Oui, on peut dire ça. Je ne parle pas avec lui tous les jours, ce n’est pas un bavard. Mais je le connais depuis mon arrivée et c’est un équipier fidèle et efficace à la course.

– C’est un méchant. On m’a raconté des horreurs sur lui.

– Sans doute beaucoup de légendes. Mais il est certain qu’il peut être violent.

– Dans quelles circonstances ?

– Il n’y a pas de circonstances particulières. Ça arrive brutalement, par crises.

Crassus recommence à me regarder comme une bête curieuse. Pourquoi ce soudain intérêt pour Rémus ? L’épisode du couloir a-t-il déjà fait le tour de la Maison ?

Je suis maintenant distrait par un petit Bleu assis à côté de lui. Il vient de pousser son dessert vers son voisin de gauche. Quelle est sa dette ? Je le lui demanderai quand nous quitterons le réfectoire. Crassus, qui a aussi remarqué le manège, m’interroge du regard. On va bientôt savoir.

En sortant, j’aborde le dénommé Kaeso qui m’explique avec légèreté la raison de son régime sans sucre :

– J’ai perdu tous mes desserts du mois en jouant aux petits chevaux. Je n’ai compris que vers la fin de la partie que, malgré les insultes qu’ils s’échangeaient, les autres étaient complices et me tendaient un piège.

– Un mois, c’est trop. Tu veux que j’intervienne ?

– Non, je te remercie. Je serai plus méfiant la prochaine fois. Et puis, je n’aime pas trop les desserts, je préfère le pain.

– Comme tu voudras. C’est qui, ces vautours ?

Il fait comme s’il ne m’avait pas entendu et va rejoindre ses copains. Les rations servies étant très abondantes, ceux qui arnaquent les plus jeunes ne le font jamais par nécessité, mais pour montrer qu’ils ont le pouvoir, qu’ils leur sont supérieurs et pas seulement par la taille. D’ailleurs, les portions taxées sont à peine touchées. Les petits ne se plaignent pas, ils se disent que, plus tard, ils se vengeront. Mais sur qui ? Pas sur ceux qui les ont volés, mais sur d’autres plus petits qui n’avaient rien demandé. Les Bleus envient les grands, même s’ils savent que leur temps est compté.

– Méto, tu voulais me parler ? me demande César 1.

– J’ai promis à Rémus d’intercéder pour lui. Il voudrait rejouer à l’inche une seule fois, une dernière fois.

– Tu sais très bien que c’est une bonne chose pour ses camarades qu’il ne mette plus jamais les pieds sur un terrain. Tu as toi-même déjà eu à subir sa violence.

Je suis étonné par ce qu’il vient de me dire. Je demande :

– Ah oui ? Quand ça ?

– Tu étais Violet, on t’avait mordu dans le bas du dos.

Je me souviens de la douleur. J’avais mis des semaines à cicatriser. Je souffrais terriblement, le soir, allongé sur le dos, avant de m’endormir.

– Mais, César, ce n’était pas lui ! C’était Philippus, il était passé au frigo pour ça et avait disparu assez vite après.

– Ah ? En effet, j’ai dû me tromper. Enfin, pour revenir à Rémus, tu sais qu’il est dangereux ?