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C'est l'occasion ou jamais. Nous attirons Octavius au passage. Claudius, qui semble avoir compris que nous avons une idée en tête, entraîne Titus à l'opposé. Nous suivons Marcus qui court. Devant l'entrée de la grotte, nous demandons à Octavius de commencer à entasser quelques branches tout en faisant le guet.

L'intérieur se rétrécit vite et on ne peut se faufiler que l'un derrière l'autre et accroupis. On s'arrête bientôt pour écouter. Je n'entends rien. Marcus se retourne et chuchote:

- Recule et ne bouge plus. Je crois qu'il veut que j'y aille seul.

Il n'attend pas mon assentiment et continue sa progression. À peine s'est-il éloigné que, déjà, une boule d'angoisse se forme dans ma poitrine. Et si c'était un piège? L'attente me semble longue. Soudain, j'entends un cri d'effroi. Je mets quelques minutes à rejoindre Marcus. Il est évanoui. Je le tire vers l'extérieur. Ses pieds traînent et s'enfoncent dans le sable mouillé. J'arrive épuisé à l'entrée. Marcus semble tétanisé, ses poings sont crispés. On distingue quelques gouttes de sang à l'arrière de son crâne. Octavius se précipite.

- Qu'est-ce qu'il a? On doit retrouver les autres tout de suite ou ils vont s'inquiéter.

Quelques petites claques réveillent bientôt notre ami. Pas le temps de discuter: nous le remettons debout et ramassons le bois rassemblé par notre guetteur. En courant rejoindre les autres, je leur lance:

- Pas un mot sur le sujet. On attend la nuit pour en reparler.

- D'accord, Méto, souffle Marcus.

Dans le silence et la quasi-pénombre, nous attendons d'être sûrs que tout le monde dorme pour grimper dans l'alvéole de Claudius: nous le considérons toujours comme notre chef. Personne n'évoque le fait que Titus, notre ami, n'ait pas été invité, mais je crois qu'à cet instant chacun pense à lui. Marcus refait à Claudius le récit complet des événements. J'apprends ce qui s'est passé au fond de la grotte au moment du cri.

- Une main m'a saisi le bras. J'en ai eu le souffle coupé et je suis tombé évanoui contre un rocher. Je ne me suis réveillé qu'à l'extérieur, quand Méto m'a secoué.

- Tu es sûr que c'était une main... humaine? Ce pourrait être un animal, une chauve-souris, un rat... qui t'aurait effleuré, propose Octavius.

- Non, c'était quelqu'un! Regarde ce que je tenais serré dans ma main en sortant.

Marcus tire de sa poche droite un petit papier couvert d'une écriture malhabile. Je me penche pour attraper la lampe à huile qui occupe une des petites niches.

Olive,

Je peux te livrer des informations sur ta famille. Je t'attendrai ici tous les soirs à minuit pendant les deux prochaines semaines. Viens seul.

CHAPITRE 4

Titus ne dormait pas. Je ne m'en suis pas aperçu pendant que je brûlais le message au-dessus de la lampe à huile ni même en remontant dans ma couchette. Je le réalise seulement à mon réveil, quand je constate que son alvéole reste vide trop longtemps. Je comprends tout de suite qu'il nous a entendus et qu'il s'est senti trahi par ses frères. Puisqu'il en est ainsi, il se tournera vers les autres. Ce matin, il a définitivement choisi son camp. C'est triste mais nous sortons du mensonge et je me sens soulagé. Je préviens mes amis. Je ferai le porte-parole au cas où nous serions interrogés sur notre discussion de la veille. Marcus me promet de ne pas intervenir. Nous attendons notre convocation en faisant comme si de rien n'était.

Un énorme Chevelu vient en effet nous chercher. Nous le suivons tous sans rien demander.

L'accueil est beaucoup moins amical que lorsqu'ils nous ont fait venir pour les oiseaux morts. À la manière des César, ils prennent le temps de nous scruter avant de s'adresser à nous, comme pour déceler notre angoisse ou faire monter la tension. Je ne sais pas pour les autres, mais j'ai vécu cette situation si souvent que j'en sourirais presque.

- Alors, les Petits, on attend vos explications. Soyez brefs et surtout convaincants.

Je regarde mes copains comme pour réclamer le droit de parler en leur nom. Ils acquiescent d'un hochement de tête. Je commence:

- Je pense que notre ami Titus vous a rapporté fidèlement l'échange que nous avons eu hier soir tous les quatre. Je connais son honnêteté et je sais qu'il n'a pas déformé les paroles que nous avons prononcées. Vous savez donc qu'aucune décision n'a été prise à ce moment-là pour tenter quelque chose sans vous prévenir. Nous avions besoin d'analyser la situation de notre côté. Mais, sachant combien la communauté a été frappée récemment à cause de nous, nous aurions décidé, je le sais, de tout vous raconter dès ce matin. Je suis pour ma part persuadé que tout ceci n'est qu'une mise en scène élaborée par ceux de la Maison pour récupérer Marcus.

Les Chevelus se regardent en silence puis leur chef intervient:

- On va encore une fois vous laisser le bénéfice du doute et supposer que vous auriez respecté votre parole. J'ai quand même une question: pourquoi avoir écarté Titus, ton "ami", de votre discussion?

- On ne voulait pas qu'il croie qu'il avait à choisir un camp.

- Sache qu'il est de notre côté maintenant. Vous devez vous mettre dans le crâne qu'ici la sécurité prime sur tout le reste. Vous n'avez le droit à aucun secret envers nous. Nous devons tout savoir sur tout le monde. Nous seuls ensuite sommes aptes à faire le tri des informations. Marcus, tu restes avec nous ce matin. Les autres, retournez brûler les oiseaux. Et sachez qu'il n'y aura pas de prochaine fois.

- Et pour l'enfant qui m'a parlé, qu'est-ce que vous allez faire? demande notre ami avant que nous ne soyons séparés.

- Vous n'avez pas à le savoir, répond Nairgels d'un ton cassant.

De retour à la plage, nous retrouvons Toutèche qui me demande, par gestes, de lui expliquer pourquoi nous étions retenus auprès du Premier cercle. J'aperçois plus loin Titus qui baisse la tête. Je me débrouille pour que nous soyons affectés à la même zone de travail, car j'ai besoin de lui parler. Tordu montre au groupe ce qui constitue la frontière avec le territoire de la Maison: un petit rocher dont la forme évoque une tête d'oiseau de proie. Nous ramassons chacun notre lot de cadavres. Au moment de l'incinération, je me rapproche de celui qui, pour moi, reste notre ami. Il me fait face et affronte mon regard. Je suis partagé entre l'envie de lui faire des excuses et celle de lui faire des reproches.

- Titus, on ne peut pas t'en vouloir. On t'a écarté et tu étais donc libre de faire ton choix. Le fait que tu te rapproches des autres nous rend tristes car on sent qu'on te perd.

- Je veux m'intégrer au plus vite parmi les Oreilles coupées et devenir un combattant respecté. Je n'oublierai jamais ce que nous avons vécu ensemble mais je veux grandir. Et si cela nécessite que nous soyons séparés, tant pis!

Pendant le déjeuner, Toutèche nous montre l'état de sa bouche. Nous constatons le faible avancement du processus d'usure de la pâte à punir. Il nous explique, en écrivant dans le sable, que s'il frotte sa langue dessus sans arrêt, le produit peut devenir irritant et entraîner des saignements et une perte du goût. Octavius, qui a visiblement beaucoup réfléchi au problème, propose une solution:

- On pourrait desceller l'ensemble de la plaque pendant la nuit et la mettre à tremper dans un récipient pour que cela fonde plus vite. Il suffirait de la repositionner chaque matin avec une colle alimentaire.

- Une colle alimentaire? interroge Claudius.

- On peut utiliser du sucre. Quand on le chauffe avec un peu d'eau, il devient liquide puis se solidifie en refroidissant, et il a une couleur vraiment semblable à ce produit. En plus, le goût est bon. Il y a malgré tout quelques risques de brûlures. J'ai fait le test cette nuit au-dessus d'une lampe à huile. Vous pouvez voir le résultat.