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Je traverse successivement les zones des Lézards, des Renards et des Sangliers. Je sursaute au bruit d'une brute qui éructe pendant son sommeil. Ça y est, j'y suis. Avant d'entrer, je prends le temps d'écouter. J'entends distinctement le bruit régulier d'une respiration. J'entrebâille à peine la lourde porte et je me faufile à l'intérieur. Des lampes brûlent sur le sol. Je me souviens de ces murs couverts d'une étrange écriture. Au fond, je distingue des étagères remplies de boîtes de médicaments. Elles sont toutes parfaitement rangées. Un gros livre intitulé Principes de la médecine d'urgence est posé sur une chaise. Je ramasse une lampe sur le sol et j'entreprends de lire tous les emballages, à la recherche de somnifères. Après une dizaine de minutes, je tombe sur quatre flacons de cachets blancs: des sédatifs puissants recommandés en cas d'opérations graves comme des amputations. Je décide de ne pas en voler un.

Je vais plutôt mémoriser la notice et prélever une quinzaine de cachets dans les différentes fioles. Ce sera plus difficile à repérer. Ensuite, je repose la lampe et me dirige vers la sortie. Je suis attiré par l'odeur inhabituelle qui semble venir du recoin où dort le Chamane. Je me cale contre le mur et retiens ma respiration. Je sais ce que je risque s'il se rend compte de ma présence.

Je détaille le dormeur. Ses longs cheveux cachent le haut de son visage. Je remarque que son menton est complètement imberbe. Avant de sortir, je me plaque contre la porte pour m'assurer qu'il n'y a pas de bruit suspect à l'extérieur. Tout est parfaitement calme. Je retourne à ma couchette.

Je suis fatigué mais j'ai du mal à trouver le sommeil, ce visage m'obsède. Il est comme celui d'un vieil enfant. Avant ce soir, je ne connaissais que deux personnes atteintes d'une maladie qui empêche de devenir adulte.

CHAPITRE 5

À l'aube, je grimpe dans l'alvéole de Claudius avant le réveil de nos compagnons et lui montre la poignée de cachets que j'ai réussi à voler.

- Je ne te demande pas comment tu as fait, commence-t-il.

- Non, c'est mieux que tu ne saches pas. Il faudra trouver une solution pour les lui faire avaler au moment du repas. Je ne suis pas sûr que le médicament n'ait aucun goût.

- Confie-moi quelques pilules, je vais faire des tests. Je serai prêt demain soir. D'ici là, reste près de lui et évite qu'il ne prenne des risques inutiles.

Toutèche nous explique pendant le petit déjeuner qu'il ne met plus sa muselière à tremper la nuit, car elle fond trop vite. Il ne veut pas battre des records; cela pourrait laisser croire qu'il a triché ou bien que la pâte n'était pas assez épaisse au départ et qu'il faudra augmenter la dose pour la prochaine fois. Il ira donc montrer au Premier cercle qu'il a fini sa peine en début de semaine seulement. Il se passe sans cesse la main sur le menton en souriant. Sa barbe commence à être visible. Ce n'est déjà plus un nouveau-né.

Radzel vient nous annoncer que nous quittons les Plageurs pour rejoindre ceux qui entretiennent les galeries.

- Ce matin, il s'agira d'une simple visite mais, dès cet après-midi, vous manierez la pioche et la pelle. Finies, les promenades au grand air!

C'est Èprive, avec un bandeau autour de la tête et son nez bleuâtre, qui nous sert de guide. Il essaie de sourire mais on sent qu'il n'est pas tout à fait remis de son choc de la veille et qu'il peine à trouver ses mots.

- Nous allons circuler le plus souvent à couvert, explique-t-il. Dans les souterrains, les risques d'éboulement sont réels. La roche s'effrite suite aux pluies ou aux dégradations volontaires de nos ennemis. Nous devons laisser des espaces entre nous lorsque nous progressons et porter les casques de l'inche.

Nous nous enfonçons en file indienne dans un boyau étroit où l'on ne peut progresser qu'à quatre pattes. Nous débouchons dans une première chambre percée d'un trou circulaire à son sommet. Elle ressemble à s'y méprendre à l'endroit où j'ai atterri pendant la bataille.

- Voici une entrée de secours. Quand vous fuyez l'ennemi à la surface, vous pouvez emprunter ces passages secrets. Si vous participez un jour à la "chasse" ou à une bataille, vous apprendrez à mémoriser leur localisation. Ils sont presque invisibles de l'extérieur car camouflés par des buissons. Il faut plonger tête la première dedans. La cheminée freine votre chute et ensuite vous pouvez retrouver la grotte principale grâce aux passages.

- Mais la largeur du trou est adaptée à quel gabarit? demande Octavius. Aux Sangliers ou aux Vipères?

- Aux Sangliers, ce qui fait qu'un gars de petite taille doit écarter les bras et les jambes pour freiner sa descente; mais les Sangliers doivent veiller à ne pas trop grossir car on ne peut sans cesse élargir les entrées, elles seraient trop facilement repérables.

- Et c'est déjà arrivé qu'un gros reste coincé dans un trou? reprend mon copain en rigolant.

- Malheureusement oui, et cela ne nous a pas fait rire. Il s'en est finalement sorti, mais en causant la disparition de trois frères qui voulaient plonger à sa suite. Nous entretenons aussi les trous d'aération et les puits de lumière. Chaque jour, nous parcourons des centaines de mètres de galeries pour vérifier qu'aucun passage n'a été bouché par l'ennemi. Ce matin, nous ferons la tournée ensemble.

Le rythme de la visite est très intense. Èprive s'arrête souvent pour sonder la roche avec son bâton et prendre des notes. Il nous montre à chaque fois ce qu'il écrit. On a déjà une idée de notre activité de l'après-midi: déblayer un éboulement qui bouche partiellement un passage, étayer la voûte d'une chambre qui s'écroule ou commencer le perçage d'un nouveau tunnel. Je remarque qu'à plusieurs reprises notre guide touche son front avec sa main droite.

- Nous allons maintenant visiter un poste avancé de surveillance. Comme il n'est relié à aucun souterrain, nous sommes obligés de ressortir. Étant situé tout près de la frontière, il est très exposé aux tireurs isolés de la Maison qui nous prennent pour cibles quand nous nous déplaçons. Il faudra donc être particulièrement vigilants. Si vous voyez un de vos équipiers se jeter au sol, faites de même sans réfléchir; il aura peut-être perçu un bruit que...

Il marque un temps pour retrouver le fil de sa pensée:

- Le bruit... le bruit que vous n'avez pas su, euh... discerner. Allez, on y va.

Je regarde mes copains, qui semblent plus inquiets de l'état de fatigue de notre nouveau chef que de la marche à effectuer à découvert.

Il n'y a qu'une vingtaine de pas à faire pour gagner le poste de surveillance. Nous nous laissons ensuite glisser dans une tranchée profonde de plus de deux mètres. Èprive reprend à voix basse:

- Comme nous sommes juste à côté des positions ennemies, nous devons rester discrets. Ces postes sont occupés en permanence par des guetteurs qui se relaient sur l'échelle par tranches de deux heures. En cas d'attaque-surprise, ils font retentir la cloche pour prévenir les autres postes et la grotte principale.

Notre guide est épuisé. Il ferme les yeux régulièrement quelques secondes, comme pour récupérer de ses efforts. Je le sens au bord de l'évanouissement. Claudius me fait un signe qui confirme mes craintes. Je décide d'intervenir:

- Camarade, tu ne vas pas bien. Il faut rentrer te faire soigner.

- Ça ira, les Petits, j'ai presque fini.

À peine a-t-il terminé sa phrase qu'il se plie en deux pour vomir. Il se tient contre la paroi et reprend son souffle. Les trois guetteurs au repos, qui jusque-là nous ignoraient totalement, se rapprochent.