Выбрать главу

- Cela doit être possible, commence Octavius, maintenant que nous sommes plus libres. Le plus gros problème, c'est lui. Aura-t-il envie de te recevoir? Il est parfois difficile à aborder.

- Je t'accompagnerai après le travail, propose Marcus. Il m'aime bien.

- Parfait.

- Il l'appelait son petit poulet, s'amuse Claudius. Quoique, quand on voit avec quel entrain il les décapitait vivants avant de les préparer, tu devrais drôlement te méfier!

La journée est épuisante. Nous creusons et déblayons jusqu'au soir. Cela a au moins l'avantage de me faire oublier, par moments, la menace qui plane au-dessus de moi. Comme promis, Marcus me présente à Louche qui m'accueille froidement par une petite moue qui signifie que je ne l'intéresse pas du tout. Mon ami se sent obligé de faire mon éloge:

- C'est un gars très intelligent qui a déjà résolu plein de problèmes compliqués quand nous étions à la Maison et même depuis que nous sommes à l'extérieur.

Le cuisinier se tourne alors vers moi et m'interpelle:

- Méto? C'est ça, ton nom? Je vais te dire les choses clairement: tu m'impressionneras le jour où tu trouveras comment quitter cette foutue île pour retrouver la civilisation!

- C'est dans mes projets aussi, j'ai déjà commencé à y réfléchir. Si je vis assez longtemps, je trouverai un moyen, je te le promets.

Il me regarde sans sourire. J'ai le sentiment que ma remarque a fait son effet et qu'il me croit. Nous le saluons avant de partir. Il nous gratifie d'un clin d'œil et d'un "À très bientôt alors, les petits gars".

Lorsque nous partons rejoindre nos camarades, Marcus me glisse à l'oreille:

- Pourquoi tu as dit "Si je vis assez longtemps"? Je te trouve bizarre depuis ce matin. Tu te sens menacé?

Comme je fais mine de ne pas comprendre, il insiste:

- Méto, si on veut survivre ici, on doit avoir une totale confiance l'un en l'autre. C'est le cas pour moi. Jamais je ne douterai de toi. J'attends de ta part que ça soit réciproque.

Je réponds d'un ton ferme:

- Bien sûr que c'est réciproque!

- Et cette idée de quitter l'île, cela te paraît possible? Si c'est le cas, je veux en être.

- Je n'ai jamais imaginé m'enfuir sans toi!

Nous rejoignons les autres en silence.

Lors de la veillée, je retrouve, comme d'habitude, l'ancien monstre-soldat. Je délaisse mes copains, mais ils ne m'en tiennent pas rigueur. Ils pensent que j'y vais uniquement pour recueillir des informations sur l'île et la Maison, que je leur transmettrai ensuite. Mais j'apprécie de plus en plus Affre, qui, malgré son expérience, me parle comme à un égal. J'ai aussi été très ému par le récit de sa vie, par les choix douloureux qu'il a dû faire. Enfin, j'ai l'impression qu'il m'aime bien.

- Bonsoir, Affre.

- Bonsoir, Méto. J'ai enquêté aujourd'hui. Maintenant que je suis hors cercle, c'est plus compliqué pour moi. Certains, me devant beaucoup, parfois même la vie, acceptent de me parler mais en y mettant une condition.

- Laquelle?

- Toujours la même. Ils me disent: "Je te donne ce renseignement à condition que tu me promettes de ne jamais plus t'adresser à moi." Je dois donc faire attention à ne pas les interroger à la légère.

- Je comprends. Je te remercie de ce que tu fais pour nous.

- Je sais que tu ferais la même chose pour moi si je te le demandais. N'est-ce pas, Méto?

- Bien sûr, dis-je timidement.

- Mais revenons à notre affaire. Certains membres m'ont confirmé que des Lézards étaient en tractation secrète avec des émissaires de la Maison qui seraient prêts à déclarer une trêve et surtout à leur rendre le corps de Lazdre, leur héros disparu durant votre évasion. Mes informateurs ne savent pas ce que les Lézards ont à proposer en échange mais il s'agit peut-être de ton ami. Tu sais que, dans le carnet "AGE", Marcus est le seul sans lettre attribuée...

- Tu as eu accès au carnet que j'ai rapporté de la Maison! Au reste aussi?

- Pas directement, Méto. Mais quelqu'un que je connais travaille dans la salle des écrits; il a eu pour charge de l'étudier en détail et même de l'apprendre par cœur. C'est une précaution prise pour limiter les conséquences des vols.

- Tu peux donc me dire à quoi correspondent les lettres G et E?

- Je suis sûr que tu as déjà un début d'explication. Je me trompe? Je te crois capable de trouver sans moi. Et puis, ne perdons pas de temps avec ça. Pour notre affaire, nous avons deux possibilités. Éventer le complot, en utilisant une lettre anonyme envoyée au Premier cercle. Les Lézards seront alors convoqués et nieront en bloc. Puis ils annuleront d'eux-mêmes leur échange avec la Maison et on n'en reparlera plus. Nous pourrions aussi les piéger et dénoncer la négociation, mais cela, tu t'en doutes, comporte de nombreux risques pour nous et plus particulièrement pour Marcus. Je te laisse y réfléchir et consulter tes proches, si tu fais le choix de les mêler à cette aventure. Prends ta décision. Dans les deux cas, je te suivrai. Bonne nuit, Méto.

Je comprends qu'il veut arrêter là la discussion. Je m'y résigne.

- Bonne nuit, Affre.

Ce soir, quand je retrouve ma couchette, je soulève machinalement mon oreiller. Les cachets ont carrément disparu. J'essaie de me raccrocher à l'idée que c'est Claudius qui a décidé de les prendre, dans la mesure où c'est lui qui s'occupe de les faire avaler à notre ami, mais je doute que ce soit le cas. Je redescends de mon alvéole pour aller vérifier que Marcus est endormi. Il l'est. Curieusement, Claudius dort déjà lui aussi. Je vais interroger Octavius. Il me répond qu'il les a vus partir ensemble au milieu de la veillée, Marcus regrettant de ne pas avoir le courage d'aller se doucher.

De nouveau, je reste éveillé. J'ai peur et la discussion avec Affre a soulevé beaucoup de questions. Il me paraît évident qu'il faut faire mine d'accepter la rencontre avec Marcus pour piéger les Lézards. Cette stratégie mettra fin aux agissements de ces reptiles et permettra à mon ami de vérifier par lui-même qu'il avait affaire à un complot.

Le fait que la Maison ne semble pas envisager sa future fonction, en ne lui attribuant aucune lettre, pourrait vouloir dire que sa simple existence le rend intéressant. Je ne parviens pas à m'endormir mais je ne peux pas non plus profiter de cet état de veille pour réfléchir. Des images viennent sans arrêt brouiller mon esprit. Je sursaute au moindre bruit. Quand le matin arrive, je me sens mieux, comme si j'avais survécu à une épreuve. Mais, en marchant pour aller déjeuner, j'ai l'impression que des forces me tirent vers l'arrière pour m'empêcher d'avancer. Je m'assois près de mes camarades qui semblent parfaitement reposés. Au milieu d'eux, je me sens protégé, je me laisse aller et sombre brutalement sans avoir rien avalé.

On me secoue. Mes copains me parlent. Je perçois la voix de Marcus:

- On t'a laissé dormir le plus longtemps possible mais, là, il faut vraiment y aller. Tu veux venir ou retourner te coucher?

- Je veux rester avec vous. Je ne sais pas ce que j'ai, mais je dors mal la nuit.

- Tout le contraire de nous, déclare Claudius. N'est-ce pas, Marcus, on s'endort super tôt, tous les deux!

Mon copain sourit bizarrement, peut-être a-t-il déjà compris. Je les suis. Peu à peu, je reprends le dessus. Claudius sort de ses poches les morceaux de pain et les deux barres de chocolat de mon petit déjeuner. Il me les tend. Bien que je n'aie pas envie de manger pour le moment, je récupère les provisions. Arrivés sur notre lieu de travail, mes amis s'organisent pour me ménager, ils m'invitent même à reprendre mon somme commencé au déjeuner. Acceptant leur proposition, je m'écroule sans attendre sur un tas de gravats. Quand je me réveille, je vais nettement mieux, même si cette position très inconfortable m'a laissé des courbatures. J'avale mes morceaux de pain et offre mon chocolat à mes amis. Seul Claudius cède à la tentation et engloutit les deux morceaux.