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- Tu n'aimes pas la cuisine préparée par les Oreilles coupées?

- Je préfère décider de ce que je mange et puis ça m'occupe. En dehors des lendemains de bataille ou de matchs d'inche et des séquelles de leurs rituels imbéciles, je suis souvent inactive.

- Quels rituels?

- Demain, ils vont trancher les lobes de ton ancien copain Titus sans aucune raison valable, puisqu'il ne portait pas l'anneau. Ils vont le charcuter avec un couteau mal stérilisé. Alors, il souffrira le martyre pendant des jours mais n'osera pas se plaindre parce que c'est une brute comme les autres. Quand on me l'amènera, il sera bien infecté. Au fait, il est affublé désormais du nom ridicule de Sangelir. J'espère qu'il sera moins cruel que celui qui le portait précédemment.

- Titus est un tueur. Il le sait depuis toujours et il nous l'a prouvé. Mais c'est encore mon ami. Où es-tu allée hier?

- J'étais dans la Maison.

- Comment fais-tu pour y pénétrer?

- J'ai un trousseau de clés qui me permet entre autres d'accéder à la réserve des médicaments.

- Et tu ne fais jamais de mauvaises rencontres?

- J'y vais pendant l'heure morte, les nuits où les Renards n'y sont pas non plus...

- J'aimerais faire passer un message à Décimus pour lui dire que je ne l'oublie pas. Tu sais, c'est un des Petits dont je t'ai parlé hier.

Elle me sourit. Je la regarde droit dans les yeux avant de demander:

- Tu ne vas pas me tuer? Tu sais que tu peux avoir confiance, que je ne te dénoncerai jamais.

Elle se lève sans me répondre et me tourne le dos. Elle revient avec sa seringue et me la plante sans même lever les yeux vers moi. Je me laisse faire, j'ai parlé trop vite.

Quand je me réveille, elle est près de moi et m'observe. Elle a dû prendre sa décision.

- Petit Méto, j'ai trouvé un message pour toi devant l'entrée de l'Entre-deux.

Elle me tend la feuille dépliée.

Méto,

On a besoin de toi. Marcus a disparu cette nuit. Octavius et moi espérons que tu vas bien. Claudius.

Je m'agite. Il faut qu'elle comprenne.

- Eve, je dois les rejoindre. Je ne peux pas abandonner Marcus. Je t'ai parlé de lui, il est comme mon frère et j'ai toujours veillé sur lui. Je te jure sur sa tête de ne jamais te trahir. Je te supplie de me laisser sortir.

Une douleur me tord le ventre, j'ai envie de crier. J'essaie de me maîtriser et de capter son regard. Elle est comme absente et ses yeux paraissent vides.

- Je... je te promets aussi de tout faire pour retrouver la trace de ton frère! Je... je connais des gens qui savent. Je vais les interroger... Je reviendrai t'aider, je te le promets... Comment s'appelle-t-il?

- Comment comptes-tu t'y prendre? J'ai déjà tout essayé.

- J'ai rapporté du bureau des César un classeur dont je n'ai pas encore découvert le code. D'après moi, il renferme tous les renseignements sur les enfants passés sur l'île.

Nous restons de longues minutes silencieux, à nous regarder. Finalement, elle déclare en détachant bien ses mots:

- Si tu me trahis, je te tuerai aussitôt. Tu as compris?

Je hoche la tête. Je n'ose pas encore me lever, même si je crois comprendre qu'elle va me laisser partir. Elle reprend:

- Tu reviendras?

- Oui, je te le promets. Je suis sûr que je peux t'aider.

À ma propre surprise, je sens que j'ai envie de revenir.

Je reste persuadé qu'elle a beaucoup à m'apprendre. Et elle est si différente. Elle semble lire dans mes pensées car elle ajoute:

- Attends la nuit pour sortir et n'oublie pas de remettre tes vêtements puants avant d'y aller.

Je guette dans la pénombre le moindre bruit suspect. Puis je me lance. Les feux ne brûlent plus depuis longtemps, mais j'ai appris à me repérer. C'est comme autrefois dans le dortoir, quand on était de service pour éteindre la lumière et qu'il fallait zigzaguer dans le noir absolu au milieu des lits si fragiles avant de retrouver le sien. Mes copains dorment. Je grimpe à l'échelle et je me glisse dans mon alvéole. Dès que je ferme les yeux, je vois Eve. Quand je le pourrai, je retournerai la voir. De toute façon, elle sait où je suis, elle n'hésitera pas à venir me chercher.

Claudius me secoue. Il est visiblement soulagé et heureux de me revoir vivant.

- On a vraiment cru qu'on t'avait perdu! Octavius, viens voir! Méto est là.

J'entends, en réponse, les mots étouffés de notre ami:

- Je sais, je sais, j'arrive.

Je comprends qu'il est en train de pleurer sous le coup de l'émotion et qu'il se cache. Je me lève, monte dans son alvéole et le prends dans mes bras quelques minutes. Les sanglots s'apaisent. Il est temps de revenir aux choses sérieuses.

- Et Marcus?

- Radzel l'a fait libérer après l'avoir forcé à des excuses publiques. Le Premier cercle avait décidé de le séparer de nous pour qu'il effectue sa rééducation plus efficacement.

- Ça veut dire quoi, sa rééducation?

- C'est une période plus ou moins longue où on fait comprendre ses erreurs à un enfant et "on lui enfonce dans le crâne, par tous les moyens, les vraies valeurs de la communauté". Ce sont les mots exacts de Radzel que je te rapporte.

Claudius me raconte ensuite en détail toutes les démarches qu'ils ont entreprises pour retrouver Marcus. Ils ont d'abord exploré la grotte et ses alentours avec minutie. Ils ont ensuite harcelé Radzel et les Lézards qui l'avaient fait emménager auprès d'eux pour le surveiller. Ces traîtres leur ont dit qu'ils avaient uniquement reçu l'ordre d'empêcher notre ami de blasphémer à nouveau, mais que Marcus était autorisé à prendre sa douche à minuit et à faire un détour par la plage en revenant. On ne pouvait pas être plus explicite sur leur implication dans sa disparition, et Marcus était tombé dans le piège. Quand, enfin, ils ont fait part à Nairgels et au Premier cercle des soupçons qu'ils avaient vis-à-vis du clan de Radzel et de leur inquiétude au sujet du sort de notre ami, ils se sont entendu répondre qu'on n'allait pas risquer des hommes pour partir à la recherche d'un enfant qui refusait les règles de vie des Oreilles coupées. Claudius en a conclu qu'on ne pouvait compter que sur nous-mêmes.

- Eh bien, dis-je avec un ton que je veux assuré, nous allons rentrer nous-mêmes en contact avec la Maison.

CHAPITRE 8

Pendant la matinée, nous découvrons enfin l'occupation principale des Oreilles coupées: la chasse. Nous sommes guidés par un Renard nommé Darren. Il nous explique que cette activité est pratiquée par trois groupes: les Renards, les Sangliers et les Faucons. Ces derniers se déplacent dans les arbres et surprennent leurs adversaires en leur tombant dessus. Les Sangliers se déplacent surtout à quatre pattes ou en rampant sous les branches basses des sapins et n'hésitent pas à aller au contact. Les Renards utilisent plutôt la ruse et sont particulièrement actifs la nuit.

- Et quel est le rôle exact des Lézards? demande Claudius.

- Hein? fait notre guide, un peu gêné. Ils chassent aussi parfois mais ils sont plus spécialisés dans la sécurité.

- C'est-à-dire? insiste mon ami.

- En fait, ils nous surveillent, précise-t-il en baissant le ton, nous, les autres membres de la communauté; ils cherchent aussi des renseignements auprès des autres habitants de l'île, essentiellement des serviteurs. Ils sont très puissants. Mais nous ne sommes pas là pour parler d'eux.

Darren nous entraîne à travers de minuscules sentiers. Nous devons comme d'habitude nous jeter à plat ventre sans réfléchir si notre guide le décide. Nous progressons lentement car, peut-être pour nous tester, il plonge très souvent. Enfin, nous nous arrêtons sur une hauteur pour observer une scène de chasse. Quelques Renards suivent de loin des serviteurs qui tirent une charrette à bras pleine de sacs de patates. À l'occasion d'un virage, deux serviteurs retirent un des sacs et le cachent dans des fougères. Ils poursuivent ensuite leur chemin comme si de rien n'était. Les Renards, arrivés sur les lieux quelques minutes plus tard, récupèrent le sac. Je chuchote à l'oreille de Darren: