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Avant, ils faisaient tout pour nous préserver, maintenant ils veulent nous endurcir. Ils vont peut-être enfin nous considérer comme des adultes.

16 décembre 1975

Là, on ne joue plus. Gilles a disparu, vraiment disparu. Mes parents pensent qu'il s'agit d'une fugue. Je ne peux pas y croire. Je suis sûre qu'il ne serait pas parti sans me laisser un mot. Pourquoi aurait-il fugué, d'abord? Il est trop jeune pour faire ça. Il n'avait pas eu de bons résultats trimestriels pour son début au collège mais cela ne l'avait pas traumatisé. Il disait qu'il serait sportif professionnel. Je ne comprends pas pourquoi mes parents semblent tellement résignés.

Quand j'y repense, je les ai beaucoup vu pleurer ces dernières semaines, mais c'était avant que Gilles ne disparaisse. J'ai surpris une fois papa dans la voiture, dans le garage, en train de pleurer sur le volant. Et maman avait les yeux rouges tous les soirs quand on rentrait de cours. On dirait que maintenant ça va mieux pour eux.

24 décembre 1975

Je ne peux pas imaginer passer Noël sans mon frère chéri. S'ils ne font rien, je partirai à sa recherche toute seule. Mon père va tous les deux jours au commissariat pour se tenir au courant des recherches. Mais il n'apprend rien. Je suis certaine qu'il ne pose pas les bonnes questions ou qu'il n'insiste pas assez. Après-demain, je vais l'accompagner.

25 décembre 1975

Je n'ouvrirai pas mes cadeaux. J'attends le retour de mon frère.

26 décembre 1975

Mon père s'est énervé. Il a refusé que je vienne avec lui. Il m'a dit que, de toute façon, la loi l'interdisait.

Ma copine Sophia m'a confié qu'on avait kidnappé sa sœur de huit ans pendant la nuit, il y a quatre mois, mais que ses parents lui avaient interdit d'en parler. Elle m'a dit que c'était aussi arrivé au petit frère d'une copine, qui avait disparu sur le chemin de l'école.

30 décembre 1975

J'ai la certitude qu'on me cache depuis longtemps quelque chose de très grave, d'inavouable (c'est le mot qu'a employé Sophia qui pense comme moi). Quand j'ai dit à ma mère que je ne voulais pas attendre encore trois ans pour avoir le droit d'accéder aux informations, elle s'est mise à pleurer: "Ne rajoute pas à notre malheur!" Je sais bien que des enfants ont été retirés à la garde de leurs parents parce qu'ils avaient enfreint cette loi mais, pour une fois, on pourrait tricher! Ils savent bien qu'il n'y a pas assez de policiers pour contrôler tout le monde.

1er janvier 1976

Je vais quitter la maison dès cette nuit, quand ils dormiront. Je ne sais pas si je les aime encore.

Aujourd'hui, en fin d'après-midi, j'ai suivi discrètement mon père au commissariat et je l'ai vu s'asseoir et regarder sa montre. Il a déplié son journal et l'a lu durant trente minutes sans rien demander à personne. Puis il est ressorti. Depuis le début, il faisait semblant. À la maison, j'ai piqué une crise devant ma mère. Je m'attendais à ce qu'elle s'énerve aussi, mais j'ai compris à leur regard qu'ils étaient complices. J'ai peur mais je ne peux pas rester une minute de plus avec eux.

4 janvier 1976

J'ai dépensé presque tout mon argent pour payer le billet de train jusqu'au Port E10. Après quelques heures à errer dans les rues, j'ai rencontré un type qui m'a aidée. Il s'appelle Garry. Il est comme moi.

Il cherche aussi son petit frère parce que ses parents ne font rien. Il a trouvé près de la mer une maison de vacances inutilisée et a décidé de la squatter. Nous allons y rester le temps de nos recherches. Ce qui est bien, c'est qu'on peut se laver et faire des lessives. J'occupe la chambre de la fille de la famille. J'ai presque l'impression d'être à la maison. Garry a eu la bonne idée de piquer de l'argent à ses parents avant de partir. On peut faire les courses avec et manger à notre faim.

Il a entendu parler de bateaux qui transportaient des enfants sur des îles pas très loin d'ici, comme Esbee, Hélios, Siloë, Sélène, Dodgen et Denfark.

5 janvier 1976

Je sais où est Gilles. Il est sur Hélios. C'est à environ trente milles marins d'ici. Le frère de Garry est au même endroit. On le sait parce qu'on a appris qu'"ils" sélectionnaient les enfants en fonction de l'âge et du sexe. Garry a même pu vérifier les noms sur une liste laissée à la capitainerie du port avant le départ. J'ai immédiatement téléphoné à ma mère pour qu'ils aillent chercher mon frère. Mais elle m'a dit de revenir tout de suite et de ne pas m'occuper de cette histoire. Il est clair qu'ils sont complices de sa disparition. Je vais le ramener toute seule, moi, mon Gilou.

Eve me prend le journal des mains. Tant de questions se bousculent que je ne résiste pas à l'envie de l'interroger:

- Mais alors, il existerait aussi des Maisons pour les filles? Et les parents sont au courant et ils laissent...

- Plus tard, coupe-t-elle en me caressant les cheveux, plus tard, Méto. Il faut que tu rentres, maintenant.

À demain soir.

Je retourne à ma couchette sans prendre de précautions. Je suis trop bouleversé par ce que je viens de lire. On nous aurait vraiment abandonnés, alors.

Ce matin, ce sont les Faucons qui nous prennent en charge. Comme la veille, nous devons piller une cabane. Elle est située à proximité d'une des entrées de la Maison et donc d'un poste de garde. Nous ne voulons pas le montrer mais nous n'en menons pas large. Très vite, nous sentons que les choses ne seront pas aussi simples. Une détonation retentit alors que nous venons juste de forcer la serrure. Devant nous surgissent des soldats, qui nous visent de leurs fusils. Nous nous plaquons au sol, les mains sur la tête, incapables du moindre mouvement. Serait-on victimes d'un traquenard? Puis, très vite, d'autres coups de feu éclatent ailleurs et des Sangliers surgissent d'un fossé en hurlant avant de plonger à quatre pattes sous les sapins. Les soldats sautent à leur suite et semblent se désintéresser de nous. Nous n'étions que les appâts. Nous rampons nous mettre à l'abri derrière une souche. La bataille s'est déplacée en contrebas. Les Renards en profitent pour piller les salaisons entreposées dans la cabane. Nous nous relevons et observons de loin l'affrontement. Des corps à corps s'engagent à différents endroits.

À la fin de l'après-midi, les clans comptent leurs membres. Il y a quelques fractures mais pas de blessés graves. Curieusement, les soldats n'ont pas utilisé leurs fusils, comme s'ils voulaient préserver leurs adversaires. De loin, on aurait pu croire qu'ils s'entraînaient ensemble ou qu'ils jouaient à une variante de l'inche. Avec beaucoup de conviction tout de même, au vu des dégâts physiques.

Je suis convoqué par le Premier cercle avant le repas.

- Méto, il paraît que tu pourrais ouvrir le classeur gris, commence Nairgels.

- J'ai dit que je pouvais essayer.

- Comment comptes-tu t'y prendre?

- J'ai eu à décrypter des codes pour préparer notre révolte. Je sais que Jove ne choisit jamais au hasard les combinaisons. Il faut tenter de raisonner comme lui. Si vous me laissez deux ou trois heures en compagnie de mes amis chaque jour avec du papier et des crayons, et que vous nous permettez ensuite de tester nos hypothèses, je crois pouvoir y arriver en une semaine.