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- Pourquoi avec tes amis?

- Je ne veux pas qu'on soit séparés, c'est trop dangereux ici. Vous n'avez pas su protéger Marcus et maintenant nous n'avons plus confiance.

- C'est nous qui fixons les conditions. Pas toi. Ici, tu n'es rien! hurle Nairgels.

- À vous de voir, mais mon cerveau ne fonctionne pas bien sous la contrainte. Bonne soirée.

Sans voix, ils me regardent quitter la tente. À cet instant précis, ils me détestent. Je sais aussi que je prends le risque de subir le même sort que Marcus si je m'oppose à leur autorité. Mais il y a urgence. Je veux croire que, lorsqu'ils auront réfléchi calmement, ils viendront me chercher. Les Lézards en charge du décodage doivent commencer à perdre patience.

Avant de rejoindre mes amis, je décide de rendre visite à Louche. Il me reçoit avec un petit sourire que je n'arrive pas à interpréter.

- On peut parler tranquillement, là?

- Non. Viens plutôt pour la vaisselle et amène les autres, ainsi je pourrai donner congé à mes deux aides.

Comme convenu, nous retrouvons le cuisinier un peu plus tard. Nous faisons volontairement du bruit avec les ustensiles car nous nous savons surveillés à distance. Je lui demande de m'expliquer ce qui est essentiel pour réussir à quitter l'île. Il savait que j'étais là pour ça. Il tire un papier de sa poche et me le pose sous les yeux.

Conditions pour réussir

- être plusieurs

- trouver des amis capables de faire diversion et de résister à l'envie de partir -savoir à quelle heure et à quel endroit précis mouillera le bateau

- être armés

- savoir utiliser un bateau et se repérer en mer

Je suis surpris que le cuisinier ait ainsi devancé mon attente. Jusqu'à présent, je le voyais plutôt comme quelqu'un cherchant juste à profiter d'une opportunité pour s'enfuir, mais n'ayant pas l'intention de s'impliquer dans la préparation. Je suspecte mon ami Affre de ne pas être étranger à ce changement. En faisant la plonge, je jette de temps à autre un coup d'œil sur la liste. Mes amis font de même. La vaisselle terminée, Louche enflamme le papier au-dessus d'un des brûleurs de la cuisinière à bois.

Je repars avec Octavius et Claudius qui semblent affolés par l'ampleur de la tâche à accomplir. Je ne suis, pour ma part, pas persuadé que toutes les conditions énoncées soient absolument nécessaires.

Avant de regagner ma couchette, je passe dire bonsoir à Affre qui m'attendait.

- Alors, ils vont te confier le classeur gris.

- Je n'en suis pas sûr.

- Ce n'est pas une question, Méto, j'en ai eu la confirmation il y a cinq minutes. Vous devez tout mettre en œuvre pour quitter l'île au plus vite. Un bateau ravitaille la Maison environ deux fois par mois. Pour avoir des précisions sur son prochain passage, vous allez rentrer en contact avec les serviteurs du camp numéro 7 car ils participent au débarquement des marchandises.

Je lui raconte ma visite chez Louche. Il sourit comme s'il savait déjà tout.

- Il t'a dit que c'était moi qui organiserais la diversion?

Même si j'avais eu l'intuition qu'ils étaient proches, je ne peux m'empêcher de m'étonner.

- Tu pouvais te douter qu'un homme de sa qualité devait compter parmi mes amis. Tu en découvriras bientôt un autre, un qui possède une documentation impressionnante sur des sujets très divers comme...

- La navigation, par exemple?

- Par exemple. Bonsoir, Méto.

- Bonsoir, Affre.

Je repars tout joyeux. J'espère trouver cette nuit de quoi soulager ses douleurs. Il est tellement bon. En approchant de notre coin, je vois un attroupement. Mes copains sont pris à partie par quelques Lézards. Le ton monte. Octavius et Claudius sont plaqués contre la paroi mais ils font face. Je suis étonné que les gars responsables de l'ordre ne soient pas déjà intervenus. Mon arrivée crée une petite diversion. Radzel, le "cruel", qui ne fait plus mystère de sa haine à notre égard, m'accueille par des mots doux:

- Et voilà le pire de tous! Méto, qui se croit tellement supérieur, alors que c'est un petit rien du tout!

- Bonsoir, Radzel, tu viens nous donner des nouvelles de Marcus?

La tension est extrême. Si les coups partent, nous n'aurons pas le dessus. Je dois trouver un moyen d'éviter la bagarre. Je reprends:

- Toi qui es bien renseigné, tu dois savoir qu'à partir de demain le Premier cercle va nous confier une mission aussi secrète qu'importante. Une mission difficile sur laquelle beaucoup ici se sont cassé les dents. Il ne faudrait donc pas que certains nous empêchent de bien commencer la nuit. Nous devons être en forme au réveil. Je pense que tu es d'accord?

Je sens sur son visage comme une hésitation. Il est partagé entre l'envie de nous réduire en poussière et celle d'obéir à sa hiérarchie. Il tourne les talons et sa petite troupe avec. Je sais où il va. J'espère que la manière dont il racontera cet épisode ne les fera pas changer d'avis. Mes amis me tapent sur l'épaule.

- On avait dit qu'on devait toujours rester ensemble, déclare Octavius. Je préfère quand tu es là.

- Je crois, en effet, ajoute Claudius, que ce n'est qu'un début.

Nous décidons en conséquence d'aller ensemble aux toilettes et de rentrer ensuite directement nous coucher.

Je saisis une lampe à huile et commence à rédiger mes messages.

Décimus,

Nous sommes vivants et nous tiendrons notre promesse. Courage. Méto.

Rémus, mon ami,

Une promesse est une promesse. Je te propose de faire enfin notre partie d'inche. Nous suivrons les règles habituelles en cours à la Maison mais jouerons sur un terrain neutre, dans la clairière près de l'entrée ouest. Nous devons chacun de notre côté négocier une trêve pendant la durée du jeu. Si nous gagnons, vous nous rendrez Marcus. Si vous gagnez, je me livrerai à ton père. À très bientôt.

Méto.

Je voulais me reposer une petite heure avant l'expédition à la Maison, mais je me suis endormi. Il est tard. J'espère qu'Eve m'aura attendu. Je prends quand même les précautions habituelles avant de la rejoindre. Elle est prête, la peau noircie et vêtue comme un guerrier. Elle étale elle-même la suie sur mon visage. Je la suis dans la nuit. Elle se faufile dans les boyaux du labyrinthe sans marquer la moindre hésitation. Nous émergeons, après un bon quart d'heure de marche, à proximité d'une porte rouillée fixée dans la falaise. Elle l'ouvre sans difficulté. Nous entamons la montée de six séries de marches et débouchons dans un débarras semblable à celui emprunté pour notre évasion. Nous progressons dans les couloirs en silence, à l'affut du moindre bruit suspect, et pénétrons dans l'infirmerie. Mon cœur bat à un rythme fou. Je me sens fiévreux. Elle me demande de fouiller dans une armoire à la recherche d'"anti-inflammatoires". Je lui fais répéter et commence la manipulation des boîtes. De son côté, elle remplit un sac de compresses, bandes, tubes d'aspirine, seringues et divers flacons. Je trouve deux produits où le mot est cité.

C'est dans les couloirs que je suis soudain bouleversé. L'odeur de la Maison fait resurgir des souvenirs qui me glacent sur place. Sans Eve, je rebrousserais peut-être chemin. Elle m'attrape la main et la presse quelques secondes pour m'entraîner. Arrivé dans le dortoir, je me faufile entre les lits jusqu'à celui de Marcus. J'avais un mince espoir de le retrouver là. Je lui avais même préparé un court message qui disait Nous ne t'abandonnerons jamais. Tes frères, mais c'est un Bleu ciel suçant son pouce qui occupe sa place. Rémus est bien là, lui. Il se démarque de tous ces petits car la peau de son visage est striée de fines rides. Je glisse le papier dans sa main droite que je referme doucement. Je fais de même pour Décimus qui sourit en dormant. Je passe près de Crassus. Si je ne courais pas de risques, je ferais bien un peu craquer le bois de son lit.