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Elle est très calme. Je n'ai plus du tout peur d'elle. Soudain, elle colle sa tête sur ma poitrine pour écouter mon cœur.

- Je faisais ça à Gilles quand il était petit. Tu l'as déjà fait, toi?

Je lui fais signe que non. Elle s'allonge et je viens placer ma joue au-dessus de ses seins. Elle m'attire doucement contre elle. J'entends son cœur battre. Le contact avec cette partie du corps qui me fascine tant depuis que j'ai rencontré Eve me fait rougir malgré moi. J'ai la tête en feu et un frisson me parcourt le corps tout entier. Je me dégage doucement et n'ose plus la regarder pendant plusieurs secondes. Enfin, je retrouve mes esprits et lui demande:

- Tu veux bien que je continue à lire ton journal?

- Oui, j'ai envie que tu saches tout. Je sais que tu ne me jugeras pas.

Comme la veille, elle me regarde lire, me fixant de ses yeux verts.

8 janvier 1976

Garry et moi cherchons un moyen d'embarquer sur un bateau qui part pour cette île. Ce n'est pas facile car c'est une île privée très bien gardée. Ceux qui nous emmèneront prennent un risque et veulent donc être rémunérés en conséquence. Garry essaie de négocier avec ce qu'il lui reste. Il a fait une offre et on attend la réponse.

9 janvier 1976

J'ai voulu voir à quoi ressemblaient nos passeurs. Garry m'a prêté des habits de garçon pour que je n'attire pas l'attention. Ils ont une façon agressive de s'adresser à nous. Je suis certaine que ce sont des voyous et que nous ne pouvons pas leur faire confiance. Je l'ai dit à Garry qui pense que nous n'avons plus vraiment le choix. Quand j'ai évoqué la possibilité de tout abandonner; il s'est mis à pleurer et m'a suppliée de ne pas le laisser tomber. J'ai réfléchi toute la nuit et j'ai décidé de surmonter ma peur et de le suivre. Je dois essayer de sauver mon frère et une autre occasion de le faire ne se représentera peut-être jamais. Nous allons emporter des couteaux pour nous défendre en cas de problèmes. Le départ est fixé pour la nuit prochaine. J'en veux à mes parents qui ne font rien. Ce n'est pas à leur fille de seize ans de prendre tous ces risques. Je ne reviendrai jamais chez eux.

15 janvier 1976

Je suis en vie. Je suis cachée dans une grotte habitée par un drogué qui passe beaucoup de temps à dormir. Je n'ai pas eu l'occasion d'écrire avant aujourd'hui. Je ne me suis jamais sentie aussi seule et je crois que la situation n'est pas près d'évoluer.

Je vais reprendre les événements dans l'ordre.

Nous avons pris le bateau comme prévu. Tout se passait bien quand les moteurs se sont brutalement arrêtés. Les types se sont jetés sur nous et nous ont fouillés ainsi que nos affaires pour voir si on ne cachait pas un peu d'argent. J'étais tétanisée car j'avais peur qu'ils découvrent que j'étais une fille. Comme ils ont trouvé les économies de Garry, ils n'ont pas insisté. Ensuite, ils nous ont débarqués en riant et nous souhaitant bonne chance. Bien sûr, ils n'avaient pas prévu de revenir nous chercher quarante-huit heures plus tard comme ils s'y étaient engagés.

Garry s'est calé entre deux rochers et s'est mis à sangloter doucement. J'ai grimpé dans un arbre pour essayer d'avoir une idée de la topographie de l'île. Soudain, j'ai entendu des cris. C'était Garry qui venait d'être surpris par des hommes en maraude. Je l'entendais les supplier qu'ils ne le tuent pas. Les autres lui hurlaient dans les oreilles:

- Vous étiez deux. Où est ton copain?

- On va te crever si tu refuses de parler!

J'ai attendu qu'ils s'éloignent et je suis descendue de ma cachette. J'ai récupéré mon sac, je me suis enfoncée dans les buissons et je suis restée prostrée là pendant des heures, partagée entre l'envie de me noyer tout de suite pour échapper à ces Barbares et celle d'attendre de me faire repérer. Je me sentais incapable de réagir. Quand la nuit est tombée, je suis partie à la recherche d'un endroit pour dormir. J'ai trouvé un trou assez large dans la falaise et je m'y suis glissée. Comme il était profond, je m'y suis enfoncée. C'était un passage secret mesurant une trentaine de mètres qui menait vers une très large grotte. J'ai tout de suite compris que ce n'était pas un endroit ordinaire. Un homme jeune, curieusement déguisé, dormait à même le sol. Il y avait sur des tables un tas d'objets bizarres sculptés dans de l'os. Je me suis cachée dans un recoin. Au bout d'une heure, un gars est entré, les yeux baissés et le dos tellement courbé que sa barbe frôlait le sol. Il a posé à manger sur la table et il est reparti en silence. Il avait l'air effrayé. J'ai alors réalisé que j'étais chez une sorte de divinité. J'entendais des cris à l'extérieur de là: "Cherche! Fouillez partout! Trouvez-le, mort ou vif!" La chasse à l'intrus commençait.

Celui qui était peut-être un prêtre ou un sorcier s'est réveillé et a rampé difficilement jusqu'à une table basse où il a récupéré un sac plein d'une poudre blanchâtre.

Ensuite, il est allé picorer dans son assiette avant de retourner dormir. J'ai attendu d'être certaine de son sommeil pour aller finir la nourriture. Sur une étagère, j'ai découvert sans difficulté de quoi me suicider, il suffisait de savoir lire les notices. Mais, après quelques heures à pleurer, en silence, le verre de poison à la main, j'ai décidé de différer ma fin. Je n'avais pas fait tous ces sacrifices pour rien et je devais sauver mon frère.

Les jours suivants, j'ai eu tout loisir de visiter les lieux et de comprendre l'activité de ce curieux personnage. Il passe son temps à dormir et ne sort que le visage couvert, avec des rembourrages sous son manteau pour donner l'illusion d'une stature qu'il n'a pas. Je l'ai vu, hier, soigner un homme qui avait une fracture du poignet. Le gars souffrait mais n'osait pas se plaindre. Ils ont tous une telle dévotion à son égard que ce Chamane, comme ils l'appellent, peut faire n'importe quoi sans risques. Surtout, il a institué comme règle l'interdiction formelle de le regarder sous peine de mort. Vu l'état de faiblesse dans lequel la drogue le met, on comprend pourquoi. Il se déplace péniblement et il est secoué plusieurs fois par jour de longues crises de tremblements. Il vomit plus qu'il ne mange. Je crois qu'il n'en a plus pour très longtemps.

Aujourd'hui, on lui a apporté un mort. Il a bredouillé, devant quelques brutes en larmes, des paroles dans une langue inconnue que j'ai mémorisées phonétiquement. Ensuite il a appliqué une pâte à l'odeur forte sur les yeux du cadavre.

Ce soir, j'ai pris la décision de me débarrasser de lui prochainement et de prendre sa place dès que je saurai comment il se procure les médicaments. Je n'ai aucune nouvelle de Garry.

17 janvier 1976

La nuit dernière, nous sommes entrés dans la forteresse où sont gardés les enfants. Mon frère chéri dort sans doute derrière une de ses nombreuses portes. Le Chamane avait des clés et se déplaçait à l'intérieur sans prendre trop de précautions. Je le suivais discrètement. Il était dans un tel délire qu'il ne s'est aperçu de rien. Je me demande comment ces visites sont possibles. Ce doit être un moment favorable, ou alors les gardes font semblant de ne pas l'entendre.

19 janvier 1976

Je sais tout ce que je dois savoir et je vais bientôt prendre sa place. Ensuite, je pourrai retrouver mon frère.