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- Votre procès commencera dans cinq jours. Profite de tes amis, Méto. Ce sont peut-être tes derniers instants avec eux.

Son regard ne trahit aucune émotion. Pour lui, je ne suis pas plus important qu'une fourmi qu'on écrase en marchant. Un frisson me parcourt le corps. Il s'éloigne, visiblement content de son pouvoir. L'image qui me vient à ce moment précis, c'est celle d'un César qui aurait laissé pousser ses poils, son ventre aussi.

CHAPITRE 3

Le grand jour est arrivé. La salle principale a été organisée pour le procès. Trois cercles concentriques ont été tracés dans la terre à l'aide d'une ficelle reliée à deux bâtons. Le premier est planté au centre et l'autre sert à dessiner les trois circonférences. Claudius et moi avons été placés debout, au centre. La longue procession des Chevelus fait son entrée. Les premiers longent les cercles, en commençant par le plus grand. Les places doivent être déterminées à l'avance car ils s'arrêtent l'un après l'autre et s'assoient. La répartition dans l'espace semble parfaite: un cercle de six, puis un second de douze et un dernier de vingt-quatre. Ceux qui sont le plus proches de nous appartiennent donc au premier cercle, le plus important. Le silence est glaçant.

Je cherche désespérément dans l'assistance des visages connus ou bienveillants pour me rassurer, mais tous baissent la tête, n'offrant à mon regard que leur épaisse tignasse. Quant à nos camarades, ils sont interdits de procès.

Un des hommes proches de moi se lève et déclare d'une voix forte:

- Nous sommes ici pour savoir pourquoi les Petits, représentés par leurs deux chefs Claudius et Méto, se sont lancés dans cette aventure hasardeuse qui a tant coûté à notre communauté. Dix disparus dans nos rangs, dont Nardre, notre ancien chef. Vingt-cinq parmi ces gamins sans cervelle. Nous chercherons aussi à comprendre s'ils ont simplement agi par bêtise et ignorance, ou s'ils ont été des marionnettes entre les mains de Jove. Dans ce dernier cas, nous devrons évaluer leur degré de complicité et en tirer les conséquences.

Celui qui parle s'appelait Cassius à la Maison. Je n'ai pas eu le temps de beaucoup le voir. Je me souviens que les Rouges le regrettaient car c'était une grande figure de l'inche, un nettoyeur intraitable.

- Les Petits, reprend-il, si vous vous adressez à moi, apprenez que mon nom est Nairgels. Je suis le chef des Oreilles coupées. Drazel le Sage dirigera la séance. Mes frères, vous savez le danger que nous courons en nous réunissant tous aujourd'hui. Le procès ne doit pas être interrompu. Faisons confiance à Drazel pour parler en notre nom.

Le chef s'est assis et, les uns après les autres, en suivant l'ordre hiérarchique, tous relèvent la tête, comme une vague qui remonterait lentement un cours d'eau. Drazel s'est levé à son tour:

- Claudius, nous commencerons par toi, car tu as été contacté le premier par les serviteurs de la nuit... Peux-tu nous expliquer dans quelles circonstances?

- Numérius m'a glissé un mot dans la main pendant que je dormais. Il me mettait en garde contre Paulus, qui espionnait selon lui pour le compte des César. Il m'a ensuite expliqué comment nous pouvions correspondre. J'ai su dans quelles conditions misérables vivaient les serviteurs.

- De qui est venue l'idée de la rébellion?

- Je ne m'en souviens pas. C'est arrivé naturellement.

- Ça ne veut rien dire, Petit. Qui en a parlé le premier?

- Peut-être moi.

- Tes amis ont insisté sur ta loyauté, Claudius, intervient Nairgels, et je sais qu'il te sera impossible de mettre en cause un proche, même, peut-être surtout s'il est mort comme Numérius. Sache que nous ne voulons que la vérité. Dans ton intérêt, reste honnête.

- C'est moi, reprend Claudius d'une voix plus assurée. Mais lui aussi le voulait. Je pense qu'il m'a parlé de ses conditions de vie parce qu'il n'en pouvait plus et avait besoin d'aide.

- Et c'est toi qui as contacté Méto ensuite?

- Non, les serviteurs avaient arrangé le rendez-vous pendant une course.

Le sage se tourne vers moi:

- À ton tour, Méto.

Je raconte tout, depuis mon dernier séjour au frigo où Romu m'avait fait comprendre que nous étions drogués pour dormir la nuit et qu'il se passait des choses pendant notre sommeil.

- C'est donc Romu, ce chien galeux, qui t'a mis au parfum? insiste Drazel.

- En quelque sorte. C'est lui, le premier, qui m'a aidé à comprendre.

Le seul fait d'entendre prononcer le prénom du fils de Jove provoque de l'agitation dans les rangs des spectateurs, du dégoût et de la colère. Certains crachent même bruyamment ou font semblant de vomir.

Je suis alors invité à revenir sur tous les épisodes qui ont précédé notre fuite. Je dissèque le contenu de chaque courrier reçu ou envoyé, la préparation de la révolte aussi. Avec moi, ils sont servis. J'ai diverti mes nuits d'insomnie par des exercices de mémoire. Je suis prêt. Je leur récite, dans l'ordre chronologique, toutes les phases de ma prise de conscience, les préparatifs de la révolte, avec les noms des participants et même le détail de nos échanges. Je le fais parce que je veux qu'ils comprennent, mais aussi pour retarder le moment où arrivera la question fatale.

- Méto, comment peux-tu expliquer que tu aies pu pénétrer et rester seul dans le bureau des César ce soir-là pendant l'étude?

Ça y est, il l'a posée. Je fais l'innocent. Je vais le laisser parler mais je suis sûr qu'il en est arrivé à la même conclusion que moi.

- Je l'ignore, Drazel, dis-je timidement.

- Tu l'ignores? Ça m'étonne. D'après tes amis, tu peux toujours tout expliquer. Tu es le "monsieur Je-sais-tout" de la bande. Alors?

Je me tais.

- Je vais t'exposer notre théorie, reprend-il, et elle fait froid dans le dos. Personne, hormis Jove, ne pouvait ainsi dérégler la surveillance de la Maison. Il est le seul à disposer d'un tel pouvoir. Si tu as pu pénétrer seul dans ce lieu interdit, c'est que Jove l'a décidé.

Un murmure agressif monte dans la salle. Le chef l'interrompt d'un geste bref.

Je suis d'accord avec son analyse, à la nuance près que je crois que la complicité d'un seul César a pu suffire. Mais c'est déjà trop grave pour que je puisse l'énoncer devant l'assemblée. Je décide de semer le doute en contre-attaquant:

- Mais toi, comment peux-tu expliquer que Romu nous ait fourni des armes en nous indiquant les caches? Elles ont tué des soldats et, entre vos mains, en tueront encore longtemps.

Je sens au silence qui s'installe que mon argument a porté. Drazel marque un temps avant de reprendre:

- C'est la seule erreur commise par Romu, sans doute dans un de ses accès de folie. Ou peut-être a-t-il voulu sauver quelques-uns d'entre vous, ses amis ou ses complices. Ce n'est pourtant pas un sentimental.

Il se tourne vers l'assemblée et lance:

- Mes frères, nous nous retrouverons demain pour annoncer notre sentence.

La salle se vide dans le même ordre parfait qu'à l'ouverture du procès. Comme un serpent qui se déroule et s'éloigne, la file des Oreilles coupées se reconstitue pour quitter la salle.

Il est minuit. Mes copains dorment, à l'exception de Claudius qui marmonne dans son coin. Parqués durant les débats, ils ont occupé leur temps à creuser la roche pour me construire une alvéole personnelle. Quand je les ai retrouvés pour le repas, je me suis efforcé de sourire pour les rassurer, comme si j'étais persuadé que le pire était passé. Ils m'ont montré ma future couchette.

- Ce n'est pas encore prêt, a précisé Marcus, mais dormir dans un lit est dangereux en cas d'attaque ou d'inondation. On essaiera de finir au plus vite.

- Merci, les gars. Vous êtes vraiment des frères.

- On te doit bien ça, Méto, déclare Octavius, la mine grave. On était tous ensemble et c'est seulement à vous deux qu'ils s'en prennent.