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Comment qu’ils se sont démerdavés pour investir l’hosto et y faire leur trou, ces deux-là, faudra qu’ils me le racontent plus tard, je le mentionnerai dans mes mémoires. N’en tout cas, chapeau !

Pour ma petite part, je cherche à me faire oublier. Dans un établissement de ce genre, à partir du moment où tu es loqué d’une blouse, plus personne ne s’occupe de toi. Faut dire aussi que nous sommes favorisés par l’heure extra-matinale. L’hosto n’a pas encore adopté sa vitesse de croisière « jour ». C’est plein de femmes de peine et d’hommes de joie qui promènent des pattemouilles sur le carrelage ou qui fourbissent les vitres а la peau d’siamois (comme dit Béru).

Le docteur Hochok, Théodore Spiel et son cornac gagnent l’ascenseur et descendent au niveau « P ». J’attends que leur cabine soit arrivée à destination pour en affréter une seconde. Jérémie et Louisiana, quant à eux, se sont déjà élancés dans l’escalier.

Au « P » c’est carrément la solitude des grands espaces. Juste une grosse Noire qui lave avec l’énergie du désespoir un sol plus brillant qu’un solitaire de quinze carats dans la vitrine de Cartier.

J’entends le bon docteur Thomas demander à cette personne de sa couleur si elle n’a pas vu passer le docteur Hochok. La dame qui lave plus blanc que le propre répond d’un ton plein de « me faites pas chier, merde, si vous croyez déjà que c’est marrant de fourbir un couloir qui n’en a pas besoin, avec mes varices, mon fibrome, mes cinquante-cinq ans de galère, ma négritude perdue dans les froidures canadiennes, mon fils qui se shoote au L.S.D., ma fille qui se laisse tromboner par toutes les bites volantes passant à portée de miches, mon époux ivrogne, ma bagnole qui a besoin de pneus neufs, ma vieille chienne Dolly qu’il va falloir piquer » que la doctoresse est en salle 8.

Le couple Jéjé-Louisiana remercie d’un double sourire à la noix de coco-framboise et s’en va. Je le suis.

Je pige, en arpentant le large couloir, qu’il dessert les blocs opératoires. Chacun comporte un sas, suivi d’un vestiaire stérile et de la salle d’opération. Je le constate car des techniciens travaillent dans l’un d’eux pour y aménager du matériel nouveau et les lourdes béent.

Je recolle au duo afin de composer un trio de qualité. Le Noirpiot et ma pomme, on se regarde.

Perplexes.

Dans ce genre d’aventure, y a toujours le moment où tu te dis « Et maintenant, Fernand ? », même si tu te prénommes Antoine, Jérémie ou Balthazar. Or donc, « et maintenant » ?

— Tu as des idées ? murmure M. Blanc.

— Non, réponds-je, et pas de pétrole non plus.

— Ils sont au « 8 », m’informe cet inestimable auxiliaire.

— Je sais, j’ai entendu.

Et voilà qu’il me vient, non pas une idée de génie, mais une démangeaison dans l’oreille. La nature ayant prévu ce genre de tracas, je m’auricule du petit doigt.

A ce moment pathétique, la porte du bloc 8 s’ouvre, sortent trois personnes : deux femmes et un homme. Ce dernier étant l’infirmier qui poussait le fauteuil roulant de Spiel.

Ils maugréent, ces gens. L’une des deux gonzesses surtout.

— C’est la première fois que je vois ça !

— Ça doit rester top secret, philosophe l’infirmier, vu les fonctions de Sébastien Branlomanche.

— Elle nous a dit d’aller attendre à la cafétéria, reprend la grincheuse.

— Eh bien, allons-y, fait le rugbyman, philosophe.

La fille qui n’a encore rien dit, murmure :

— Je voudrais me marrer si la panthère noire avait un problème et qu’on apprenne qu’elle a renvoyé l’anesthésiste pendant l’opération. Avec son bras pourri, elle est même pas foutue de faire une piqûre.

Ils se dirigent vers les ascenseurs.

— Penses-tu, c’est bénin comme opération, déclare l’autre femelle grincheuse.

— Rien ne l’est ! objecte sa potesse. Tu connais la devise de notre job : « tout acte clinique comporte des risques. » Ah ! s’il pouvait y avoir un os, ça lui ferait les pieds ! J’aimerais que le conseiller ait une crise, qu’on rigole.

Et bon, ils sont partis après nous avoir enveloppés de leurs regards indécis. Tout le monde se fout de tout le monde : ça aide. Tu peux crever sur le trottoir sans déranger personne !

— Dieu est avec nous ! déclare gravement Jérémie en déponnant l’épaisse porte du bloc « 8 ».

Le sas est vide. On s’y faufile. Seconde porte. Je l’écarte tout juste. Ça fouette le désinfectant et aussi d’autres odeurs chavirantes. Le vestiaire est également vide. On s’y coule. Troisième porte. Elle est munie d’un hublot, à hauteur de regard. Je virgule un z’œil. Alors, bon, ça se présente de la façon suivante. Au centre, une table d’opération avec le large réflecteur à facettes multiples comme ciel de lit. Un gonzier est attaché à la table. Il est sous perfusion. Je n’aperçois que la plante de ses pieds et son nez, très long, érigé entre ses pinceaux, comme un clocher, dans le lointain, au fond d’un vallon. Il doit posséder un tarbouif monumental M. le conseiller politique. Le pique-bise des grands baiseurs.

Le docteur Electre Hochok est assise à sa droite. Le fauteuil roulant de Spiel se trouve à sa gauche.

Aucun bruit ne nous parvient. Les montants de la porte au hublot sont garnis de caoutchouc. Je sors mon stylo à bille, le démonte rapidement pour obtenir un tube que j’enfonce lentement dans l’épaisseur du gros joint. Ensuite ne me reste plus que d’amener ma meilleure oreille à l’orifice de mon conduit improvisé.

Géniale idée ! J’entends tout comme avec un cornet acoustique. Pour ton gouvernail, comme dit Béru, je te répète fidèlement les paroles de la panthère noire, comme l’a surnommée l’une de ses assistantes, et ce sobriquet doit lui convenir admirablement.

— Vous vous sentez à l’aise, monsieur le conseiller ?

Une voix qui m’est à peine perceptible répond qu’oui.

— Détendez-vous au maximum, reprend Electre Hochok. Tout va bien… Tout va très bien… Vous nagez dans la félicité…

Elle avance la main vers une petite table chromée et branche un appareil. Une musique suave retentit.

— Vous vous rappelez votre ami Théo Spiel, monsieur le conseiller ?

— Oui…

— Il est ici. II va vous prendre la main. Prenez la main de M. le conseiller, Théo. Et pressez-la-lui chaleureusement. Vous êtes très amis, n’est-ce pas ? De bons amis à la vie à la mort. Vous pouvez tout vous dire, tout vous demander. Vous vous souvenez de Saigon, n’est-ce pas ? C’est là-bas que vous vous êtes connus et vous avez gagné énormément d’argent ensemble en évacuant les fonds des gens riches, que la situation effrayait. Votre statut de diplomate vous permettait de les transférer au Canada, c’est exact, n’est-ce pas ?

Elle fait un signe à Spiel.

Ce dernier a dû apprendre sa leçon parce qu’il demande, d’une voix neutre :

— Tu te souviens, Bastien ? C’était le bon temps. J’organisais des partouzes à la maison. On s’envoyait des pépées pas ordinaires, des petites Viets au corps de garçon, sans compter les garçons eux-mêmes ! Tu te rappelles Tong-Sing ? Tu le fourrais comme un dieu !

— Oui, c’était le bon temps ! murmure « l’opéré ».

— J’ai des photos de ce temps-là, Bastien. On te voit enfiler Tong-Sing tandis qu’une gamine nubile lèche tes roustons féerique.

Il rit. L’autre rit également.

— Je te les montrerai. C’est vraiment des clichés artistiques.

— Oui, tu me les montreras !

Un temps. La doctoresse pose son unique main sur les yeux de son patient (qui doivent être clos, je présume).