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— Vous êtes bien, monsieur le conseiller. Jamais vous ne vous êtes senti dans une telle forme. Votre check-up, pour lequel vous êtes venu à l’hôpital Sainte-Folasse, est excellent. Vous allez vivre jusqu’à cent ans ! Vous êtes content ?

— Très content.

— Maintenant, Théo va vous parler du général Chapedein, d’accord ? Surtout ne vous énervez pas, tout s’est bien passé : le général est mort et vous voilà à l’abri du grand danger qu’il représentait pour vous. C’est grâce à Théo. Vous en convenez ?

— Oui, grâce à Théo, fait le médium.

— Sans lui, vous seriez en prison. Vous vous rendez compte, monsieur le conseiller ? Un homme de votre réputation ? En prison ! C’est Théo qui a organisé l’attentat contre ce salaud de général. Vous ne l’oubliez pas ?

— Non, non, c’est Théo.

— Et tu sais, Bastien, reprend Spiel, ça n’a pas été facile à mettre sur pied, et ça a coûté un saladier. Par les temps qui courent, les tueurs à gages réclament des fortunes. Tu te souviens qu’au début j’ai refusé de m’occuper de ça ; mais tu as tellement insisté… D’ailleurs j’ai un enregistrement de notre conversation, je te le ferai écouter. Tu me suppliais d’intervenir. Tu me promettais la lune. En quelque sorte, tu me délivrais un chèque en blanc. C’est juste ou pas ?

— Juste, Théo ! Juste !

— Parfait. Heureux que tu le reconnaisses !

Parvenu à ce point de mon indiscrétion, je me dis que j’ai mis le doigt sur un fameux sac de nœuds ! Ça vaut le coup de se faire mal aux genoux et de bicher le torticolis du siècle pour assister à pareille séance. Comme Jérémie, lui, reste sur sa faim, je brandis mon pouce levé en ponctuant d’une mimique éloquente, qu’il pige bien qu’on est en train de puiser du premier grand cru classé au tonneau de la vérité, comme le disait Canuet, de son temps, et qu’il prenne patience, je l’affranchirai très bientôt.

— Si on a profité de ce check-up que tu es venu faire pratiquer discrètement à Québec pour avoir cette conversation, poursuit Spiel, c’est parce qu’il faut mettre les pendules à l’heure, Bastien. Tu as une ardoise monumentale à régler, tu ne nies pas la chose, j’espère ?

— Non, non, je suis d’accord.

— Bravo. Le docteur va t’expliquer ce que nous attendons de toi. A vous, Doc !

Un silence. Je suppose que la dame à la main bidon doit régler sa musique car les sonorités diffèrent. Ce qui sort du diffuseur fait songer à de la musique chinoise. C’est nasillard, mélopesque, percutif, persécuteur et te lime un tantisoit la nervouze.

Electre Hochok prend une voix encore plus extraterrestre qu’auparavant. Là, fais confiance, j’assiste purement et humblement à un dédoublement de la personne alitée. On est en train de manœuvrer le subconscient du conseiller politique, de conditionner ses méninges pour obtenir de lui un truc pas extrêmement catholique.

— Monsieur le conseiller, demain soir, vous allez dîner en compagnie du Premier ministre dans un salon particulier du Ritz Carlton. Il y aura là le ministre des Affaires étrangères, son homologue japonais ainsi que deux hommes d’affaires nippons très importants, exact ?

— Exact, chuchote le « patient ».

— Nous vous remettrons un petit appareil enregistreur pas plus gros que deux paquets de cigarettes et muni d’une ventouse spéciale. En cours de repas, vous vous arrangerez pour fixer l’appareil sous la table. La chose n’aura rien de compliqué. Vous aurez simplement à enclencher un bouton noir avant de poser l’enregistreur.

« Ensuite, ne vous occupez plus de rien. II sera récupéré par quelqu’un du service puisque les mesures de protection cesseront au départ des invités. Etes-vous d’accord ? »

Un silence.

— Je vous demande si vous êtes d’accord, monsieur le conseiller ?

Re-silence. Je devine que ce qui subsiste de conscience à cet homme ramène sa fraise. Même les gredins ont des états d’âme.

— Pourquoi enregistrer la conversation ? demande-t-il. Je pourrais aussi bien la rapporter ensuite ?

— Vous le feriez dans ses grandes lignes, mais, c’est du mot à mot que nous voulons, monsieur le conseiller.

Spiel intervient :

— Bastien, je t’ai prévenu que le moment de payer la note était venu. Les gens qui ont réglé ton problème Chapedelin ne plaisantent pas. Si on ne leur accorde pas satisfaction, il y aura du vilain pour toi et pour moi. Tu n’as pas envie de te faire mettre en l’air, à ton tour au moment où tu montes en voiture ? En tout cas, moi non ! N’oublie pas ces bonnes vieilles photos de Saigon, Bastien, non plus que l’enregistrement de notre conversation au cours de laquelle tu m’as supplié de faire équarrir le général. Ton foyer et ta situation ne résisteraient ni aux images pieuses, ni à la bande sonore ! Tu comprends que tu n’as plus le choix !

Silence.

Le docteur Hochok prend le relais :

— Il n’y a pas à hésiter, monsieur le conseiller. Ce qui vous est demandé est bien peu de chose en regard du service très particulier qui vous a été rendu. Enregistrer une conversation, même relevant du secret d’Etat, n’est rien, comparé à l’assassinat d’un général.

— C’est vrai, fait enfin Sébastien Branlomanche, comme frappé par cette évidence.

— Alors, vous acceptez ?

— J’accepte.

— Dites-nous ce que vous ferez, quand, où et comment ! insiste le docteur.

Le « médium » hésite puis se risque :

— Un petit enregistrement dans ma poche… Je l’en sors au début du repas, discrètement…

— Très discrètement. Je vous conseille de l’envelopper dans votre mouchoir et, une fois qu’il sera hors de votre poche, de le placer dans votre serviette de table. Procédez lentement.

— D’accord, j’agirai avec prudence.

— Parfait. Ensuite ?

— Il y aura une ventouse fixée à l’appareil, j’appliquerai celle-ci sous la table.

— Vous oubliez quelque chose d’important.

— Je… Oh ! oui, brancher le bouton noir.

— Capital ! Sinon tout cela ne servirait de rien.

— Je le brancherai.

— Ecoutez-moi, monsieur le conseiller : vous ne devez rien oublier ! Vous le promettez ?

— Oui, je le promets.

Spiel intervient de nouveau :

— Tu as de la chance, Bastien ! Tu sais que tu as de la chance ? Tu te paies un check-up extra clean alors que tu craignais pour ta santé et on te réclame une misère pour remercier les gens qui t’ont délivré du général ! Donne ta main, vieux frère ! Voilà. Serre-moi fort. Je suis ton ami de toujours. Je ne te laisserai jamais tomber.

— Merci.

J’entends un bruit de pas. Pour me refaire une épine dorsale, je me remets debout non sans m’accrocher au bras du Noirpiot. Regard par le hublot. La doctoresse Moncul va prendre une boîte noire dans une trousse et l’apporte à « M. le conseiller véreux ». Alors, je reprends vite mon écoute.

— Ça, c’est l’appareil qui vous sera remis demain, au moment où vous quitterez votre domicile pour aller rejoindre le Premier ministre. Soupesez : il est léger comme tout.

— Oui, très léger.

— Enclenchez le bouton. Facile, n’est-ce pas ? II y a une petite flèche blanche qui indique dans quel sens pousser. Là, ça tourne. Son bruit est pratiquement inexistant. Portez-le à votre oreille, entendez-vous quelque chose ?

— Non, rien.

— Donnez !

Elle doit s’être elle-même initiée à l’appareil car elle le rembobine et le met en « play » sans tâtonnements. On entend, grossies, les répliques qui viennent de s’échanger : « … n’est-ce pas ? II y a une petite flèche blanche qui indique dans quel sens pousser. Là, ça tourne. Son bruit est pratiquement inexistant. Portez-le à votre… » Elle coupe l’enregistrement.