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Mais Alexandre-Benoît est lancé. Il surchauffe, comprends-tu ? C’est pas un timoré. D’une bourrade, il m’expédie dans le dressing dont il tire la tenture de séparation, après quoi il va délourder.

J’entends son organe qui prélude à l’après-midi d’un aphone, demander :

— Vous désirerez ?

Une voix d’homme, métallique :

— Ce n’est pas l’appartement de M. Spiel ?

— Sifflet, d’quoi s’agite-t-il ?

— Où est M. Spiel ?

— C’t’à propos d’quoi est-ce ?

— Je dois rencontrer M. Spiel, s’impatiente le visiteur ; nous avons rendez-vous.

— Il est dans son bain.

— Je vais l’attendre.

— Faisez s’l’ment.

— Puis-je vous demander qui vous êtes ? demande-t-on à Bérurier.

— J’travaille pour lui.

— En qualité de… ?

— Oh ! j’ai pas qu’des qualités, rigole Bérurier, j’ai aussi des défauts. Disons qu’ j’veille à sa sécurité.

— Je vois.

— Tant mieux.

Un léger temps, lourd de malaise indécis.

— Et vous, si qu’j’oserais m’permett, v’ s’êtes qui ?

— Une relation d’affaires.

— J’peux savoir vot’ nom ?

— Il ne vous dirait rien.

— On n’sait jamais.

« Bien, me fais-je en aparté, ce genre de scène ne conduit jamais très loin. Ça va se craqueler avant pas longtemps. Ce gros lourdingue de Béru est, une fois de plus, en train de corrompre les choses. Il défèque dans les nouilles, le veau !

« Nous sommes, poursuis-je, dans une sombre impasse. Là où il fallait un jongleur chinois, nous avons touché Bérurier : l’éléphant dans le magasin de porcelaine ! Nous avançons dès lors sur un pont en verre filé de Murano. Et nous nous y déplaçons à bord d’un tracteur ! »

— Si vous voudrez pas m’ casser vot’ blaze, reprend le chevalier Paillard, dites-moins z’au moins ce dont vous venez faire. M’occupant de Théo, j’ sus t’obligé de veiller aux graines, comprenez-vous-t-il ?

— Cela vous contrarierait de le prévenir que je l’attends ? coupe le visiteur, impatienté. Je suis pressé.

— Comment le préviendrais-je-t-il d’ vot’ aimab’ visite puisque j’ignore vot’ nom ? objecte le Pertinent.

— Dites-lui simplement que son « rendez-vous » est arrivé, il saura de quoi il retourne.

L’homme s’exprime avec un accent bizarre qu’il me semble confusément avoir entendu auparavant. Léger, mais particulier. Un mélange de slave et d’Europe centrale, ou alors sont-ce des inflexions levantines couplées avec l’usage d’un langage guttural ?

Il passe dans le dressinge où je me tiens, et là, enfin, consent à m’interroger du regard.

Mais tu voudrais que je lui réponde quoi, toi ? Que faire ? Neutraliser l’arrivant également et jouer le tout pour le tout en faisant subir le troisième degré aux deux messieurs ? Vachement dangereux compte tenu de l’endroit. On risque, de se retrouver au bigntz, le Gros et mézigue, démontés par la police montée !

— Fais comme tu le sens, carteblanché-je à voix imperceptible et en haussant les épaules, ce qui est parfaitement réalisable, essaie, tu verras, j’y parviens du premier coup.

L’Adipeux va toquer à la salle de bains. Il lance, à la cantonade :

— Va falloir vous remuer le dargeot, m’sieur Théo, la personne dont avec laquelle v’s’avez rancard est à tome !

Un temps léger. Béru retourne au salon.

— Y va viendre incessamment et p’t’être avant ! annonce-t-il.

Et c’est sur sa réplique que retentissent deux mots qui valent leur pesant de voyelles et de consonnes : « Au secours » !

Le sieur Spiel qui joue son va-tout. On le comprend.

Que se passe-t-il au salon ? Brève période de confusion. Depuis la salle d’eau, le pseudo philatéliste balance un second avertissement : « Attention ! »

J’entends la voix bizarre de l’arrivant moduler :

— Très haut, les mains, sinon je lâche la soupe ! Une seule balle de cette arme fait des trous larges comme une soucoupe.

J’imagine que le Gravos, sans arme et pris au dépourvu, attrape les nuages. Je cherche autour de moi quelque chose susceptible de m’aider à assainir la situation. Tout ce que je trouve, c’est une très longue corne à chaussures métallique posée sur un serviteur muet, cet accessoire pour obèses, croulants ou fainéants invétérés me paraît bien dérisoire. Néanmoins je l’empare et me blottis contre les plis du rideau.

— Salle de bains ! fait le visiteur. Et pas de mauvaises intentions !

Ils se pointent ! Sa Majesté devant, les battoirs levés, ce qui élargit, encore son dos en forme de cabine téléphonique. Vient ensuite le canon du feu. A moi d’intervenir. Je ne dispose que de deux secondes à tout casser. Heureusement que mon esprit de décision fonctionne à la vitesse de la lumière !

Vlan ! De toutes mes forces sur le canon du flingue. Lequel choit de la main de son maître. A travers le rideau, je pique une boule dans le volume qui commençait de se présenter. Ça part à la renverse. Je ramasse le flingue. Béru me saute-moutonne avec une agilité que j’étais loin de lui soupçonner.

Troisième connerie de l’Enflure, en cette matinée québécoise : il s’interpose entre moi et le visiteur, ce qui m’empêche de coucher en joue celui-ci. Le mec subit l’assaut du Mammouth avec une maestria de forban chevronné. Il pare calmement le taquet monstrueux que lui votait Alexandre-Benoît. Mieux : il riposte d’une manchette foudroyante à la gorge.

— Mrrrrouhhhavrouaaaaahhhh, exhale mon gros biquet vinasseux.

Alexandre-Benoît titube, fléchit, se redresse alors qu’il allait choir.

Moi, je suis déjà à la porte. Cette fois je peux enfin braquer l’intrus.

— On se calme ! m’écrié-je. II paraît qu’une seule balle de cette babiole fait des trous plus larges qu’une…

Et puis je la ferme. A triple tour !

L’effarement ! Pire ! Quel superlatif trouver pour te rendre compte de ce que je ressens ? Disons que je me trouve dans un état d’inhibition motrice d’origine psychique, tu vois ? Et encore, je suis loin du compte !

L’homme planté en face de moi est vêtu d’un pardingue en vigogne qui doit valoir un saladier et il est coiffé d’une toque de fourrure. Il porte des lunettes légèrement teintées. II me fixe et son regard contient pas mal de stupeur également. Disons que nos stupeurs sont à l’unisson.

Le Mastar qui a retrouvé souffle et vigueur s’avance en massacreur de charme.

— Ça l’ami, tu vas me l’payer ! éructe mon pachyderme.

— Mais tire-toi de devant, sale con ! glapis-je (car je parle couramment renard dans les cas désespérés).

L’épouvantable homme des bars volte.

— C’t’à moi qu’ tu causerais, Antoine ?

L’enfoiré ! Le sale porc (épique). Tu crois qu’il se tirerait la couenne ? Que tchi ! Il déliquescente, le flic puant ! Tu parles que notre homme met à profit. Il est déjà à la fenêtre, sur le balcon dominant la vue féerique décrite plus avant dans le chef-d’œuvre du jour.

Sans hésiter, je tire. Mais ce flingue est une arme particulière (partie culière), de conception nouvelle. La détente ne se trouve pas là où elle figure sur les revolvers, pistolets, mitraillettes traditionnels. En réalité, elle est constituée par une pression sur le côté de la crosse. Que, sincèrement, je trouve la combine un peu conne car le mec gaucher ne peut l’utiliser, or, des gauchers, y en a plein la vie. (Moi j’ai la chance d’être gaucher de la main droite, ce qui est rarissime, paraît-il.)