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Ma version, corroborée par Béru est la suivante : j’ai trouvé un voleur dans ma chambre et me suis mis à le courser. L’ayant rattrapé, il m’a flanqué un coup de surin ! (voyez tout ce sang). Aidé de mon ami, j’ai nez en moins continué à le poursuivre. La décarrade s’est poursuivie à bord d’une barque, d’où il a chu. Malgré nos efforts inouïs, le courant a eu raison de lui et le voilà parti au fil du Saint-Laurent.

Ça va, non ? Correct ? Ça correspond ? C’est satisfaisant ? Ils s’en contentent. On me propose une ambulance que je décline. Je montre mon porte-carte lacéré qui m’a sauvé la vie. Une entaille peu profonde au bide, mais la mère et l’enfant sont saufs. Alors y a plus qu’à attendre la police. Pendant ce temps, je vais me faire panser.

Blanc et Pinaud sont sur le qui-vive. En deux ou trois belles phrases bien construites, je les affranchis. En conclusion, je leur indique que Mister Théodore Spiel, enchaîné dans sa salle de bains, est à disposition pour un interrogatoire musclé. Le Gros et moi, on ne peut pas broncher tant que les draupers québecois ne nous auront pas entendus, mais qu’ils ne perdent pas de temps, eux deux ! Cette fois que la collusion entre Spiel et le chef des pirates est prouvée, nous devons faire parler le philatéliste coûte que coûte. Au cas où ils devraient « délivrer » le bonhomme, je prie Béru de leur remettre la clé des cadennes.

C’est Louisiana qui me soigne. Assistante médicale, elle est tout indiquée, non ? Un chasseur (à pied) va à la pharmacie chercher le matériel nécessaire, après quoi elle se met au boulot. Lavage complet de ma partie basse. Nettoyage de la plaie à l’alcool à 90° (appelé plus communément alcool de l’angle droit). You youïe ! Ça te décoiffe les poils occultes ! Avec ses mains de fée qui savent si parfaitement manipuler une bite, elle rapproche les lèvres de la plaie et les maintient soudées par une gaze adhésive stérile, trempée dans un sérum glandothérapique. Ensuite, une large plaque de sparadrap pour coiffer l’ensemble.

Deux perdreaux en uniforme enregistrent nos dépositions tandis qu’elle s’active. Ça les borgnote que nous soyons flics français. Ils ont l’air de trouver la conjoncture un peu surprenante. M’enfin ils laissent à leurs hiérarchiques le soin de tirer des conclusions, et se retirent.

— Tu as mal ? s’inquiète la môme.

— Il me faudra renoncer à la baise jusqu’à ce que ça se cicatrise, m’empressé-je de déclarer.

— Penses-tu ! s’écrie-t-elle.

Elle me démontre qu’en levrette je peux m’exprimer pleinement, sans frotter ma blessure contre un ventre étranger. Elle suggère également la possibilité de limer à la duc d’Aumale, ou en se laissant chevaucher gentiment, style trot anglais dans la forêt viennoise.

En voilà une, vaut mieux être son amant que son époux, j’ai idée, sinon tu fais la pige aux élans des forêts canadoches.

Retour piteux du révérend père Pinaud. Il porte la tête basse et on sent que sa bitoune est également dans le prolongement de sa cravate Hermès.

— Tu as davantage l’air de revenir de Waterloo que d’Austerlitz, noté-je, car j’ai de la culture plein mon sac à dos.

N’étant pas en reste de ce côté-là, César branle son vieux chef, déclenchant une pluie de pellicules rétives aux lotions. On dirait une boule de verre que ça représente un chalet savoyard sous la neige, quand t’agites.

— C’est hélas vrai, reconnaît-il. Waterloo sur toute la ligne !

— Eh bien, il ne nous reste qu’à écouter ce triste récit.

— Ton type était mort lorsque nous l’avons trouvé.

— Pardon ?

— Toujours fixés à la douche par les menottes que voici, mais décédé.

— De quoi ?

— Je crois d’un coup de candélabre en marbre vert ; il y en avait un dans sa baignoire et sa nuque se trouvait extrêmement défoncée !

— Mais qu’est-ce que ?…

Je me tais et me tourne vers Béru. II se tient accroupi devant le petit bar de la chambre, à la recherche de quelque chose à siffler.

Je vais le rejoindre et m’agenouille sur la moquette.

— Béru, soufflé-je, deviendrais-tu cachottier en grossissant ?

Il dit :

— Je croive qu’ j’vais me cogner un’ p’tite bibine av’c un coup de gin d’dans pour la muscler.

— Gros, reprends-je, lancinant comme le remords, c’est de toi, ce chef-d’œuvre ?

II chuchote :

— Quand est-ce v’s’avez z’eu sauté par la f’ nêt’, le vilain et toi, l’autre con s’a mis à pousser des cris d’orvet qu’auraient ameuté tout Québec. J’sus été l’faire taire avant d’m’lancer à ton s’cours. Dans mon hâte, j’ai p’t’êt dы l’ cigogner un peu fort.

— Un peu, oui. Tu deviens nerveux, Alexandre-Benoît, tu ne te contrôles plus.

Pinuche qui a tout pigé déclare :

— On lui a ôté les menottes et on l’a allongé dans la baignoire en plaçant sa nuque contre le rebord. J’ai mis une savonnette mouillée dans le fond, afin de donner à croire qu’il aura glissé en marchant dessus. Bien entendu, j’ai remis le chandelier à sa place sur la commode de la chambre.

— O.K., tout ça me paraît bien. Où est Jérémie ?

— Il m’a dit qu’il voulait contrôler quelque chose, sans préciser de quoi il s’agissait.

Le Gros se prépare un étonnant et détonant mélange, inconnu jusqu’à ce jour : bière, gin, whisky, chartreuse verte, alléguant qu’il a besoin de remontant.

— C’est pas sérieux, soupiré-je.

— T’sais, mon estom’ en a encaissé d’autres !

— C’est pas ton cocktail à la dynamite, mais ton comportement qui n’est pas sérieux. Tu as l’art et la manière de faire de la culture sur brûlis ! T’es le disciple d’Attila ! Désormais, on n’est pas vergifs pour continuer notre marche à la vérité. Tu parles d’une gomme à effacer, tézigue ! le général Montcalm a eu moins de pertes en défendant cette noble ville !

Ronfleur du téléphone. Louisiana décroche.

— C’est Jérémie ! annonce-t-elle.

Elle s’est incorporée mignonnement à notre équipe, la petite donzelle. Elle est au milieu de nous comme une mouche bleue sur un assortiment d’excréments.

Je lui cueille le combiné des doigts. Sa main s’attarde sur la mienne. Je lui plais trop, quoi, faut me faire une raison.

— Dis donc, grand chef, tu peux descendre ? me demanda M. Blanc.

— Pour quoi fiche ?

— Ça pourrait être intéressant.

— J’arrive.

Béru évite de me regarder, contrit jusqu’au slip, il est, le gros éméché.

Pinaud m’escorte d’instinct.

— Et moi ? demande Louisiana.

— Tu surveilles Bérurier, ricané-je, il a ses règles et ça le rend nerveux.

Je découvre Jérémie au milieu du hall, en converse avec un petit homme rougeaud, vêtu d’un grand cuir noir et tenant une casquette d’uniforme sous son bras.

— Je vous présente M. Basile Lemplâtré, dit le Noircicaut. Il est chauffeur de taxi. C’est lui qui a amené ici votre ami au manteau de vigogne.

Tiens donc ! J’adresse un sourire à M. Blanc.

— Tu l’as rencontré où cela ? comme disait M. Pierre Bellemare à l’époque où il nous offrait des « tranches horaires » divertissantes, que depuis lui, c’est plus pareil, moi je trouve.

— Je l’ai rencontré devant l’hôtel où il attendait le retour de son client.

— Esprit de déduction ?

— Tout à fait. Je me suis dit que ton bonhomme n’était pas venu pédestrement au Château Frontenac et qu’il devait avoir une voiture à sa disposition. Après avoir interrogé le portier, j’ai fait la connaissance de monsieur.