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Là-bas, ma chère Marie-Marie lance sa conclusion à la tribune, de sa belle voix chaleureuse et harmonieuse.

— Comprenons-le bien, dit-elle. Chaque enfant du monde qui souffre de la faim devient automatiquement notre enfant !

— Vrouhhhaa ! fait l’assistance conquise en applaudissant à tout rompre, comme on dit.

Que je me demande à quoi ça correspondait, ce « tout rompre » au départ.

— Vraouiouiouilllle ! hurle le gonzier dont j’exprime le jus de bumes.

Lui, il n’applaudit pas : il s’évanouit sous l’intensité de la douleur et glisse entre quelques personnes et moi.

— Il est malade ! s’exclame un Belge opportun qui a de la présence d’esprit.

Je remets mon gant avec l’autre.

— La chaleur, dis-je, au Belgium. Y a des gens qui ne supportent pas.

— Il écume ! note le vaillant fils du roi Boudin.

— Alors ce doit être du delirium, diagnostiqué-je.

— Il faut aller chercher du secours ! conclut le Belge[2].

— Inutile, certifié-je. Ça va lui passer comme ça lui est venu.

— Il est tout vert.

— Parce que ses symptômes s’accompagnent d’une poussée chlorophyllique à dégagement poreux.

— Vous êtes docteur ?

— En épiphanie concentrée ; c’est moi qui ai opéré le conservateur de la tour Eiffel lorsqu’il a eu une inflammation de la pointe.

Mon interrolocuteur me dédie une mimique de considération. Dès lors, nous enjambons le chafouin pour nous retirer, car la conférence est terminée.

Je m’attarde dans l’immense hall du palais des causettes jusqu’à ce qu’apparaisse ma bien-aimée. Elle est cernée par une armada de vieux crabus qui la complimentent et la sollicitent pour d’autres prestations.

Je fends la foule des admirateurs.

— Mademoiselle, fais-je, votre voiture est avancée ; vous avez tout juste le temps si vous voulez avoir votre vol.

De me voir surgir au milieu de ses podagres, ça la scie, Marie-Marie. De surprise, elle ouvre les yeux et la bouche. Mais avant qu’elle profère, je la happe et l’entraîne.

Fectivement, je dispose d’une guinde dans le parking, muni d’un chauffeur. Il est vaudois, mon taximan, avec des favoris blond cendré, une casquette sommée d’un petit bistougnet marrant, des lunettes posées au bord de son tarin fourbi au saint-saphorin. Il porte un gros cache-nez de laine bleue et il écoute religieusement sa radio qui raconte le dernier match de Xamax contre les Constipés de Bavière.

Marie-Marie prend place. Je claque la portière, contourne l’arrière du bahut pour aller m’asseoir à son côté.

— L’aéroport, dis-je.

Elle laisse éclater sa surprise.

— Toi à Genève, si je m’attendais !

— Il faut toujours t’attendre à tout de ma part !

— Tu vas prendre l’avion ?

— Textuel.

— Pour Paris ?

— Montréal.

— Tu pars pour le Canada ?

— Toi aussi !

Je tire de ma vague deux billets Swissair, first classe, les feuillette.

— Je ne rêve pas : il y a bien ton nom écrit là-dessus, non ?

— Mais, Antoine !

— Il n’y a pas de « mais », ma chérie !

— J’ai des rendez-vous, cet après-midi !

— Je te les ai décommandés.

— Je n’ai pas pris mes bagages !

— Ils sont dans le coffre du taxi !

— Mon hôtel…

— Je l’ai réglé.

— II ne fallait pas, je suis prise en charge par…

— Par moi ! Les autres n’existent pas, n’ont jamais existé, n’existeront jamais !

— Tu es fou !

— Totalement, et de toi !

— Qu’est-ce qui t’arrive ?

— Une enquête. Une de plus. Excitante ! Une affaire très bizarre.

Et, chemin roulant, je lui narre la mésaventure survenue à Justin Petipeux, fermier ardéchois, de même que l’attentat perpétré contre le général Boniface Chapedelin à Bruxelles.

— Le type de la voiture de sport jaune et son compagnon de voyage ont parlé de l’aéroport de Genève. Je me suis rabattu sur l’aérogare. Dans le parking de durée illimitée j’ai déniché une Lotus jaune, immatriculée dans les Alpes-Maritimes et pourvue d’un porte-bagage chromé. Comme l’un des occupants annonçait son départ pour Montréal, je me suis fait remettre la liste des gens qui ont pris le vol d’hier. Astucieux, hein ?

— Et alors ? veut-elle en savoir plus.

— L’un des noms correspondait avec celui du propriétaire de la Lotus que la préfecture de Nice m’a fourni.

Elle sourit, éblouie.

— Tu es vraiment un flic de premier ordre, Antoine !

— Penses-tu l’enfance de l’art ! Même ton oncle Béru aurait agi de la sorte.

— Et tu vas à Montréal pour retrouver le bonhomme en question ?

— Gagné !

— Tu feras quoi de lui, si tu le déniches ?

— J’essayerai d’apprendre qui a tué le général Chapedelin, et pourquoi. Au besoin, je préviendrai d’autres actions de ce genre, car je pressens une machination.

— Et qu’est-ce qui motive mon déplacement à moi ?

— L’amour que je te porte, Tourterelle à col bleu.

— Tu sais que j’ai des occupations…

— Je le sais puisque je suis ta principale occupation. Tu dois t’occuper de moi, Marie-Marie. J’en ai besoin.

Elle pose sa tête contre mon épaule. Sa main cherche la mienne, nos doigts s’entrecroisent. A la radio, il passe une déclaration de Gilbert Facchinetti, le big boss du Neuchâtel-Xamax, rapport à l’achat d’un joueur bulgare qui viendrait renforcer sa défense la saison prochaine. Le chauffeur se retourne pour nous dire que c’est une belle acquisition. Lui, s’il avait l’argent, il n’hésiterait pas. Je lui réponds que je saurai quoi lui offrir pour Noël. Il rigole et je roule une pelle à ma conférencière.

Le vol doit faire escale à Zurich. Partant à treize plombes de Genève, nous devrions nous poser à quinze heures trente à Montréal par le jeu du décalage. J’achète une belle boîte de Suchard[3] en duty free à ma compagne. Elle fait semblant d’être contente, mais les petites frangines de cet âge ont trop le souci de leur ligne pour se laisser envahir par des calories de complaisance. On passe dans le satellite qui nous concerne en parcourant un long cheminement sur le tapis roulant. Ce départ à deux m’émoustille bougrement. Ça ressemble déjà à un voyage de noces ; sauf que la noce sera pour le retour !

On attend dans la grande rotonde vitrée. Notre zinc est à pied d’œuvre, avec les gonziers habituels qui s’agitent autour pour les bagages, le plein de schizophrène (comme dit Béru), les vérifications diverses. Une vingtaine de minutes s’écoulent, puis le vol est appelé. Comme on voyage en first, nous laissons grimper les touristes avant nous. Ils queuleuleutent, leur brème çl’embarcade à la main. Ça s’écoule assez vite car le gros des passagers grimpera à Zurich.

Juste au moment où l’on annonce que ça va être au tour des first, un mec courtaud, trapu, broussailleux, survêtu d’un imper blanc dûment constellé de taches, s’avance en trimbalant un commandant — case noir. Il marche précautionneusement, kif le funambule traversant sur un fil le Grand Canyon du Colorado.

Nos regards s’accrochent et on frémit. Le mec en question n’est autre que le chafouin à qui j’ai malmené les roustons, y a une heure. C’est tellement énorme de se retrouver dans ce satellite, en partance pour le Canada, lui et moi, que notre animosité passe au second plan.

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2

Un certain Aloïs Van Kontrer, de Liège où il a une fabrique de bouchons ; ce qui ne l'empêche pas de s’occuper d’œuvres caritatives, comme tu vois.

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3

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