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— Le monde est petit ! il me lance.

— Non, fais-je, c’est le hasard qui est grand !

Il vient d’apercevoir Marie-Marie à mon côté et pige, rétrospectivement, la motivation de mes réactions belliqueuses pendant la conférence.

Et alors tu sais quoi ?

— Je m’excuse, il murmure, je ne pouvais pas savoir…

Je lui décroche la mâchoire, lui passe les claouis au mixer, et il s’excuse, le chéri !

— C’est moi qui vous demande pardon, riposté-je.

Il a un sourire douloureux.

— J’aurais tant aimé avoir des enfants, il dit.

— Vous croyez cette aspiration compromise ?

— Hum, j’en ai peur. Arrivé à Montréal, j’irai consulter.

Je lui adresse un clin d’œil amical :

— Dans l’hypothèse où vous seriez inapte à la reproduction, je me ferais un devoir d’assurer votre descendance à votre place.

— Merci, mais si j’en juge d’après madame, je ne pense pas que ma bonne femme soit votre genre.

Et il presse tant bien que mal le pas pour aller tendre sa carte à l’hôtesse.

Marie-Marie, curieuse comme une pie borgne, me demande des explications. Je les lui fournis. Quand elle sait qu’elle est à l’origine de la découillation du chafouin, elle se sent lourde de remords.

— Tu es d’une jalousie féroce !

— Si j’avais été tellement jaloux, c’est le larynx que je lui aurais broyé, ma chérie !

On bouffe un frichti… de première, arrosé d’une tête de cuvée pas dégueu. N’ensuite on somnole, tempe contre tempe jusqu’au-dessus du Labrador, féerique de blancheur sous le soleil.

Pendant sa dorme, la Musaraigne m’a désuni et sa tête est maintenant appuyée contre le volet baissé de l’hublot.

Du temps qu’elle en écrase, je décide d’aller changer l’eau du poisson rouge. Les chiches des « first » étant occupées, je me rabats sur celles des « business ».

Je laisse ma vessie s’exprimer à loisir et, ensuite, me lave les mains, selon les principes que m’a inculqués Félicie, laquelle est une maniaque de l’hygiène. Ayant procédé à ces ablutions, j’empare des feuillets de papier destinés à sécher mes mains, les jette ensuite dans le réceptacle réservé à cet usage. N’aussitôt, j’émets un juron charretieur.

Il y a de quoi ! En me fourbissant les phalanges, j’ai enlevé ma chevalière, cadeau de m’man, et l’ai balancée en même temps que le faf froissé. J’aurais dû me méfier. Depuis que j’ai maigri de trois kilogrammes, elle ne tient plus bien à mon auriculaire. On peut pas croire, la façon que ça se répartit (ou départit), le poids ! Tu perds six malheureuses livres qui ne modifient pratiquement pas ton apparence, et tes bagouzes se font la malle !

Alors bon, je décroche le réservoir à déchets et, pour gagner du temps, le renverse sur le sol de la minuscule salle d’eau. Fébrilement, je défroisse les serviettes usagées, ce qui me permet de découvrir deux Tampax en fin de carrière, un glave qui ferait chialer de jalousie un belon triple zéro, et, enfin — Dieu en soit loué —, ma chevalière.

Soucieux de la conserver, je la passe dans la chaîne d’or à maillons marine que m’a offerte une dame fortunée particulièrement satisfaite de la manière dont je lui avais amidonné le frigounet.

A présent, il s’agit de tout remettre en place. Je refous droit le bac émaillé et entreprends de ramasser les rectangles de papelard souillé. Au moment de les jeter dans le récipient, je reste en inachevance de geste. Façon chien Pluto, avec une papatte à l’équerre et les oreilles en ailes de cigogne. Je suis un policier en arrêt. A force d’arrêter les autres, je finis par m’arrêter moi-même.

Tu conviendras qu’il y a de quoi, lorsque je t’aurai dit qu’au fond du vide-ordures se trouve scotché un pétard gros comme la bite à Béru. T’admettras bien que ce genre de découverte n’arrive qu’à moi, hein ? Enfin quoi ! Je viens licebroquer dans un cagoinsse qui ne se trouve pas dans mon secteur ; je me lave les pognes, m’essuie, perds ma chevalière, m’en aperçois illico, la cherche ! Et…

La somme de hasards qui m’a conduit infailliblement à dénicher cette rapière pour safaris est prodigieuse. Cosmique ! C’est toi qui viens d’ajouter cosmique ? Eh ben t’as raison : c’est cosmique, en effet.

J’arrache le sparadrap pour récupérer l’arme. Tu parles d’un joufflu hors gabarit ! Fabrication italienne ! Y a qu’un bersagliere pour se trimbaler une telle bombarde sur la hanche ! Je retire le chargeur. Huit bastos dont chacune est de la dimension de mon petit doigt. T’en glaviotes une dans le pucelage de l’avion (Béru dixit) et le zinc part en sucette !

Je retire les quetsches du chargeur et les empoche. N’ensuite, je sors mon knif suissaga et me mets à bricoler le percuteur du feu de telle sorte que si on lui confie un nouveau chargeur plein, il ne sache plus qu’en faire. Après quoi, j’efforce de remettre les choses en état ; me faut lutter avec les bandes adhésives qui adhèrent plus lerchouille, mais bon, ça peut cadrer.

Je replace les détritus, et me voilà sorti des chiches avec l’air béat d’un constipé sauvé par le Pursénide Sandoz.

De retour à ma place, je hèle l’ouvreuse, une blonde jolie toute pleine, comme dit le Mammouth, qui se nomme Gretter, si l’on en croit le macaron fixé sur son flotteur gauche.

Je lui refile en douce ma carte professionnelle dans le creux de la main. Au début, elle croit qu’il s’agit d’un billet polisson comme quoi j’aimerais lui faire craquer la moniche en arrivant à Montréal, mais la texture du document l’en dissuade.

— Voulez-vous montrer ceci au commandant de bord et lui dire que j’aimerais lui parler d’urgence, et discrètement ?

Étant suisse alémanique, elle met un bout de temps à concevoir mon propos. Pour faciliter le transit cérébral, je lui répète en allemand, en espagnol et en anglais. Alors elle risque une zœillée sur ma carte, sourit à la photo avenante qui l’illustre, devient grave à la lecture du mot police qui le traverse et s’en va vers le poste de pilotage.

En moins de jouge, et encore, elle me prie que le commandant Ziebenthal m’attend.

C’est un gars de belle prestance, la quarantaine, le cheveux dense et blond, le regard pâle. Il est en bras de chemise et ses muscles en saillie font comprendre qu’il n’est pas encore la proie des charançons. Il me conçoit d’un regard pénétrant et me salue d’un hochement.

— Quelque chose qui ne va pas ? s’informe-t-il avec un accent germanique qui pourrait resservir encore cinq ou six fois sans avoir besoin de passer à la vérification de gutturance.

Je tire la poignée de balles de ma fouille et les jette dans sa casquette posée à l’envers sur une console d’excroissance.

— Oui, ça ! lui dis-je.

Un grand « V » se dessine au-dessus de son nez aquilin. Son copilote, du genre poupin, fait entendre un « tssst tsssst » réprimandeur, comme t’en adresses un au garnement qui fout le feu au journal de son grand-père pendant qu’il s’est assoupi. Le radio, lui, ses écouteurs aux oreilles, ne s’est aperçu de rien. Il continue « d’alfa tanguer » imperturbablement.

J’explique au commandant la nature de ma découverte.

— Vous aviez des doutes ? il s’enquiert.

— Non. C’est le hasard.

Mais il ne me croit pas. Je ne serais pas poulardin, d’accord, il admettrait la fortuité. Mais un drauper qui lui ramène une poignée de balles en chiquant au hasard, lui, ça lui ferait souiller son beau slip blanc à fines rayures bleues que raffolent les hôtesses.

N’en moins, il prend pas la rose en chiant, le commandant Ziebenthal.