— Vous pensez que nous devons redouter une tentative de détournement ?
— C’est à craindre.
— Ce qui me déconcerte, c’est que nous voilà au-dessus du continent américain où, Cuba excepté, et encore j’en doute, aucun État ne consentirait à accueillir des pirates de l’air.
— Soyons vigilants tout de même. Dans combien de temps arrivons-nous à Montréal ?
— Deux petites heures. Pour quelle raison avez-vous laissé le pistolet en place ?
— Pour avoir une occasion d’arrêter l’homme qui chercherait à détourner l’avion. S’il ne trouvait pas l’arme, il renoncerait à son projet.
— Vous avez un moyen de le neutraliser ?
Je lui montre ma paire de poings.
— A partir du moment où son feu est inutilisable, ces deux bricoles devraient suffire.
— Et s’ils sont plusieurs ?
— Vous allez prévenir les stewards. J’ai cru remarquer qu’ils étaient jeunes et convenablement baraqués. Donc, ouvrons l’œil. Pourrais-je disposer d’un tournevis ?
— Pour quoi faire ?
— Convenablement manié, il peut devenir une arme.
L’officier me désigne un trappon dans la cloison sur lequel se silhouette une clé à molette.
— Servez-vous.
Je tombe alors sur une trousse à outils bien garnie. M’empare d’un tournevis et d’un marteau à manche court. Je pose ce dernier près du commandant.
— Confiez ce machin-là à l’un de vos garçons de cabine ; il le passera dans sa ceinture, sur le côté, ça ne tient pas de place et c’est d’une grande efficacité quand il le faut !
Ma mie vient de se réveiller et consulte le magazine de Swissair obligeamment distribué aux passagers. Là-dedans, y a un reportage formide sur l’élevage de la moule à crinière espagnole.
— D’où viens-tu ? demande-t-elle.
— Visite de politesse au commandant.
Le dommage, c’est que je tourne le dos au chiotte où est planqué le pistolet. Je ne peux pourtant pas monter la garde devant !
Un à un, les stewards se rendent dans le poste de pilotage où les a mandés le commandant. Je loue la mine indifférente qu’ils affichent en sortant. Rien, sur leur visage, ne trahit la plus légère contrariété.
Sur l’écran, on lit la marche de l’avion au-dessus de la planète. Il s’inscrit sur une carte de l’Amérique du Nord, s’efface pour reparaître une seconde plus tard, et le pointillé qui le suit s’est imperceptiblement allongé.
— Tu sembles aux aguets, note ma fine mouche.
J’aime qu’elle soit consciente de mes sentiments. Alors, très succinctement, je lui raconte l’historiette.
— Tu crois qu’il va y avoir un coup de main ?
— Ça me paraît assez inévitable. Loger cette arme dans la poubelle des toilettes représente une performance ; on ne l’a pas accomplie pour la peau !
Elle ne semble pas effrayée le moins du monde, ma gonzesse.
— Ce ne sera pas un homme isolé qui agira, dit-elle.
— Pourquoi ?
— Seule une organisation structurée peut bénéficier de complicités extérieures, tu ne crois pas ?
— Certes, mais qui nous prouve que la mission du terroriste impliqué ne peut pas être perpétrée par un seul individu ?
Elle se saisit de ma dextre.
— Mon Dieu, Antoine, sais-tu à quoi je pense ? Suppose qu’il y ait d’autres armes dans d’autres toilettes ?
Boum ! La bombe ! Et messire l’Antonio, bellâtre de pacotille, qui pavanait comme un caon (ou un pon), M’sieur Tonio, sûr de lui et dominateur, tout aise d’avoir neutralisé un feu, chique les guerriers blasés.
— Dans quelle toilette as-tu déniché le pistolet, chéri ?
— Business tribord.
Elle se lève.
— Je vais aller regarder au businesse bâbord.
Je la laisse dégager. Le qui-vive me cogne aux tempes. Pourquoi cette pensée ne m’est-elle pas venue ? Tu trouves que je suis réellement un commissaire d’élite, toi ? J’aurais pas un peu de mou dans la corde à nœuds, des fois ?
Penché dans la travée, je regarde s’éloigner ma compagne. Elle se rend devant le gogue déterminé. Il est occuped. Elle poireaute. Ce que voyant, une connasse d’hôtesse de merde lui indique du doigt que le second chiche est libre. Alors, prompt comme un éclair au chocolat, je fonce vers le deuxième cagoinsse et y entre. Du temps que j’y suis, je vais vérifier si le pétard est encore là.
Il n’y est plus !
Conclusion : le coup de main va se produire ! A moins que le terroriste fonctionne seul et qu’il se soit aperçu que le pistolet n’est pas chargé. Mais s’il avait constaté la chose, n’aurait-il pas laissé l’arme en place, puisque, non seulement elle ne peut lui servir à rien, mais qu’en outre elle est susceptible de le faire repérer si on la découvre en sa possession ?
Boudiou ! Ce qu’il faut penser vite et beaucoup dans ce putain de métier ! Penser en trombe ! Penser d’instinct. Penser sans y penser !
Marie-Marie me rejoint, perplexe.
— II existait un second pistolet, fait-elle, et on l’a déjà récupéré.
— Comment sais-tu qu’il y en avait un ?
— Du papier adhésif en boule dans la poubelle des toilettes !
Bien cadré ! Digne de devenir femme de flic, la merveilleuse !
Qu’en désespoir (d’angoisse et) de cause, elle tire sa minaudière de son sac pour se refaire une beauté. Comme si elle en avait besoin ! Si belle, avec des traits purs, et plein de jeunesse sur toute sa personne.
Je phosphore comme toute une boîte d’allumettes. S’il y a des pirates de l’air dans ce zinc, que cherchent-ils ? Le commandant Ziebenthal a raison : nous détourner pour aller où ? L’objectif ne saurait être quelque pays arabe : nous n’avons plus suffisamment de carburant pour en rallier un ; et puis il eût été fou d’attendre que nous ayons franchi l’Atlantique pour perpétrer leur forfait. Ils avaient beau jeu de braquer l’équipage peu après le décollage.
J’en suis là, à quelques centimètres près, de mes réflexions, quand voilà un monsieur qui se penche sur moi. Veste sport en cachemire, polo de soie jaune. Il a le visage allongé, les tempes qui commencent à grisonner.
II me braque à l’aide d’un parabellum (ne pas confondre avec un para bel homme) qui n’est pas l’arme que j’ai neutralisée.
— Celui-ci fonctionne parfaitement, m’avertit-il en anglais.
La phrase est d’une éloquence gigogne. Elle sous-entend qu’il sait que j’ai découvert et rendu inopérant l’autre feu.
Il ajoute :
— Madame est arrivée trop tard dans la seconde toilette.
Il a un regard noir, avec un petit serti vert pâle autour de l’iris d’un effet étrange. Cela incommode.
Il reprend :
— Vous allez vous lever et venir avec moi dans la cabine de pilotage pour expliquer au commandant que cette arme est parfaitement opérationnelle et qu’il doit, pour la sécurité de tous, se conformer à mes indications. Car vous lui avez parlé du premier pistolet et il se tient sur ses gardes. Je sais que vous êtes un homme impulsif, mais vous auriez tort de jouer les héros, vous n’ignorez pas les conséquences que peut avoir une balle tirée dans le fuselage d’un avion pressurisé ?
Je fais la moue. J’enrage ! Fabriqué comme un bleu !
C’est le moment choisi par Marie-Marie pour balancer le contenu de sa minaudière dans la frime de l’homme. Un nuage de poudre ocre nous sépare. Le gusman a morflé la cargaison dans les châsses, la bouche, les narines. II suffoque comme un phoque loufoque baissant son froc sous le foc. Prenant appui des deux mains sur mes accoudoirs, je réussis une poussée de bas en haut qui ferait chialer de joie Archimède. Mon crâne télescope son menton. Coup de feu ! Merde ! Le zig fléchit sur ses genoux comme s’il m’implorait. L’arme qu’il tenait a chu. La balle tirée à la désespérée s’est enfoncée dans le dossier du siège placé devant moi. Pas de conséquences fâcheuses. Merci, Seigneur ! J’administre à mon tagoniste une manchette sur la nuque. Ça le foudroie.