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Donc je recommence mon entraînement… Vingt-cinq, vingt-six…

S’entraîner quand on est assis dans son lit et s’entraîner quand on est immergé dans le cloaque, ça fait une paille. V’là que j’ai déjà irrésistiblement envie de rejeter mon gaz carbonique. Il faut pas. Absolument pas. Une fois que vos éponges se sont vidées, le mouvement d’inspiration devient péremptoire. Et alors c’est la tasse saumâtre, le méchant bouillon d’onze heures ! Ah ! l’organisme est un père pantoufles ! Pour le déroger de ses habitudes, tintin !

… trente-huit, trente-neuf…

Ça y est, va falloir que je largue les amarres ! Je manque d’entraînement, décidément. Ou alors je compte des secondes excessives. Elles mesurent trois ou quatre dixièmes de trop, probable !

« Si t’arrives pas à la minute, San-A, tu es une crêpe. »

Ainsi je me cause.

Pour eux là-haut, aussi, le temps doit paraître long. Et puis je pige que mon calcul est vain. Ils attendent mes bulles. Tant qu’elles crèveront pas à la surface ils sauront que je me bigorne avec mes poumons. À soixante je balance une partie de ma vapeur. Faut encore m’accommoder du reste. Tricher, faire croire à mon sang que la carburation continue. J’avale ma salive. Je crachote entre mes lèvres crispées un petit jet qui me grimpe en chapelet mignon devant le pif.

Les vaches ! Ils ne se décident pas à me hisser. Ma tête est pleine d’ombres pourpres. Je glaviote ma toute fin de carbone, mon extrême reliquat. Je racle les fonds de tiroir. J’ai plus la force mentale de compter. À quatre-vingts j’ai décroché. Mon corps réclame monstrueusement. Je ne suis plus qu’une avidité d’oxygène. Une frénésie respiratoire. Ça y est, c’est râpé, faut que je m’ouvre. Que je bée, que j’absorbe ! N’importe quoi… De la flotte sanieuse ? Tant pis ! Arrraoutch ! Bouâ ! Pleugh ! Ça rentre, ça m’envahit ! Me vertige ! Me suffoque ! Je pense à des petits chats que grand-mère jadis noyait, à la campagne, dans une lessiveuse. Je me dis que j’expie pour eux. Ne noyez plus les petits chats, mes mémères, c’est trop lourd de conséquences.

À force d’asphyxier, un calme me prend, terrible. Rien de pire que la fin d’une souffrance lorsque sa cause continue. Elle signifie la mort. L’engourdissement de la fin. La sérénité des derniers instants qui détend si bien les traits qu’on a appelé les morts des bienheureux !

Glaoupp, cratch…

Ils ne m’auront pas remonté à temps !

IV

Une devinette : qu’est-ce qui fait les plus belles bulles, du pape ou de San-Antonio ?

— Oui, mes amies, vous l’avez deviné grâce à votre sagacité de friponnes, c’est le grand, le seul, l’unique, le cher Paul VI, seulement les miennes ne sont pas mal non plus. Il s’en forme une énorme devant mon regard brouillé, qui me cache le monde. Un vrai ballon. Si irisé qu’il semble capter toute la lumière. Il éclate. Je crois percevoir le bruit de la détonation. En fait, personne n’a sursauté.

Les protagonistes de mon agonie sont tous là. Le grassouillet en bras de chemise, le vieux qui m’a fait barboter et la fille à la robe blanche brochée d’or. Elle ressemble à une nymphe. Ordinairement on représente toujours les nymphes, les anges et les divinités sous des apparences blondes. Probable que dans l’esprit des imagiers, le blond fait plus virginal, plus céleste. Ils se gourent. Et tenez, je vous en parie ma part de purgatoire contre un abonnement à l’Olympia que Jésus était brun. C’est Saint-Sulpice qui l’a décoloré, l’a déguisé en philosophe Scandinave. Z’ont décidé qu’il ferait moins juif avec sa barbe et ses cheveux d’or. Plus fils de Dieu ! Fichaise ! Moi je l’accepte couleur pruneau, Jésus. Je rêve d’une grande superbe révélation qui nous l’apprendrait bougnoul, bien cirage, crépu pire qu’astrakan !

Bon, je causais donc que ma bulle éclate et que j’aperçois les gens, y compris les deux gus, tout là-bas, dont l’un rase la tétère de l’autre. Un goût de vase putride m’emplit la margoule. Je souhaite refiler, ça me soulagerait. J’ai un grand appel de l’ami Hugues qui me vient des stomacales profondeurs. Mais tout ce que j’expectore c’est un misérable couac. Il est suffisant pour alerter la fille. Elle regarde dans ma direction et sourcille. Puis elle virgule un coup d’œil hâtif aux autres. Son copain le suifeux bavarde véhémentement avec le vioque à la ficelle. Il ne me prend pas garde. La donzelle s’avance dans un froufrou soyeux. Elle se penche sur moi. Je vais pour lui dire quelque chose d’aimable, mais elle met un doigt sur ses lèvres. Du coup je rentre mon compliment. Holà ! du bateau, que signifie ? La fille s’accroupit, ce qui — ô délices — m’offre une vue idéale sur son décolleté de l’hémisphère sud.

Comme me disait mon copain Paulo : une occasion de mater n’est jamais négligeable. Bon précepte, mes petits gars, et que je vous propose de faire vôtre. Ces Iraniennes, c’est pas croyable ce qu’elles ont le système pileux développé ! Je ne veux pas vous donner des détails scabreux, car, vous le savez, c’est pas le genre de ma boutique, mais croyez-moi, des foisonnements comme celui que je bigle, j’en ai encore jamais frimé d’aussi près ! Tu parles d’un chargement de fourrage, mon neveu !

— Ils vous croient mort, faites le mort ! me soufflet-elle d’un ton qui pour être à peine audible n’en est pas moins péremptoire.

Ma surprise est modérée. Pas la première fois que, dans un coup fourré, une sœur me joue la grande scène de l’alliance secrète. Des nanas qui chiquaient les complices commotionnées par mon charme, j’en ai tellement rencontré que, pour vous en dresser la liste, il me faudrait un mois de congé et une machine à calculer.

Néanmoins, je décide de lui obéir parce que, entrer dans son jeu, c’est jouer la carte du présent, comprenez-vous. Et que mon présent n’a pas la démarche chasseur alpin à l’instant que je vous parle.

Le suifeux qui a dû constater son manège lui lance une question, dans une langue qui m’est aussi étrangère qu’une paire de gants à un pingouin. Pourtant, à l’intonation, je devine qu’il lui demande de mes nouvelles.

— Nakheir ! répond la fille en se relevant, ce que je déplore car elle me prive ainsi de sa luxuriance.

Le gars moi-même ferme ses yeux et s’applique à respirer menu. Attendons la suite, on verra bien !

Elle ne se fait point attendre. Après un bref conciliabule les deux hommes s’approchent de moi et m’empoignent. Je conjugue toutes mes énergies à ne pas extérioriser ma vie. Mais y’a rien de plus duraille à dissimuler que l’existence. Heureusement, ces deux branques me cloquent dans la corbeille mentionnée au chapitre précédent.

Bref coltinage le long d’une ruelle carbonisée par le soleil. Bon, v’là qu’on me charge dans le coffiot d’une bagnole. Le volume de la corbeille empêche que l’on referme celui-ci, ce qui me permet de respirer normalement.

On roule, lentement d’abord, au cœur d’une cohue jacassante, puis le véhicule force l’allure, preuve qu’on vient de déboucher sur une route ou du moins une grande artère.

Où donc me drive-t-on de la sorte ? Avouez que c’est irritant d’être le jouet ballotté de ces cinocks. On me neutralise pour me trimbaler, de-ci, de-là, d’un chameau broyeur de safran à un hammâm insalubre. Et voici à présent la balade en tuture. Ah ! non, classe à la longue !

Le trajet est de courte durée. La chignole stoppe, soulevant un épais nuage de poussière blanche et brûlante.

Un silence épais s’abat sur mes tympans comme un cataplasme de farine de lin sur un râle pulmonaire[4]. C’est le silence de la chaleur lorsqu’elle est torride. Un silence d’étouffement cataleptique, si vous voyez ce que je veux dire ? Plus rien ne bronche. Tout est pétrifié dans une torpeur à cinquante degrés. Illico, malgré mes fringues détrempées, je sens la sueur qui me gicle des pores.

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4

Approximatif, comme métaphore, mais faut quand même le trouver, non ?