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L’odeur d’essence de la tuture se fait pénétrante, stimulée par la température. C’est vachement volatil, la benzine, faufileur ! Ça investit les trous de nez pire que les pensées cochonnes investissent vos mignons cervelets, mes loutes.

Pourquoi, soudain, cette senteur de pétrole me fait-elle redouter que ces gueux ne m’incinèrent ! Ils me croient cadavre. Or, un cadavre est préoccupant pour des assassins. Ils cherchent tous la bonne combine pour l’anéantir. Anéantir ? Voire. Rien ne se perd rien de secret comme dirait… l’autre ! Toujours est-il que je me vois mal parti. Comment déjà, la devinette ? Qu’est-ce qu’est jaune et qui consomme dix litres ! Réponse : un bonze ! À ce propos, Claude Nielsen me faisait observer le sujet philosophique que ça donnait à disserter, la marotte de ces bonzes s’arrosant d’un produit éminemment américain pour faire prévaloir des idées antiaméricaines. La noblesse du feu, c’est quelque chose ! Jeanne d’Arc aurait pas cramé qu’on n’en causait plus ! Tenez, je vous prends sainte Blandine, becquetée par les lions, on lui célèbre le culte, à elle ? Des clous ! Terminer crottes de lions, c’est ridicule, tandis que s’effriter en cendres, ça oui, ça vous place la légende sur orbite.

Mes kidnappeurs m’extrayent de la malle de l’auto, puis de la manne d’osier. Je roule dans une poussière couleur de miel et qui me brûle comme le sable des plages en folie de l’été. Ils discutaillent entre eux. Je continue de chiquer les mortibus. Enfin on se penche sur ma pseudo-dépouille et on me détortille mes liens. L’ankylose me conserve raide comme barre. Maintenant, ces malfrats m’empoignent et me décollent de terre. Ils se mettent à me balancer. À la une, à la deux ! Partez ! Je peux pas me retenir d’ouvrir une chasse. Je vois tournebouler un paysage pelé autour de moi. Je virevolte dans le soleil. Confusément je distingue les berges ocre d’une rivière, son eau marron foncé, les arches paille du pont d’où l’on vient de me larguer. Une symphonie de jaunes, depuis la terre-de-Sienne jusqu’au jaune soleil. Je tournoie de plus en plus vite. Pourvu que la baille soit assez profonde pour m’accueillir. Ils sont languissants, les cours d’eau iraniens, pas riches en débit ! C’est de la flotte qui lézarde, s’étale, vasouille. Il va se déguster une vache infusion de rochers, le San-A. ! Se péter la carcasse sur des caillasses. Brisé menu, comme biscuits foulés !

La tronche en limande, en grenade trop mûre, selon l’image classique.

C’est bref, un valdingue, vu de loin. Mais quand on est le plongeur il semble interminable. T’as le temps de repasser ta vie à la visionneuse ! Depuis ta première dent de lait jusqu’au futur que tu ne connaîtras pas, que t’aurais pu connaître…

Je me contracte pire qu’un bloc de granit rose (mon préféré). Et puis c’est un bref engloutissement dans une onde que la longueur de ma chute semble avoir épaissie. O.K., je m’en tire. Sous les ponts y a souvent des trous. N’empêche que je touche le fond de la rivière et que je ressens un moche ébranlement dans mes côtelettes. Je voudrais me débattre, mais je m’intime l’ordre de ne pas broncher. Ils doivent m’observer, de là-haut. Si je remue ils réagiront.

Bien raide, je fais la planche. La surface enfin ! Soyeuse, baignée de lumière. Éblouissante ! La chaleur m’agresse la partie face ! Un courant beaucoup plus rapide que je ne l’imaginais m’entraîne. Un remous me fait pivoter. Je dois ressembler à un vrai cadavre, vu du bridge. À une charogne docile. J’entrouvre les yeux. Je les vois accoudés au parapet, tous les trois : la fille, le suifeux, le vieux crabe ! J’ai le temps de me dire qu’il est vachement bathouze, le pont, avec ses arches arrondies, sa ligne dodelinante, son crépi ocre. Une œuvre d’art autant qu’un ouvrage d’art. Je m’en éloigne de plus en plus vite. Des élans contraires de la rivière me braquent de gauche et droite, comme la barre d’un gouvernail fou. Bientôt, le cours d’eau devient plus impétueux car il rétrécit pour foncer dans une gorge. Ça risque de barder pour ma viandasse. Je vais être mis en charpie dans ce défilé. Un coude s’amorce. Banco : me voici hors de la vue de mes bourreaux. Je me mets à nager aussi fort qu’il m’est possible. Des reliquats d’ankylose m’accrochent encore du plomb aux entournures, mais l’énergie du désespoir a toujours permis à un homme digne de ce nom de surmonter ses misères.

À force de barboter, de trépigner contre l’élan de la rivière, je finis par m’orienter vers sa berge la moins abrupte. Trente mètres plus bas, s’allonge une espèce de petite grève caillouteuse. Je l’ai distinguée entre deux bouillonnements. J’ai un élan de triton pour l’atteindre. Robinson se tirant les pinceaux de son naufrage ! Terre ! Terre ! Ben mon Colomb !

Le dur contact rouleur des galets sous mes reins.

Je m’agrippe pour échapper aux sollicitations de l’eau poursuivant sa course frénétique. Encore un effort ! Inépuisable énergie san-antoniesque ! La volonté bandée ! Ah ! ce que je la bande dur ! Merci, papa, merci, maman !

Ouf ! Le salut ! Je lance un regard d’infinie reconnaissance au ciel bouillonnant de chaleur. Il en fait une tiède, croyez-moi. J’aurai pas de mal à me laisser sécher. Anéanti par mes tasses successives autant que par mes efforts, je me mets en position de fœtus et je ferme les yeux sur un néant aussi capiteux que provisoire.

Dans ma tête délabrée, le chameau continue de broyer de l’ocre dans le clair-obscur de son humble atelier. Depuis combien de mois, combien d’années tourne-t-elle de la sorte, cette misérable bête, à guetter un cliquetis qui lui raconte des horizons pleins de dunes et d’oasis où l’on peut faire son plein de super ?

Ma parole, j’ai dû ronfler un brin. Un homme épuisé dort n’importe où, dans n’importe quelle posture. Le dénuement physique, c’est la mort des matelas Simmons.

Un bruit me réveille. J’ouvre un store, inquiet tout de suite, sur le qui-vive avant d’avoir rassemblé ma lucidité. J’aperçois un grand mec sec, vêtu d’un pantalon bouffant, d’une chemise délavée et coiffé d’un bonnet de laine pointu. Il a le bas des jambes et les pieds nus. Muni d’un épervier, il pêche depuis la rive. Faut lui voir la dextérité lorsqu’il virgule son filet à la sauce. D’un grand geste arrondi ! Auguste presque comme çui du semeur. Blaouff ! Le rond de filoche s’étale sur le courant et y coule. Le zig hale ses ficelles et ramène un sac où frétillent des affolements d’argent. La grande pêche miraculeuse. Il en a un plein seau déjà. Des sortes de truites très pâles qui remue-ménagent à outrance contre les parois du récipient.

— Ça biche, pêcheur ? je lui lance.

Il me regarde brièvement, d’un œil préoccupé, et me répond quelque chose en iranien moderne.

Sa préoccupation, à cézigue, c’est pas les demi-noyés mais les poissons bien vivants.

J’ai la frime en feu because le mahomed qui m’a assaisonné copieusement au lance-flammes pendant ma pionce.

Il s’en tamponne de mon cas, le détruiteur de rivière. Mes affres c’est pas son blaud. Je m’approche de lui.

— Vous parlez anglais ? j’y demande… en anglais.

— Very little, grommelle le gus en rejetant son filet.

L’idée me vient d’inventorier mes fouilles. Gros bol : mes ravisseurs ne m’ont rien chouravé. J’ai une liasse de riais (ou de riaux) sur moi. Tout collés par ma trempette. De l’ongle je parviens à détacher sans dommage du paquet visqueux une coupure aussi appétissante qu’un dégueulis à la framboise. Je la lui montre. Pour le coup il se hâte de haler son filet. Puis il me désigne son seau de poissecailles, croyant que je souhaite acheter sa prise.