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Après que je lui eusse bien fait sentir ma flamme et déballé tous mes madrigaux d’exportation, je me penche enfin sur mon propre cas qui, sans être désespéré, n’en est pas moins de toute beauté.

— Je voudrais téléphoner, dis-je à Thadéthapi.

Je lui demanderais de me procurer douze testicules de moustique en brochette ou une capsule Apollo, il ne pousserait pas une bouille plus décontenancée.

— Téléphoner, bredouille-t-il. Où ça ?

— À Téhéran !

Il répète en plantant tout autour du nom une barrière de points d’exclamation :

— À Téhéran ! ! !

— Pourquoi, fais-je, ça pose des problèmes ?

Il branle son chef embonnetté.

— Ça va demander très longtemps.

— On n’a pas encore posé de ligne téléphonique à Ispahan ?

— Si, mais…

Soudain son visage s’éclaire.

— Il y a un endroit, assure-t-il. Oui, il y a un endroit : l’hôtel Châh Abbâs. Là, vous pourrez téléphoner à Téhéran et avoir la communication dans la même journée, sir ! Moi, je dois livrer ma pêche, mais ma fille va vous y conduire.

L’avantage avec les costars ultralégers, c’est qu’ils se remettent bien d’un bain forcé et qu’on a l’habitude de les voir extrêmement froissés sur le dos des touristes américains. Aussi ne fais-je pas sensation en franchissant le porche du Châh Abbâs, qui est sans aucun doute l’un des plus beaux hôtels du monde. Cet ancien palais revu et corrigé par des promoteurs que la chaîne Hilton empêchait de dormir occupe tout un quartier. Il entoure un immense jardin, plein de pelouses verdoyantes, d’arbres exotiques, de massifs de roses et de pièces d’eau dont le murmure (vous remarquerez que l’eau « murmure » lorsqu’elle a une mission décorative à remplir) accroît la précieuse fraîcheur des lieux.

L’employé de la réception examine mon passeport détrempé.

— Je crois que vous avez beaucoup transpiré, n’est-ce pas, Excellence ? déclare-t-il en me le rendant.

— Énormément, conviens-je. Nous sommes sudatifs de père en fils dans ma famille.

— Nous vous avons retenu la chambre 69, déclare-t-il.

— Comment ça, vous m’avez retenu la chambre 69, bredouillé-je.

— Selon les instructions de l’Agence de Téhéran, sir. Elle est située au rez-de-chaussée et donne directement sur le jardin. Où sont vos bagages ?

— Chez un ami qui me les fera livrer dans l’après-midi, réponds-je avec l’aplomb que vous me savez.

Là-dessus je lui allonge le talbin propitiatoire. Il l’escamote comme un candidat à la présidence escamote une question embarrassante, puis fait signe à un mec en uniforme.

Le pays des mirages, je vous dis ! Voilà qu’on m’a retenu une chambre dans un hôtel dont j’ignorais l’existence ! Quel pastaga, ma doué !

— Accompagnez monsieur ! lui enjoint-il en fârsî, ce qui est une manière comme une autre d’enjoindre, si l’on veut bien y réfléchir.

— Bon, eh bien ! je vous quitte, murmure ma ravissante compagne, avec tellement de regrets dans la voix qu’on aurait envie d’emprunter une voiture à bras pour l’aider à les charrier.

Elle regarde autour d’elle admirativement, éblouie par le luxe, les draperies, les dorures, et les photos de la famille impériale tapissant le hall. Vous pensez : le Châh Abbâs, elle ne l’avait vu que de l’extérieur jusqu’à présent. Elle ne pensait pas avoir un jour l’opportunité d’y pénétrer[5].

— Vous avez le temps ! protesté-je. Vous ne voulez pas jeter un coup d’œil aux appartements ? Je les pressens féeriques, vous savez !

Elle hésite.

— Je crois que ça ne serait pas correct, soupire-t-elle d’un ton qui en dit long sur son regret des convenances.

— Ah ! ça, m’emporté-je, pour qui me prenez-vous, ma jolie ? Pour un cosaque ivre ? Vous allez prendre un verre avec moi pendant que j’attendrai ma communication. À propos, lancé-je à l’employé qui cache mal son intérêt pour le débat, demandez-moi le Hilton de votre fabuleuse capitale. Vous aurez une gratification de monarque si vous réussissez à me l’obtenir avant l’ouverture des prochains jeux Olympiques.

Sur cette promesse, j’empare l’aileron de Vahi-Palpélzizi et l’entraîne sur les talons du loufiat galonné.

La chambre est haute de plafond et basse de plancher. Un appareil à air conditionné y zonzonne doucement dans une pénombre suave. Je retapisse avec intérêt les deux lits, le canapé dans le recoin, moelleux comme un dargif de couturière, l’entassement de tapis qui invite à des débats à ras de terre, la corbeille de fruits sur la commode ainsi que la cruche de cristal pleine d’eau et de glace.

La fille du pêcheur se fige, éblouie, dans l’entrée. Elle n’a d’yeux que pour la salle de bains, pièce insolite pour quelqu’un qui a vécu jusqu’alors dans une masure de terre battue ; pièce fascinante ! Magique ! Barbare, aussi. Elle y pénètre comme le miraculé de frais sort de l’onde guérisseuse sur des jambes ci-devant paraplégiques.

— Qu’est-ce que c’est que ceci ? demanda-t-elle dans son français laborieux mais gazouillé.

— Une baignoire, mon enfant. Cela s’emplit d’eau et l’on s’y plonge entièrement pour se laver.

— Et ceci ?

Ah ! le délicieux petit chaperon rouquinos ! Rien n’est plus émouvant que la curiosité d’une fille ignorante lorsque cette dernière est jolie.

— Un bidet, mon cœur.

— À quoi cela sert-il ?

— À prendre le contre-pied de certaines choses. Si vous voulez me consacrer un peu de temps je vous en enseignerai l’usage aussi bien que le ferait un professeur de bidet affecté à une institution de jeunes filles. La chose que vous apercevez là fait pleuvoir sur votre tête une averse tiède ou froide et se nomme une douche. Voulez-vous en prendre une avec moi ? C’est la coutume de mon pays. Dès qu’un monsieur reçoit une dame, il lui offre la douche de bienvenue car le verset 707 57 49 de notre Coran à nous dit ceci, je cite de mémoire : « Si tu as un beau culte, tiens-le propre. »

« Voulez-vous accepter la douche de l’amitié, chère Vahi ! »

Elle veut, en toute naïveté, si bien qu’en un peu moins de pas longtemps nous voilà à poil, elle et moi, sous le pommeau de la douche.

Je vais vous faire un aveu, mes petits cancrelats : la perfection coupe les effets du cérébral, alors qu’elle stimule ceux du connard. Le connard, à la vue d’une déesse, il s’écrie in petto : « Oh ! le beau eu… ! Oh ! le beau c… ! Oh ! la belle c… ! Et ça lui triquetuche le vasymaseringue. Tandis que l’imbécile cérébral, lui, à la vue de la même déesse (21) il évoque la Vénus de notre regretté camarade Milo, il pense à la Diane Sécheresse ; à une Danaïde penchée sur la question des tonneaux. Il s’écarte du sujet au grand dam de ses attributs. Moi, de mater des seins aussi durs, de frôler des hanches aussi marmoréennes, de dévaler mon regard sur une chute de reins aussi vertigineuse, au lieu de m’enhardir le goumi, ça me transporte le mental. Je me crois plus au musée qu’à l’alcôve ! Sottise ! Heureusement que j’ai affaire à une pure jouvencelle ignorante de la chancetication des volumes chez le mâle humain. Ma tranquillité lui paraît normale. Rassurante en tout cas. Mon calme ressemble à de la politesse. Je sais des nanas que je vais décevoir en avouant le ci-dessus. Que j’ai pas habituées à de tels relâchements ! Qui me considèrent comme le maître étalon ! Qui ont foi en ma braguette magique ! Me prennent pour l’enfanteur Merlin ! Le merlin de service ! Je paume probablement des clilles, mais la franchise avant tout ! Ma faute si je suis un esthète ?

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5

Allons, bon ; voilà que je parle anglais sans le faire exprès !