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In petto je me dis qu’il ferait mieux d’ôter ceux qui lui poinçonnent le blair.

Le paysage défile mollement sous nos yeux. Partout ce n’est que maisons basses, fumantes dans la chaleur. Population en léthargie au bord de caniveaux boueux, dômes de mosquées dont les mosaïques bleues et les vertes scintillent dans la lumière démoniaque.

Tandis que Mostaclaouhi continue de célébrer les voluptés automobiles, je gamberge en caressant la cuisse ferme de Vahi. Voilà que l’action s’est déplacée à Ispahan. Je croyais que mes lascars guignaient les joyaux de la couronne, mais il faut croire que non. Je décide de ne plus les lâcher d’une semelle et d’avoir une sérieuse explication avec eux dans un avenir pas trop lointain.

— L’aéroport, monsieur, déclare mon chauffeur de sa voix cérémonieuse. Magnifique réalisation, n’est-il pas vrai ?

Je louche sur un petit bâtiment blanc qui ressemble à l’Uniprix d’un centre commercial de banlieue.

— Une pure merveille, conviens-je. Quel style, quelle hardiesse dans la conception !

Mostaclaouhi hésite un peu.

— Je me suis laissé dire que c’était le cinquième du monde, qu’en pensez-vous, monsieur, vous qui voyagez ?

— Peut-être pas le cinquième, tranché-je, mais probablement le sixième. En tout cas, à coup sûr le premier d’Ispahan !

— Vous entrez ?

— Non, nous allons nous placer face à la sortie si vous le voulez bien et attendre le prochain avion.

— Vous venez chercher quelqu’un ?

Je regrette d’être affligé d’un conducteur bavard. Il eût été préférable que je louasse une auto sans chauffeur, mais il n’y en avait pas de disponible avant le surlendemain.

Je décide alors de jouer une partie de mes brèmes et j’aboule ma carte de matuche.

— Vous êtes de la police française ! s’égosille le petit vioque.

— Chargé d’assurer la sécurité d’un haut fonctionnaire venu négocier en Iran des accords secrets de la plus haute importance. Je compte sur votre discrétion à tous deux, n’est-ce pas ?

— Seigneur ! Je vous suis dévoué corps et âme ! s’empresse Mostaclaouhi. Je dis bien : corps et âme !

Vahi se blottit contre moi, roucoulante d’extase. C’est bath un pays où les poulardins sont considérés comme des rois mages et non comme des vaches !

Dans le hall, un haut-parleur de kermesse nasille des trucs dont chaque mot commence par un « h » aspiré.

— L’avion de Téhéran, déclare Vahi qui a l’ouïe fine.

Fectivement, un gros zinc à hélices racheté probablement d’occase à un gouvernement centre-africain, commence sa descente sur Ispahan. Il circonvolutionne et se pose sans trop de bavures. Une sourde inquiétude me point : les deux dégourdis sont-ils à bord ?

Ils y sont.

Je les retapisse avant même qu’ils n’aient atteint le bâtiment. Ils marchent d’un pas pressé sur la piste de ciment au ras de laquelle flotte une brume huileuse. King a une légère avance sur son vénérable compère. Il devance le groupe des passagers et même l’hôtesse convoyeuse, en homme pressé d’arriver où il va.

Lorsque les acolytes réapparaissent sur l’esplanade après avoir traversé le hall d’arrivée, je ne peux m’empêcher d’admirer King, beau comme une vedette de cinoche avec son complet blanc et sa chemise noire. Prof, lui, porte le même costar noir, fatigué, les mêmes sandales disloquées, le même bada à bord roulé de petit notaire de province.

Ils ne doivent pas avoir de bagages puisqu’ils sortent sans attendre le délestage de l’avion. L’un et l’autre coltinent une mallette de cuir noir tout juste apte à héberger un pyjama et un rasoir. Probablement ne font-ils qu’un bref aller-retour à Ispahan ? À moins qu’ils n’aient confié leur ticket à un type chargé de récolter leurs valoches ?

Plantés dans la lumière, ils tournent la tête de gauche à droite comme s’ils espéraient quelqu’un. Peut-être cherchent-ils un taxi ?

Non, car voici qu’une énorme limousine du genre Bentley rafistolée se dégage du parking proche et s’approche d’eux. Elle est conduite par un gros mec à quadruples bajoues, en polo noir, affublé de gigantesques lunettes à verres bleus, larges comme les hublots d’un bathyscaphe.

La guinde stoppe au niveau des deux arrivants. Bref conciliabule. Prof et King montent à bord du véhicule qui repart cahin-caha par des routes saupoudrées de poussière blanche.

— On les suit, dis-je.

Mostaclaouhi opine.

— Lequel était le haut fonctionnaire ? s’informe le gentil vieillard.

— Le plus âgé.

Un haut fonctionnaire aux pinceaux nus dans des sandales crevées, il savait pas que ça existait, le brave homme.

— C’est un homme très simple, dis-je. Il ne paie pas de mine, mais sa valeur est grande.

— Vous pensez que la police iranienne n’est pas à même de veiller à sa sécurité ? demande-t-il d’un ton de reproche.

— Simple routine administrative, riposté-je. Ça me permet au moins de visiter la Perse.

À la voir traverser le terre-plein, on la jugeait au bout de son rouleau, la Bentley. Elle faisait pièce de musée. Seulement une fois sur une route dégagée, oh pardon, vous materiez la manière dont elle déhote : une vraie météorite ! En un clin d’œil il ne reste d’elle qu’un nuage, une tornade blanche qui se convulsionne au bout de ma route.

— Appuyez ! Appuyez ! aboyé-je.

— Mais je suis en rodage ! déplore Mostaclaouhi.

— M’en fous, mettez toute la sauce !

— Une voiture de ce prix-là, monsieur ! Vous n’y songez pas !

— Le rodage est une notion périmée, certifié-je, les moteurs sont passés au banc d’essai avant d’être livrés. Pour assurer la longévité de la voiture il convient au contraire de les dégommer.

— Vous croyez ? balbutie l’autre en risquant un timide 80.

— Parole d’homme. Sinon vous pilotez un veau, mon cher. Voyons, vous n’avez pas économisé toute votre vie l’argent nécessaire à l’achat de ce bolide pour conduire en fin de compte une brouette ! À fond, nom de Dieu ! À fond !

Il gémit, hoche la tête, serre les dents, respire par le nez, mais augmente l’allure. On cogne le cent à présent.

Mostaclaouhi se tient les bras écartés au-dessus de son volant, comme une poule écarte les ailes pour mieux envelopper les œufs qu’elle doit couver. Bientôt on réaperçoit la Bentley à l’entrée de la ville.

— Bravo, dis-je. Elle a du répondant votre chignole ! Je vous promets de grandes joies, monsieur Mostaclaouhi.

Vahi qui n’en casse toujours pas une broque paraît toute chavirée par cette pointe de vitesse. La tuture, vous parlez, c’est pas son mode de locomotion. Sortie du trivespasien de son dabe, elle connaît que le train onze, la jolie. Pedibus ! Ou peut-être à dos de bourricot. J’ai pas bien vu, mais ils devaient sûrement avoir un aliboron derrière leur cahute.

— Ils prennent le boulevard extérieur, annonce le pauvre chauffeur.

— Ne vous gênez pas pour en faire autant, l’exhorté-je.

On se met à rouler le long de la rivière dont la rive, à cet endroit, est plantée d’arbres bien taillés. À main droite se succèdent d’opulentes propriétés posées sur des étendues gazonneuses.

— Pas dégueu, le coin, remarqué-je.

— Quartier résidentiel, dit le chauffeur. Les plus grosses fortunes d’Iran… Ils s’arrêtent, monsieur, que dois-je faire ?

— Continuez comme si de rien n’était…

Il dépasse la Bentley au moment où King et Prof en descendent. Au passage j’ai le temps d’apercevoir une grille de fer forgé, puis au-delà un jardin digne des Mille et Une Nuits, plein de roses, d’orangers, d’azalées et de vasques glougloutantes. Tout au fond s’élève une construction à l’architecture semi-orientale.