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On s’arrête, Bile-en-trois et moi dans l’ombre épaisse d’un buisson de plutonium-acupuncteur géant.

— Cette eau, enchanteur, non ? je lui susurre.

Le Mahousse hausse ses épaules mammouthiennes.

— Me donne envie de lancebroquer, bougonne-t-il. Toujours, la flotte me fait c’t’effet. Si je te dirais, mec, que quand je me balade sur les bords du lac Clément à Genève je gaulanche dans mon bénard à mater leur jet d’haut. Ça me prend même dans l’avion. Je mate cette grande giclée et j’y vais de ma rincelette, gars. Une tisane de queues de cerises me déclencherait pas mieux. Et tu veux que je t’explique l’origine dont au sujet du phénomène ? Ma mère ! Quand j’étais chiare, pour que je goulette à heures fixes, elle faisait couler de la flotte d’une casserole dans une autre. Magique !

Les tribulations de la vessie béruréenne ne me passionnant qu’à demi en un pareil moment, je fais signe au Gros de me suivre. Nous approchons de la construction. Un peu tourmentée comme architecture. Y a du dôme, de la fresque, des mosaïques, des colonnades, un brin de péristyle, des perrons, des patios, des balcons et un tantinet de moulures.

— Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite, qu’il disait, l’autre pédoque.

J’en ai fait ma devise pour les explorations extra-légales. Toujours choisir la lourde modeste, de préférence celle dont la serrure est rouillée ; ainsi on risque moins de tomber sur des inopportuns. Un tour de maison, et je retapisse la porte en question. Faut débouler quatre marches pour l’accéder. Il s’agit d’une lourde vitrée, munie d’une grille tarabiscotée.

— Allez, Gros ! fais-je, comme on sollicite un setter sur le sentier du faisan.

Pépère s’y connaît aussi bien que moi pour violer une serrure. Y a un côté Louis XVI chez Béru. Il met un poing donneur à pulvériser mes records.

— Si monsieur le vicomte voudrait seulement se donner la peine ! déclare-t-il avec emphase en poussant l’huis.

On pénètre dans un vaste sous-sol où l’on a mis des plantes à sécher. L’odeur me renseigne : pavot ! Dans ces pays, on cultive l’opium comme les banlieusards parisiens le poireau, sauf que les poireaux du banlieusard sont plutôt rachos alors que les plants de pavot d’Ispahan ont une luxuriance qui prédispose bien à la luxure.

Nous traversons tout le séchoir pour atteindre un escalier dont les dernières marches sont en pierre, celles du milieu en marbre et les plus hautes en argent massif.

Je ne sais pas vous, mais moi j’ai horreur du style oriental. Je discute pas du confort d’un tapis persan, et a fortiori de celui qu’offrent plusieurs tapis de haute laine superposés comme de la pâte feuilletée. Toujours est-il que je préfère un bon fauteuil ou — qui mieux est et qui bien-être — un canapé moelleux à ces nattes somptueuses. Le sommeil et la bouillave occidentaux ont contracté des habitudes basées sur le ressort à boudin joint à une surélévation propice à des prouesses amoureuses qu’exclut le besognage sur plancher.

Je vous dis cela parce qu’en musardant chez le prince on tombe sur un spectacle délicat : le prince soi-même, dans des fringues de satin, avec une sorte de turban pointu sur la tronche, en train de se survolter le tempérament en compagnie de jeunes personnes dont la plus vêtue n’a qu’une chaîne d’acier autour du ventre. Une combine comme celle qu’il est en train de mettre au point, je l’avais encore jamais vue, jamais lue et, contrairement au cher Cavanna (un des rares pas-cons porté à ma connaissance) j’en avais même pas entendu causer. Faut que je vous la décrive en prenant bien soin de ne pas choquer les ligues du culte, les ceuss qui prennent les bénitiers comme rince-doigts, les autres qui mettent des jaquettes de la Pléiade sur Les onze mille verges d’Apollinaire pour pouvoir le lire dans le métro, et des certains dont je connais et déplore l’existence et qui bouffent de la vertu comme les vers de la noisette.

Bon, je vous livre la recette du sieur Anarchi (je continue d’omettre les accents graves et circonflexes sur les voyelles des noms iraniens, aussi les puristes et les grincheux trouveront-ils en fin d’ouvrage un stock d’accents qui leur sont gracieusement offerts par mon éditeur et dont ils pourront user pour rétablir dans mon texte l’orthographe farcie que j’agresse si désinvolte-ment).

Le prince, donc, est allongé sur un monceau de tapis, ses membres décrivant une croix de Saint-André.

Ce seigneur possède la faculté rare de pouvoir écarter les doigts des pieds aussi largement que ceux des mains, car il y a toujours un complexe d’éventail dans l’hérédité d’un Oriental.

Tous ses doigts (de mains et de panards) sont repliés, à l’exception des quatre pouces. Vous mordez mon descriptif, yes ? Au-dessus de ces quatre pouces placés en points cardinaux (style conclave qu’on vexe) se trémoussent quatre magnifiques créatures, dorées sur tronche, potelées, fardées, épilées de la cave au grenier, qui jouent positivement au bilboquet. Vous continuez de capter les ondes de choc de ma pensée san-antoniaise, méames-messieurs ? Good ! Ce n’est pas tout. Le prince a demandé qu’on lui fasse une pipe, et, faisant droit à cette exigence, l’une des demoiselles lui a préparé un narguilé. Même à Saint-Claude on ignore tout du narguilé. Le principe consiste à faire passer la fumaga par un vase empli d’eau où macèrent des feuilles de rose. Le tabac se trouve sur le goulot du vase et il est brûlé par des braises incandescentes. Le tuyau de la pipe est en caoutchouc gainé de soie ; il se termine par une sorte de canule que l’on tète voluptueusement et qu’on se refile à la ronde après l’avoir aseptisée en la plongeant dans les braises.

Vous ne perdez pas mon tableau de vue, j’espère ? Il se compose bien ? O.K.

Je vous ai prévenu, quelques paragraphes plus avant, qu’une des filles portait une chaîne autour du ventre. Quel connard de bas quartier a déclaré qu’où y a de la chaîne y a pas de plaisir ? Amenez-le, cet enfoiré, que je lui cause entre quatre z’yeux ! Celle de la souris sert à la suspendre à un crochet fixé à un filin qui passe par une poulie suspendue au plafond et que hale mélancoliquement un gros œuf-nuque selon un rythme propice aux desseins (animés) du prince. Excusez la longueur de la phrase, mais on n’a pas le droit de fractionner une aussi chouette combinazione. J’ai certes la ponctuation généreuse, mais vous accepteriez des points-virgules autour d’un film aussi polisson, vous autres, salingues comme je vous connais ?

Entre deux bouffées, le prince récupère sa main droite pour brandir la canule et la fille enchaînée, prestement parachutée, vient tirer une goulée à sa manière (qui n’est pas très courante j’en conviens). C’est pas bonnard, ça, mes ouailles ? Vous vouala-t-il pas baladés en tapis volant, ce G7 de la Perse antique ? Mon taxi-émoi, en somme.

Toute la magie de l’Orient, mes poules ! Un Moyen-Orient qu’a les moyens ! Chère rasade ! Ali baba (tu parles) ! Trou-de-balle-le-marin et consort. Qu’on sort et qu’on rentre !

On s’égosille les yeux, Béru et bibi, derrière une grille de bois sculptée. On matouze à pleins carreaux. On s’en remplit la mémoire ras bord ! J’aimerais voir la bouille qu’il fait, le seigneur Anârchi, pendant ce batifolage machiavélique. Tiens, fume, c’est pas du Belge ! Malheureusement, son turban façon citrouille lui masque l’expression. Dommage, ce serait payant d’explorer la physionomie d’un blasé de son acabit en cours d’exploit. Le brave marquis de Sade, à côté, un doux plaisantin ! Un forcené de l’amour à la papa !

Béru, après ces visions persanes, lui faudra une canne blanche pour continuer sa route !

Je lui prends le bras. Il résiste. J’y vais d’un coup de saton dans les pilotis. Il escamote un gémissement, puis me suit d’une démarche évasive.