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On longe une nouvelle salle, complètement vide. Sur trois côtés les murs sont garnis de banquettes basses tandis qu’au mitan de la flotte gazouille dans une conque d’or. À cet instant un domestique surgit, fantomal, drapé dans une tunique pourpre, avec un sabre recourbé passé à la ceinture. On dirait qu’il va se produire dans un cabaret. Chants et danses de la Perse mystérieuse ! Il a illico pigé à notre attitude qu’on n’était pas les invités du dimanche, mais des clandestins. Déjà il a la main à sa rapière. Un méchant. Je pige ça à sa moustache hérissée, à son œil pointu.

La lame décrit un moulinet qui n’est pas conçu pour le lancer léger. Heureusement Béru qui devient à toute allure le roi de la savate française, lui place un coup de pompe monstrueux dans les aumônières.

Le survenant cesse de survenir et s’abat (comme le jour du même nom). Ne jamais laisser les enfants s’amuser avec des instruments tranchants, mes gamins. Imaginez-vous que cette cruche lâche son sabre de telle sorte que l’arme tombe verticalement sur son pommeau. Attendez, je vais vous raconter le plus beau. Le moustachu tombe à son tour. Un synchronisme rigoureux intervient. Faudrait réitérer cette culbute des milliards de fois avant de retrouver une conclusion identique. Le gus se plante son coupe-gigot dans la poitrine, tellement violemment que le bout de la lame ressort dans le dos, gonflant sa tunique, et provoquant de ce fait une gibbosité de polichinelle.

Un flot de sang lui jaillit de la bouche en geyser pourpre. Il roule des gobilles effarées, avec l’air de se demander pourquoi il est si manche. Ensuite de quoi il meurt consciencieusement dans une succession de légers hoquets pourpres.

— En v’là un qu’a découvert l’art et la manière de se déguiser en portemanteau, oraison-funèbre Bérurier.

Presto je roule le cher garçon dans l’un des tapis histoire de remettre un peu d’ordre dans la pièce. M’est avis que nous devrions nous attarder le moins possible en ces lieux si on veut s’éviter du tracassin, les gars. On risque fort de voir débouler une armada de méchants. Comme disait l’autre : « Je crois tellement à l’homme que je m’en méfie. » Je serais la Bâloise vie, je refuserais d’assurer votre San-A. dans les circonstances actuelles.

— Où qu’on va, mec ? demande l’Enflure.

— Nous n’avons toujours pas repéré Prof et son copain l’Amerlock. Ils doivent bien être quelque part…

— Si on rencontre encore des licenciés du Bengale en cours d’esploration, ça risque de nous valoir des coupures qu’on se colmatera pas avec de l’afteur chauve, avertit mon Valeureux en se tordant le pif d’un coup de manche. Surtout d’autant plus que j’ai en guise d’arme que mon 45 garçonnet à double semelle, gars ! On n’a jamais gagné des guerres avec une paire de pompes !

— Ta bouche, B.B., et avanti !

Il est très grand, le clapier du prince. Un vrai petit palace dans son genre. La vie s’y accomplit à ras terre, on n’y rencontre que des tables basses au plateau de cuivre martelé, des coussins dodus, des éventails superflus (car l’air conditionné zonzonne dans toutes les pièces), des samovars au bec en col de cygne, des narguilés éteints, des vasques d’eau délicatement éclairées de l’intérieur… Une mignonne féerie !

On va, de salle en salle. L’épaisseur des tapis étouffe le bruit de nos pas.

Un escadrin se présente, dont nous dégravissons les larges marches, pliés en deux du côté de la rampe de marbre afin de se soustraire à d’éventuels projectiles.

Un murmure de voix nous arrive. Quelqu’un crie des ordres en anglais.

« Ready, boys ? O.K. Go ! »

Il y a une galopade. Puis la voix reprend.

« Stop ! It ‘s not good ! »

Je m’engage dans un couloir tortueux avec une légitime appréhension car si un dégourdi malintentionné débouche je n’aurai aucune possibilité de le feinter voire de l’affronter ou de me débiner. Ce qu’on peut se sentir seul au monde, parfois, lorsqu’on n’a plus son ami tu-tues dans les pognes ! À poil, positivement ! Je me fais l’effet de traverser le cratère d’un volcan sur le tronc d’un sapin bien huilé. Un petit mouvement discordant et je chois dans la confiture bouillante !

Enfin il ne faut jamais penser au pire, sinon on n’oserait plus foutre un pied devant l’autre. Silencieux comme l’ombre d’une mouche sur un abat-jour de velours, je me pointe à la hauteur d’une porte basse et m’arrête, plus collé au mur qu’un timbre-poste sur une enveloppe. À présent, va falloir couler une œillade dans le local et c’est pas fastoche vu que la porte est grande ouverte. J’aimerais pouvoir me dévisser l’œil et le faire rouler dans l’encadrement vu que l’emmouscaillant, dans ces conjonctures, c’est la bouille qui est autour et qui occupe de la place. Ou alors on devrait nous munir d’un minuscule périscope dans la poulaillerie. J’imagine très bien un mignon zinzin, pas plus gros qu’un stylobille, permettant de regarder par les ouvertures béantes sans avoir besoin d’y risquer sa viandasse.

Tu attends quoi t’est-ce que ? s’inquiète Dugland, que le feu passe au vert ?

Il a une manière de chuchoter, Césarin, qui fendille les tympans.

D’un coup d’œil rouge de meurtre en puissance je lui ordonne de se taire. Puis je m’accroupis afin de matouzer à hauteur de clebs.

Ce que je découvre alors, mes chères petites grand-mères, ferait avorter une vache espagnole ou un complot brésilien, tellement c’est surprenant, impensable, sidérant, dingue et farabuleux.

Allez m’attendre au chapitre suivant. Le temps de m’humecter les muqueuses et j’arrive pour vous raconter ça.

X

Bon ! À nous deux, mes petits lapins. Car un auteur et ses lecteurs sont toujours deux, en fait. Y a toi et Moi, toujours Moi qui cause, toi qu’écoutes ! Moi qui fais péter les joints de culasse de ma gamberge pour t’aller chercher des réactions au milieu de toutes les torpeurs nauséabondes. Moi qui t’échafaude et toi qui me dénigres. Sans cesse, nous deux, ligotés, complices infernaux. À se chambrer l’un l’autre. À s’essayer des enviandages réciproques. Moi Jarnac, toi la Châtaigneraie, heureusement ! À s’entr’ aimer, s’entr’ haïr (sans trahir). Face à face ! Les époux de l’affabulation : moi qui baise et toi qui reçois ! Je suis le ragoût, plus ou moins ragoûtant, toi le récipient plus ou moins percé. On s’entrelace, on s’entre-lasse, on sent trop l’as ! J’arrive, je te dis : Me v’là, tout décervelé à cause de ton avidité. Tu bées ? Je bêtise ! T’en veux ! En v’là ! Si c’est pas neuf je te ferai un prix !

Combien de fois employons-nous l’expression : « On croit rêver ! » Elle englobe tout : la vie chère, la politique, la connerie des autres, les réalisations spatiales, les progrès et les défaites.

Moi, parole d’homme, je crois rêver, au point de sentir basculer mes sens en moi ! Le gus qui subit un tremblement de terre, avant de piger, avant de trouiller, il croit rêver, fatalement ! Déclarer surnaturel ce qui n’est, à l’analyse, que très surprenant, c’est la solution de facilité, la mesure d’urgence.

Vous savez ce qu’il découvre, le cher, l’adorable San-A. mes poules blanches ? Vous savez ce qu’il aperçoit au-delà de l’ouverture ? Vous donnez votre langue, polissonnes ? Hmm, qu’elle est bonne ! La salle des trésors, voilà ce que je me mets à contempler d’un œil gauche dont la prudence cède la place à son œil droit !

La chambre forte de la banque de Téhéran où sont concentrés les joyaux de la cour et bien d’autres gemmes, mes gueux ! Il y a les vitrines, les lourdes blindées, les cassettes de cailloux, les trônes d’or, les couronnes impériales (celle de monsieur, celle de madame, plus les couronnes des enfants, celles qu’ils se mettent pour aller à la maternelle, celles qu’ils portent le dimanche, les autres avec jugulaire dont ils se servent pour faire de l’équitation, etc.). Me suis-je endormi ? M’a-t-on transporté à Téhéran sur un tapis volant ou une carpette volée ?