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Non, ma méthode, à mécolle, c’est : moulinette et entonnoir.

La scène que je viens d’avoir l’honneur et l’avantage de vous exposer, dames z’et messieurs, a duré beaucoup moins de temps qu’il ne m’en a fallu pour vous la narrer.

D’ailleurs, de sa voix un brin clapoteuse, Prof annonce les temps :

Quarante-deux secondes !

Mac King fait claquer ses doigts de contentement. Right ! On va recommencer, déclare-t-il en un français laborieux.

Par le tout début ? s’inquiète Prof.

Le Ricain hoche la tête.

— Je voudrais revoir le 1, dit-il. After that, on passera directement au 4.

Il sort un flask de bourbon de sa poche revolver, dévisse le bouchon et s’octroie une lampée. D’un geste machinal il propose son flacon à Prof.

— Non, merci, dit le vieux, j’ai mon tilleul.

Et de cramponner une boutanche thermos posée devant lui.

— Le tilleul d’ici ne vaut pas celui de chez moi, assure-t-il. Il a comme un goût de pivoine et de sable.

King frappe dans ses mains.

— Now, we want to see the number one ! Crie-t-il.

Le groupe de touristes, le guide, les deux nabots logés dans les aérateurs quittent la salle. Deux machinos radinent alors avec des escabeaux. Ils s’y juchent et, armés de tournevis, se mettent en devoir de fixer les plaques à trous obstruant les conduits d’aération.

— Dites-leur qu’ils bloquent bien à fond, recommande Prof. J’ai cru voir que les vis de la banque sont rouillées, donc difficiles à avoir…

King traduit. Les hommes de ménage s’activent. Au bout d’un instant ils repartent.

— Bon, on va passer le 1, décide King en allumant une cigarette.

Il exhale une longue goulée bleue.

— Ready, boys ?

— Yes ! répondent des voix off.

— O.K. Go !

Nouvelle scène de la grande revue américano-franco-iranienne à grand spectacle, conçue et réalisée par Prof et King pour le compte (supposé-je) de son altesse bilboquetissime le prince Anârchi.

Cette fois ce sont deux hommes de peine qui déboulent, munis de seaux et de balais. Ils portent des uniformes en toile légère assez semblables à des droguets de détenus. Les deux julots déposent leur matériel en deux points opposés de la vaste pièce, ne conservent chacun qu’une tête-de-loup dont ils se mettent à épousseter le plafond. Parvenus sous les bouches d’air, leurs gestes deviennent courts et précis. Un léger zonzonnement retentit. Je vois sortir une petite mèche métallique des deux têtes-de-loup.

Un tournevis ! La mèche tourne à la demande grâce à un moteur logé dans le manche du balai. En peu de temps les hommes de service ont redévissé les plaques.

— Une minute quinze, presque seize, déclare Prof. Il faudra essayer de rogner encore. D’autre part le bruit des moteurs est trop présent, vous ferez gainer les manches.

Je décide que j’en ai assez contemplé pour le moment. La prudence exige un repli immédiat. Entre la fugue des toutous, le portail ouvert et le cadavre du larbin, si les habitants de cette crèche ne s’aperçoivent pas qu’il y a du dépôt calcaire dans la durite du narguilé c’est qu’ils ont des feuilles de pavot sur les coquilles.

Je repte en arrière.

— Allez, on dégage ! chuchoté-je.

Béru ne me répond pas. Faut dire qu’avec la lame effilée qu’un olibrius lui tient appuyée sur la glotte, il n’est pas d’humeur causeuse, le Mastar. Deux autres vilains, également pourvus de coupe-choux, sont là, immobiles, qui me guettent, la lame pointée.

Bravo pour leur discrétion !

En voilà trois que j’engagerai comme valets de chambre le jour où, après fortune faite, je voudrai m’assurer des grasses matinées silencieuses.

On l’a dans le chiche-kebab, les gars.

Faut être logique, comme dit Lulu.

XI

J’ai toujours redouté les couteaux. Ils constituent à mes yeux la plus hideuse des armes. Trancher la chair, quelle horreur ! Cette pauvre chair compacte, ferme, magistralement irriguée qu’on sectionne, qu’on taille et entaille… Brrr ! J’en ai les cellules qui se ratatinent d’appréhension. À la vue de ces sabres dardés, je ressens une vache panique. Je crois déjà les héberger dans ma viande, leur servir de fourreau pour un instant.

D’autant que les trois gardes du corps du corps de garde ont des mines qui, sans être positivement patibulaires, ne poussent pas aux projets d’avenir. J’aime pas leurs regards fixes, noirs et froids. J’y lis des représailles cruelles.

L’un d’eux fait un signe de tête.

Il a l’éloquence du geste. Son hochement de tronche veut dire : « suivez-nous et soyez sage, sinon vos physionomies rouleront sur les tapis. »

Alors nous les suivons, que voulez-vous ! Dociles épées de Damoclès.

On refait le chemin en sens inverse. Le cadavre du larbin est déballé. Il gît sur son tapis percé, dans une flaque de sang déjà noir.

Le chef des gardes (car il y en a un ; à partir de trois personnes faut toujours un commandant) indique au cortège de stopper.

Il s’approche d’un énorme samovar de cuivre et appuie sur le bec de l’instrument. Le samovar s’ouvre en deux, démasquant un appareil téléphonique. L’homme décroche.

— Alli ! il fait, car au Moyen-Orient on ne dit pas « allô », mais « alli ».

— Alli, Baba ? poursuit le redoutable personnage.

Suit alors un grand discours dont vous pouvez observer la traduction littérale contre l’envoi de quarante francs, payables à votre convenance. Je pressens, à la mine et au laconisme de notre mentor tourmenteur, que ça se gâte pour nous. À trois reprises (plus un tombé) il répète :

— Zigoû-Yéh ? Thé-sürh ?

Ce qui, d’après mon dictionnaire franco-farci, farci-franco (de port et d’emballage) signifie : « Tu es certain que nous devons les mettre à mort ? » Car j’ai la marotte des dictionnaires, depuis qu’on a porté à ma connaissance ces vers de notre regretté confrère du Beau, du Bon, du Bellay : « De mon petit Littré me plaît la toile fine… » Un dico, c’est la plate-forme du savoir.

Notre marche agonique continue. Je vous épargne la description de l’enfilade de pièces vu que celles-ci se ressemblent toutes. Sachez seulement qu’on finit par atterrir dans une serre située derrière le palais. L’endroit sent l’humus et le chibretock indien. À perte d’ovule on voit des orchidées ; depuis l’orchidus vobiscum d’Europe, jusqu’à l’orchite double des régions testiculaires arctiques. Il me revient alors en mémoire un reportage sur la fameuse collection d’orchidées du prince Anârchi. Je me disais aussi : « ce nom me rappelle quéque chose ». C’est lui qui a remporté « The flower of nave performance » ainsi que la grande médaille d’or à l’exposition de Bois d’Arcy, l’an passé.

Nonobstant la gravité de l’instant, je trouverais féerique ce foisonnement d’orchidacées, encore que je préfère la rose pompon ou la pâquerette à l’orchidée, cette zibeline des fleurs. On marche dans une étroite vallée où les espèces les plus rares s’étagent en gradins. La serre mesure cent vingt mètres de long. Elle est éclairée au néon, chauffée à l’infrarouge et pavée de bonnes intentions.

Tout au bout de cette voie étroite mais magistrale, existe un renfoncement. C’est à cet endroit que les jardiniers du prince préparent l’espèce de terre de bruyère sans laquelle vous pouvez vous l’arrondir au compas pour ce qui est de cultiver l’orchidée. Paraîtrait même, selon Rustica, que la nature du terreau est capitale. Pire que pour le champignon de Paname ! Rien de plus vicelard que l’orchidée à faire venir. Si elle trouve pas pile son taf d’ingrédients, t’as le bonjour.