Выбрать главу

Nos sabreurs s’immobilisent. Le chef nous désigne deux tridents plantés dans la terre de bruyère. Puis il décrit dans l’espace un volume dont la géométrie me glace. Il veut que nous creusions notre tombe, c’t’endoffé. Je ne suis pas bon pour le terrassement prémortem, moi. Je secoue la tête farouchement. Pour lors, le méchant me file la pointe de son ya sur la joue. Du raisin me dégouline aussitôt. M’est avis qu’on aura droit à une décollation bien nette, mes mignonnes.

— Commençons à creuser, murmure Béru.

— Ça nous avancera à quoi ?

— T’as pas remarqué que ces tridents sont plus longs que leurs pelles à gâteau, hé, peau de fesse !

Fallait vraiment que j’eusse l’esprit accaparé par la perspective de mon imminent trépas.

Comme soudain résigné, j’empoigne le manche de l’outil et on se met à fouiller la molle terre gonflée de toutes les nourritures orchidieuses. À peine en avons-nous remué une vingtaine de centimètres que les pointes de mon instrument se plantent dans quelque chose de dur avec un bruit creux.

Je manque dégobiller en découvrant qu’il s’agit d’une tête d’homme. Des cheveux adhèrent encore à la boîte crânienne.

Une nuée ardente m’enveloppe, je défaille.

— Ben et moi donc ! ronchonne Bérurier qui a aperçu ma macabre trouvaille.

Lui brandit au bout de sa fourche une paire de testicules un peu becquetés aux charançons.

Je comprends maintenant pourquoi elles sont aussi belles, les orchidées du prince Anârchi. On les cultive à l’aide d’un engrais pas banal !

Je considère les trois gardes. Un vague sourire tord leurs lèvres minces. Ils semblent trouver plaisant mon dégoût. Puis, d’un signe impérieux du sabre, leur chef nous enjoint de poursuivre les fouilles.

Y a pas loin du cimeterre au cimetière !

— Dans quèques instants on charge, murmure le Gros, sinon ils vont nous enlever les amygdales. Occupe-toi du grand méchant, je biche les deux autres.

Et surtout, pas d’attendrissage, Mec. On les plante dans le baquet. Ce qui faut, c’est agir de conserve, comme dit mon épicier.

— Banco, réponds-je, tout en pelletant à travers des détritus infâmes. On compte jusqu’à dix, lentement…

Je poursuis ma besogne d’autofossoyage avec la hâte morbide de l’homme qui, se sachant perdu, a hâte d’en finir. Mentalement j’égrène des secondes. Le Mastar agit de même.

— Et dix ! beugle-t-il comme un forcené en fonçant sur le groupe de sabreurs.

Ça fait un bruit de vessie crevée. Plouffffffsssss…

M’a fallu une suprême exhortation pour me faire décarrer. Je m’ai lancé un solennel avertissement. Me suis crié un ordre intérieur ! Enfin, avec une légère fraction de seconde de retard, j’hallebarde le vilain qui m’est désigné au partage. Il avait déjà le coupe-cigare levé, cette vache ! Les trois dents de mon outil lui traversent la poitrine d’un seul coup. On a beau dire, mais l’instinct de conservation est une belle chose. Il crie merde à la conscience. J’avais beau répulsionner, j’ai mis la gomme.

À preuve. L’autre gigote tel un scarabée renversé. Le manche de ma fourche tangue comme le mât d’un barlu par gros temps.

Voyons Bérurier, maintenant. Je me tourne. Misère ! Le Gros a bloqué le sabre du second guignol au travers du corps. La lame lui ressort dans le dos. Pourtant elle n’est pas rougie de son sang. Pourtant Alexandre-Benoît reste debout. Son antagoniste tire sur le manche de son arme, soucieux de la récupérer. En vain. Je pige alors que la lame n’a fait que pourfendre les fringues du Dodu. Elle a glissé sous son bras et il s’efforce de la maintenir sous son aisselle pour que son adversaire ne puisse la dégager.

J’interviens prestement. Une manchette à la nuque rend le gars tout chose. Il titube, recule… Ses talons heurtent le corps d’un de ses copains et il choit en arrière.

— Rrran ! gronde l’ouragan Béruréen.

Il a planté le sabre dans le bide du mec.

— Y a pas de raison, halète mon aminche en essuyant son front ruisselant. Comme les copains !

J’ai pas le temps de lui débiter des principes moraux. On vient ! Parce que faut vous avouer que ce zinzin du diable a fait du pétard. Y a eu de la clameur et du verre brisé.

Une escouade d’archers déferlent dans la serre. Il doit entretenir une armée de métier sur le pied de guerre, le prince Anârchi, se payer des mercenaires belliqueux. Seulement son tort, c’est de les équiper d’armes blanches. Vous aurez beau me bonnir tout ce que vous voudrez sur la meurtrière guerre de cent piges, vous m’arracherez jamais de l’idée qu’elle aurait duré beaucoup moins si les bidasses de l’époque avaient possédé des mitraillettes. Évidemment, le prince vit dans une nation pratiquement civilisée et les combats qu’il y livre se doivent de rester silencieux. Tout de même… Remarquez qu’on y trouve notre taf, avec le Gros.

L’endroit où nous sommes n’a pas de seconde lourde. Une seule voie s’offre à nous : celle des arrivants. Conscient de ce qui nous attend, je ramasse un sabre. À la d’Artagnan qu’il va vous quitter, votre cher San-A., mes douces jouvencelles. Il va clamser en bretteur, comme dans les romans de cape et d’épée. À la fin de l’envoi je touche !

Seulement un ouragan me bouscule, me bondit devant[7], me met sur la touche. Béru ? Évidemment, mes drôlets ! Le Gros, toujours ; infatigable ; constant. Il a empoigné le haut de l’échafaudage supportant les délicats pots d’orchidées, et rrrraôum ! Il fait basculer tout le côté droit sur au moins vingt mètres ! Ah ! si la pauvre miss Blandish était là, c’est pour le coup qu’elle en aurait, des orchidées. Ce fracassage ! Ce malaxage ! Ce méli, ce mélo, ce ragoût d’orchidées ! Y en a pour des millions de ryals, voire de dollars. On fait les foins, mes jolies ! On fauche l’orchidée ! On la broie, on l’engerbe, on l’enjambe !

Les gougnafiers du prince, ils sont tellement entretenus dans le respect de cette plante que la chose leur apparaît cataclysmique, tout brusquement. Qu’ils s’en arrêtent, pétrifiés, n’osant aggraver le sacrilège en foulant les fleurs hécatombales. Au grand jamais qu’ils marcheraient sur une orchidée. Fût-elle à terre, fût-elle meurtrie, dépétalée, fanée, rompue, perdue. Ah ! mais que non ! Des orchidées princières, que dis-je : princiales ! Vous imaginez le forfait ? Un crime de lèse-orchidée ! Une profanation !

Les v’là qui regardent le désastre comme des sémites découvrant la photo d’Hitler dans leur synagogue.

Ils palabrent ! Faut qu’ils réfèrent de la situation à des qui-de-droits susceptibles de la dénouer. Une estafette part en mission. Les autres gus nous criblent d’invectives soignées, pour passer le temps. Ils nous promettent des supplices ingénieux, je me doute ! Des trucs rigoureusement neufs, jamais déballés jusqu’à ce jour. Des machins pas finis d’inventer, horribles, suaves à force d’effroyablage. Des choses qu’on peut pas s’en douter ; qu’on en mourrait pile de les envisager. Que la peau nous en tomberait de dessus comme un vieux pyjama sans boutons. Que nos yeux fondraient dans nos orbites comme des cachets d’aspirine dans de l’eau tiède.

Je recule dans l’espace large. Ma curiosité est vive de voir Béru s’armer d’un sabre en le tenant par la lame. Il s’apprête à le lancer tel un couteau en visant je ne sais quoi au plafond.

Le sabre part en tournoyant dans un bruit qui n’est pas sans rappeler le vol du toucan, si vous voyez ce que je veux dire ?

вернуться

7

Quelle volupté d’écrire le français qu’on veut !