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Le Gros hoche la tête.

— Je vais te faire un naveu, gars : ce magistral c…, ça me disait quéque chose. Pendant que je la tourbillonnais je me pensais : « J’ai déjà vu ce visage-là y a pas longtemps. »

Il flatte la croupe incriminée.

— Sacrée Caca, dit-il, plein d’une nouvelle recharge de belle humeur, en v’là une qui s’en rappellera de son voyage, pas vrai, ma petite gorette ? Ah ! grande bougresse de merde, tant que tu trimbaleras un dargeot pareil, ça fera la queue à ta porte de service, ma salope ! Tu les entendras tambouriner, les matous en chasse ! Et faudra pas demander avec quoi qu’y frappent !

Il fait pirouetter l’honorable Britannique dans la clarté lunaire, comme s’il voulait faire honte à « l’astre des nuits » comme on l’appelait avant la profanation d’Armstrong.

— Qu’est-ce tu veux, me prend-à-témoin-t-il, quand tu vois un tambour pareil, t’as envie de battre la charge !

Il rit d’un beau rire gras comme une palette de peintre.

— Et maintenant, commissaire de mes pauvres chères deux, watt hisse de pogrome ? comme on dit chez cette jolie Médème.

— La police, Gros. Force nous est de faire appel à la loi. On doit déballer le pot aux roses sur les agissements du prince Anârchi dont la serre est truffée de restes humains et sur ses projets relatifs aux joyaux de la couronne. Par la même occasion, Mistress Bourmiche, ici présente, déposera une plainte pour viol.

— Banco, approuve le Gros. Note que ce qui la chiffonne, surtout, c’est l’histoire de son sac à main.

XII

Une jeep en haillons sur le capot de laquelle on peut lire le mot « Police » est stationnée devant le commissariat. Nous pénétrons dans un grand local aussi marrant qu’un asile de nuit, mais plus malodorant, et qui n’est égayé que par les photographies du Châh et de sa gente dame. Dans ce patelin, décidément, on vit en tête à tête avec les souverains. Fort heureusement ils sont agréables à contempler. Mais imaginez un instant ce que ça donnerait chez nous, si nous venions à contracter une habitude semblable ! On frémit rien que d’y songer…

Ou alors faudrait tricher, comme les rosbifs. Eux, quand ils placardent Poupette, ils ont la good idée d’étaler une photo du temps des cerises. Vous allez m’objecter que y a pas de quoi se la déguiser en trombone à coulisse pour autant… Quand même… ça coupe pas l’appétit ! Dans Piccadilly, for exemple, on peut mater encore dans certains magasins des clichés représentant les deux frangines avant qu’elles ressemblassent à La Tour de Londres. Ben, tout ce que vous voudrez, mais c’est pas déplaisant. D’accord ça a un petit côté ex-voto, ça fait rétrospective, mais du moins, ça ne porte pas au cœur !

Bien, me v’là encore en train de digresser, je disais donc qu’on entre dans un commissariat pas marrant, et d’autant plus tristounet qu’il fait nuit et que les mecs de garde m’ont l’air aussi accueillants que des braconniers qui voient bivouaquer des pique-niqueurs sur leurs collets.

Ils sont trois. Un très galonné, et deux qui le sont moins. Le galonné est un gros mec dont la chemise est déboutonnée jusqu’au nombril. Sa casquette est rejetée derrière son large crâne et il fume un bout de cigare qui sent les chiottes de campagne. Ses sbires, par opposition, et déférence, sont malingres, mal rasés et tourmentés soit par la faim, soit par la constipation, ce qui peut sembler paradoxal.

Ils nous regardent entrer avec ébahissement. Il y a un instant de confrontation générale, puis Miss Bitalaviock éclate en sanglots. Ses nerfs qui craquent, à la pauvrette.

Est-ce la vue des uniformes qui lui a provoqué une réaction ? Je me perds encore en conjectures au moment où vous lisez ces lignes. Toujours est-il que cette sujette de l’Ennique Britapire ou plutôt du Britannique en pire flanche. Elle hoquette, postillonne, morve, va, geint, revient, trépigne, glousse, invoque son God et son gode.

— Qu’est-ce qu’elle a ? grommelle le super-galonné en reboutonnant sa chemise.

— L’émotion. On l’a détroussée, puis troussée, réponds-je.

Il parle le même anglais que Béru. Heureusement, l’homme a la possibilité de joindre le geste à la parole. Pépère fait agenouiller la pauvre Caroline, remonte ses jupes et désignant son postère, objet de louches convoitises, explique :

— Ils étaient une twentaine à lui grimper dessus. Do you remembrer ? Une bonne twentaine, my adjudant. Faut se les respirer.

L’officier, presque sous-officier, arrache sa casquette d’un mouvement brusque et s’en évente après s’être incliné pour visionner les énormes charmes de la pleureuse.

— I don’t understand ! murmure-t-il enfin.

Le gars Béru s’impatiente.

— Violée, do you pige ? Lac zise, mon pote !

Posant ses fortes mains de part et d’autre de l’himalayesque fessier, il se livre à une pantomime propre à presque toutes les espèces animales, depuis la mouche tsé-tsé jusqu’au notaire de province en passant par le crapaud buffle et le gorille vousalubient.

Le gros débraillé hoche la tête. Puis il adresse un signe à ses deux acolytes et les v’là qui se mettent à palabrer à voix basse.

— Et before, ils lui ont chouravé his money, continue d’expliquer Béru, toujours consciencieux dans ses rapports.

Les trois gus l’écoutent, puis ils contemplent les meules de la donzelle et font une chose qui se pratique fréquemment dans les grands restaurants : ils branlent le chef. À la fin, le plus maigrelet du lot fouille sans joie sa poche de futal. Il en ressort un vieux porte-monnaie avachi, râpé et aussi plat que le carnet de rendez-vous d’un détenu à perpétuité. Il y prend un billet de vingt ryals hépatiques, le dépose sur la table et, sans autres formalités le v’là qui embroqué l’Anglaise.

— Ils ont rien pigé ! lamente le Mastar. Nom d’Dieu, dans quelle langue faut-il leur jacter pour les faire comprendre ?

Au beau milieu (si je puis dire) de cette vigueur policière, la porte s’ouvre sur un personnage sombre, pâle, à lunettes.

— Garde à vous ! hurle en farci (mais j’ai saisi tout de même) l’officier.

Les trois policiers rectifient la position et portent la main à leur casquette, y compris le maigrichon. J’ai jamais vu un gars se mettre au garde-à-vous dans de telles circonstances, moi. Vous, si ? Vous avez de la chance parce que c’est franchement marrant.

Le nouveau venu fait intellectuel désemparé. On dirait un prof de maths qui, au moment de faire son cours constate qu’il a oublié sa table de multiplication dans le tiroir de sa baignoire. Il porte un complet fripé, une chemise au col élimé, et sa cravate dégouline de la poche de son veston car il n’a pas pris le temps de la nouer. Visiblement il s’agit d’un haut dignitaire de la poulaille.

Il sourcille en découvrant l’un des gardiens dans la posture ci-dessus indiquée.

— Kékshé qshâh ? demande-t-il à voix glaciale, ce qui est un exploit, compte tenu de la température quasi équatoriale.

— Une reconstitution, sir, m’empressé-je, ne voulant pas l’amore du pêcheur. Madame a été violée et nous tâchions d’expliquer à ces messieurs dans quelles circonstances et dans quelle position.

L’arrivant a un geste en chasse-vierge comme pour signifier : « Il s’agit bien de cela. »

— Repassez demain, déclare-t-il brutalement, j’ai d’autres chats à fouetter.

— Moi aussi, riposté-je. Le cas de madame n’est que de la broutille en comparaison des déclarations que j’ai à faire.

Ça ne l’émeut pas.

— Demain, demain ! riposte-t-il.