Выбрать главу

— Excusez-moi, mais il y a urgence.

— J’ai plus urgent ! tranche le sombre personnage en se dirigeant vers la porte d’un bureau sur laquelle on a peint trois morceaux de vermicelles, deux trémas et quelques virgules à l’envers pour indiquer qu’il s’agit d’un lieu interdit au public.

Il s’arrête devant le policier en situation coïtale.

— Khestatân pourdhékûlé, Khônàrh ? aboie-t-il.

Je ne perds pas de temps à feuilleter mon dico afin de traduire cette phrase sibylline. Rendu teigneux par la désinvolture du fonctionnaire, je lui bondis sur le paltobok.

— Si vous ne m’écoutez pas immédiatement, je vais de ce pas à mon consulat et avant demain soir votre carrière ressemblera à de la crotte de chameau desséchée !

Il s’arrête et plisse ses yeux pour mieux me toiser avec un maximum d’insolence.

— Monsieur, me dit-il, j’ignore qui vous êtes, et ça ne m’intéresse pas ; mais laissez-moi vous dire que je n’admets pas qu’on me parle sur ce ton. Maintenant disparaissez !

— La carburation débloque ? s’inquiète Béru, surpris par notre commune véhémence, mais n’en pouvant suivre le développement vu qu’on s’exprime en anglais.

— On est tombé sur une tête de lard, Mec.

— Mon rêve, gourmande-t-il. Tu veux que j’y cause avec mes paquets d’os ?

Je n’ai pas le temps de répondre. Quelqu’un vient d’entrer dans le poste de police. Quelqu’un dont la venue a cassé en deux le hargneux chef poulet. Je me retourne et qui reconnais-je ? L’un des serviteurs du Prince Anârchi ; son majordome probable car il semblait diriger la contre-attaque dans la serre.

Le gus pousse un cri et nous désignant du doigt il clame :

— Sessémek, sessémek, ce qui, j’ai pu m’en rendre compte par la suite, signifie : « Voici les misérables dont je vous ai parlé au téléphone ! »

On n’a pas le temps d’ergoter, de tergiverser, de protester, de s’expliquer, de plaider, de contraccuser, de nier ni d’envoilahasser ! Le fonctionnaire grincheux a aboyé un ordre. Illico les trois sbires se sont jetés sur nous avec leurs matraques plombées. Celui qui limaillait, fou furax de n’avoir pas eu le temps d’écumer le potage, est le plus ardent au combat. Faut qu’il liquide ses humeurs rentrées, le pauvret. Il pense à son bifton gâché, à son avancement compromis, à sa pauvre zézette à la dérive qui lui ballotte encore sur le devant. Et il cogne pour se venger. Un vrai fléau ! Et Rrran ! Rrran ! Rrran, petit contapant ! Il se venge de ce coup fourré trop vite défourré. De sa vie passée, des brimades, des mesquineries, des sévices. Des saloperies qu’on lui a faites, de celles qu’il a commises ! Il se venge à l’avance, de son futur pourri. À travers le créneau de mes bras croisés devant ma frime, j’aperçois sa petite gueule qui chafouine, qui se creuse, qui ruisselle, qui monte à la jouissance. Il éjacule par les yeux. Il se grise des coups qu’il donne. Pan ! Pan ! Pan ! Il va me défoncer. Je dérouille de partout ! Je suis pris dans les pales d’un malaxeur géant. Happé par des rouages broyeurs. J’en chope de partout à la fois : dans la poitrine, sur les oreilles, au ventre, aux burnes, aux cuisses, sur les avant-bras, sur les mains. Il pleut des rondins sur ma chère personne, les gars. Quelle averse ! Tiens, encore ici ! En v’là par là, je t’ai pas oublié le contour ! Et tes reins qu’ont encore rien vu ! Prends, ma carne ! Il m’hait à mort, le trop-tôt-démanché ! Il m’abomine, me veut plus comme contemporain.

Il me démissionne l’existence. Badida-badaboum ! Floc ! Bzang ! Heurgntz ! Aïe, mes chailles ! Ouille, mes jointures ! Non, mais, y va pas se fatiguer, le triqueur ? Il va pas se prendre la crampe, enfin ? Il arrivera conséquemment jamais donc à se la tirer une bonne fois, cette garcerie de crampette, dites voir, le roi de l’abattage clandestin ? Un forcené. Une force née ! Je mollis, je titube. Me semble souffrir d’une énorme biture. Ça se gondole dans les azimuts. Les objets se dilatent. Les gens enflent ! Les réalités ridiculisent pire que lorsque je suis lucide. « Bon, je me dis confidentiellement, ce serait p’t-être le moment d’aller à dame, non ? »

Je m’écroule. Manière comme une autre de déposer son bilan.

Je ne perds pas conscience, mais une grande indifférence me vient, pour tout et surtout pour moi-même. J’ai cessé de m’intéresser.

Il ferme ses grands yeux de velours, San-A.

L’espace de temps qui succède ressemble pour mézigue à du sommeil. J’ai mal de partout, mais cette douleur générale incite à l’abandon, comme une très grande fatigue.

Enfin, traversant des infinis comateux, la voix rassurante, la voix généreuse, la voix indicible de Bérurier retentit :

— Ça va comme tu veux, Mec ?

— Un beurre, Gros ! bavoché-je.

J’ai idée que ton teigneux t’a vachement fadé, hein ?

— Pas mal, merci.

— Tu sais qu’on est inculqué de meurtre ?

— Ah mouais ?

— Mouais ! Le prince Dugenou a porté plainte qu’on lui a assaisonné ses larbins. Tu parles d’un culot ! M’est avis qu’il a l’air per saunagratin dans la région.

Ma petite mécanoche interne se remet à carburer. Je pige l’astuce de ce monarque local. Comme nous lui avons échappé, il s’est dit que le plus sûr moyen de nous neutraliser, c’était de prendre les devants en mettant la rousse dans le coup. Une fois arrêtés et convaincus de meurtre, nos déclarations ne pèseraient dès lors plus lourd. Joliment combiné, tout ça.

J’ouvre grands mes miradors. Y a de la grille tout autour de moi. C’est la cage à poule classique, compartimentée. Dans le box suivant, le Mastar suce ses ecchymoses.

— Une qui vit sa nuit la plus longue, c’est Caro, ronchonne Alexandre-Benoît. Vise un peu cette partie de grelots qu’a continue de s’offrir, la pauvrette !

Je me soulève pour regarder, blasé. Mrs Bitalaviock est agenouillée dans le couloir, face à nous. Elle se tient aux grilles tandis que le gros galonné lui fourbit le bonheur en ahanant comme un bûcheron en train d’abattre un vilain chêne plein de nœuds.

L’aimable femme nous sourit d’un air miséricordieux. « Ainsi va la vie » semble exprimer sa bienveillante physionomie. Elle est du bois dont on ne fait peut-être pas les pipes, mais qu’on chignole sans encombre, la chère Albione.

— Tu te rends compte d’une perfo, gouaille Béru qui a abdiqué toute jalousie. On la mettrait au turf, le gus qui viendrait relever le compteur, y se régalerait joliment.

— Ils l’ont arrêtée également ?

— Pas exaguetement. Elle doit seulement se tenir à la disposition de la justice, ce qu’elle est en train de faire d’ailleurs !

XIII

Une vilaine nuit nauséeuse s’achève. À mesure que s’égrènent les heures dans le grand sablier du temps, comme l’écrirait joliment un membre (flasque) de la Cadémie, les meurtrissures marquant ma pauvre chère carcasse deviennent de plus en plus cuisantes. Notre incarcération ne me dit qui vaille, mes amis. Ce genre de plaisanterie, on sait comme elle commence, mais on ignore comme elle finit. Il est probable que nous serons convaincus de meurtre car nous avons bel et bien pénétré chez le prince par effraction et re-bel-et-bien trucidé sa garde. Allez donc prouver la légitime défense, raconter les préparatifs d’attaque des bijoux de la couronne, parler des restes humains gisants dans la terre de bruyère pour orchidées de luxe… Du vent ! De l’affabulation ! On nous prendra pour des délirants ! Des atrophiés mentaux. Le gag des nains qui grandissent et des géants qui se coupent en deux ? Même un fabricant de tapis volants se tapotera le cigare en écoutant un tel récit. Le récit de Tu-ramènes ! Une fable pour enfants iraniens sous-alimentés.