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À l’heure prévue par la météo locale, l’aube aux doigts d’or cramponne sa foreuse pour percer les ténèbres. J’aperçois une clarté là-haut, dans la vitre de l’imposte (de police). Cette lumière neuve devrait me rassurer, calmer mes tourments. Il n’en est rien. Tout au contraire, une vive angoisse s’infiltre dans mon âme. Car je viens de piger un truc pas joyce, mes gredins-gredines : nous sommes en danger de mort, Pépère et Mécolle. FA-TA-LE-MENT ! Le prince Anârchi ne peut prendre le risque de nous laisser raconter les événements of the night. Vous savez pourquoi ? Je vais le casser en bloc : parce que ces événements vont réellement se produire ! Et que lorsqu’ils se produiront on saura que nous n’avions pas menti. Le prince se trouve devant l’alternative suivante : nous supprimer dare-dare, ou bien renoncer à son projet. La première solution, vue à travers son optique à lui, paraît de très loin la meilleure.

Comme j’en arrive à cette décourageante conclusion, le petit chafouin qui m’a triqué d’importance s’amène avec un plateau lesté de deux tasses d’odorant caoua. Sa mine détendue m’indique qu’il a dû arriver aux fins de ses commencements avec Mrs Bitalaviock. L’homme dont les sens sont fraîchement apaisés a sur le visage une certaine lumière qui ne trompe pas.

Sans la moindre aigreur, il nous refile chacun une tasse à travers les barreaux. C’est cependant rarissime, un gus qui ne vous en veut pas des coups qu’il vous a administrés. Au contraire, il a une espèce de petit sourire indulgent, Toto-la-Limanche ! Un œil frisotteur… L’air de promettre des lendemains pleins de rosées et de boutons de roses.

Béru, réveillé, souffle sur la fumée parfumée, en ponctuant de bâillements capables de dévisser le couvercle d’une marmite norvégienne.

— Y z’ont des prévenances, grommelle l’Enflure.

Votre noble San-A. se fait part d’un certain étonnement. En Iran le café n’est pas chose courante vu que tout le monde y boit du thé. Comment se fait-il alors qu’il y en ait dans un poste de police ?

J’attends que le loufiat d’occasion soit parti.

— N’écluse pas ton jus, Béru ! Virgule-le sous le bat-flanc…

Malgré l’heure matinale et sa fatigue, il entrave immédiatly, Lajoie.

— Tu penses qu’il est fadé à l’arsenic ?

— J’envisage cette possibilité.

Nous répandons le contenu de nos tasses sur le sol poussiéreux.

— Et maintenant il va se passer quoi t’est-ce que ?

— Je me le demande. Attendons…

Ça ne traîne pas. Au bout d’un léger quart d’heure, la porte des geôles s’entrouvre et la bouille anguleuse du chafouin se brandit vers nos cellotes. Toujours très inspiré, j’émets un gémissement qui ferait chialer les briques d’un bloc opératoire. Béru qui a pigé geint de même. Joli duo. Le Gravos, vous le connaissez : tu lui donnes le la et il bat la démesure. Ses râles ne sont bientôt plus d’un empoisonné de frais, mais d’une clinique d’accouchement archicomble. Il en remet. En pleine éruction ! Le Vésuve qu’aurait bouffé des amanites phalloïdes. Il fait tellement réel qu’il va au refil, Béru.

— Au secours ! À l’aide ! geins-je.

La chafouin relourde. Preuve que j’avais vu juste. Ces vaches attendent qu’on canne pour intervenir. Je préconise au Mahousse de mollir dans ses râleries, de refréner ses dégueulades, bref, d’entrer doucettement en agonie.

À plusieurs reprises le chafouin revient mater. Intimidé sans doute, poussé par un reliquat de respect humain, il se contente de bigler depuis l’entrée. À sa quatrième visite nous restons silencieux, inertes, avec de l’écume à la bouche (on s’est partagé un bout de savon découvert près du lavabo et on l’a sucé).

Le chafouin hèle quelqu’un. Il s’agit du chef à lunettes. Ce dernier vient voir, puis il hèle à son tour une troisième personne, et c’est le majordome du prince qui s’annonce. Je vois ce dernier sortir un gros portefeuille de sa tunique et casquer une méchante liasse aux deux félons. Ensuite de quoi, tous trois s’éloignent.

Je suis un peu déçu. J’espérais qu’ils allaient nous évacuer, mais faut croire qu’ils ont combiné autre chose. En effet, moins d’un quart d’heure après, le chafouin entre, escortant un petit bonhomme mal rasé qui ne porte qu’un tricot de corps sous son veston et qui coltine une trousse de cuir. Un toubib ! Ces carnes veulent faire constater le décès. Ils rejoignent la légalité à leur manière. Les deux détenus se sont empoisonnés. Suicide ! Qui ira prouver le contraire ?

La porte de ma cellule est déverrouillée. Le médecin déballe un stéthoscope miséreux dont le caoutchouc semble emprunté à un vieux broc à injection. Il se farcit les portugaises et se penche sur moi. Pauvre cher praticien, réveillé aux z’aurores ! Un coup de saton dans les bigornettes, tu parles d’un mauvais début de journée. C’est ce qui s’appelle se lever du pied gauche, car je lui ai chahuté les petites frangines du pied gauche ! Un rétablissement et me voici debout. Le chafouin, il est du pays de la magie, que voulez-vous. Alors avant de penser qu’il est bité, il croit au miracle, ce garçon ! Je suis ressuscité ! Allah ! Allah ! Ah, lala ! comme se serait exclamée sainte Marguerite-Marie Alacoque après plus de trois minutes de cuisson. Étant témoin d’un phénomène surnaturel, il ne moufté pas ! Quand vous apercevez la Sainte Vierge, vous autres, vous n’en cassez pas une et ne songez même pas à la saluer, vrai ou faux ? Je suis le mâtin des magiciens, mes chers chers. Voici que sonne l’heure du Bergier ! À toute volée au bouc du vicelard policier. Comme en plus je tenais une poignée de mornifle crispée dans mon poing, sa mâchoire se déclare inapte à la mastication pour un temps indéterminé. Heureusement qu’on bouffe des laitages à Ispahan, il pourra se nourrir avec une paille. Elle lui pend de la vitrine, sa mâchoire, comme un tiroir pend d’une commode après un cambriolage. Je le termine d’un méchant coup de boule entre les prunelles et voilà mon gaillard parti dans des méditations en béton armé.

Qu’est-ce que je voulais dire ? Ah ! oui : les clés ! S’agit de délivrancer Béru qui, assis sur son bat-flanc regarde mes exploits avec intérêt. Par la même occasion, en piquant le passe du chafouin, je lui sucre également son pétard. Je dois dire qu’on les équipe pas à la Manufrance, les poulardoches de Téhéran ! Cette seringue, ma doué ! Si t’as le malheur de presser un jour la détente elle doit t’exploser dans les pattes ! Elle fait de l’huile comme une vieille moto ou comme un académicien fait de l’eau. Enfin, elle est néanmoins capable d’intimider une vieille dame un peu myope, le cas échéant.

Cric crac ! Béru est libre…

On marche lentement jusqu’à la porte. Le poste de police est désert. Belle aubaine, comme disait la femme d’Aubain.

On s’élance (d’arrosage). Ouf, la rue !

Non, pas ouf ! J’ai exhalé trop tôt victoire. Pas ouf du tout, mes amis. Car la vieille Bentley du prince est stationnée devant le commissariat. Le chef à lunettes discute à l’une des portières avec les passagers. Quelqu’un nous retapisse d’emblée et pousse un cri. Quel manque de fion, mes chéries ! J’aurais dû potasser mon horoscope du jour avant de nous hasarder. Décarrer sans bavure pour, à l’extérieur, retomber sur la bande et le chef poulaga avant d’avoir parcouru deux mètres vingt, avouez que c’est de la purée de catastrophe, ça ! De l’extrait de pétoche ! De la compote de mouscaille ! Ils ont donc tous été fauchés, les trèfles à quatre, dans ce patelin ? Y a plus de fers à chevaux dans les caniveaux ?

Le mieux qui nous reste à branlocher, c’est de les mettre en se disant que Zatopek ne nous venait pas à la cheville au temps de ses exploits.

On trace de nouveau. Çà et là, des passants se remettent à passer dans les premières clartés de l’aube. Ils en reviennent pas de cette corrida matinale. Une Bentley qui nous course, avec un bonhomme à lunettes juché sur son marchepied en train de défourailler (au juché). Ses prunes émiettent des vitrines alentour. Dans la grand-rue, les lève-tôt se sont déjà recouchés, chaussés, sur la chaussée. Remarquez que c’est confortable vu que les marchands de tapis y étalent leur marchandise pour qu’en roulant dessus les véhicules l’assouplissent et la transforment en tapis anciens.