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— À propos, murmuré-je, on n’a pas revu ta copine, cette chère dame dont le cul est une aubaine.

Le Fatal hoche la tête.

— Te casse pas pour elle, San-A. C’t’une poupée qu’a de la ressource…

On rase les murs, choisissant l’abri précaire des piliers pour se déplacer dans la maison d’Allah.

Brusquement, deux mains puissantes s’abattent sur nos épaules. On volte-face comme un seul homme. Un vieux Vaeze à l’œil sévère nous apostrophe durement. Le fait qu’il s’exprime à voix basse n’ôte rien à sa véhémence.

— Qu’est-ce qu’y débloque ! ronchonne Bérurier.

Ce qu’entendant, le vaeze (ou prêtre de la région musulmane, merci) cesse de débonder sa bile pour s’exclamer :

— Des Français !

— En os et presque en chaire ! lui réponds-je en m’accoudant à l’escalier de cette dernière.

— Ah ! messieurs, messieurs, s’humecte le saint homme, si je vous disais…

Il allonge sa main droite dans la lumière céleste tombant d’un vitrage du toit.

— Cette main a touché le général de Gaulle lors de sa venue en Iran !

Bien décidé à faire un maximum pour notre sécurité nous nous laissons tomber à genoux et baisons voracement les doigts miraculés. On se permet, même grâce à notre insomnie, quelques larmes authentiques dont le vaeze suit le lent cheminement sur nos faces dérasées.

— Vous ne devez pas pénétrer chaussés dans une mosquée, nous déclare-t-il avec bonté.

— Faut pas nous en vouloir, m’sieur le chanoine, bredouille Béru. J’ai gardé mes targettes biscotte j’ai des trous à mes chaussettes.

— Et que vois-je ! s’épouvante le représentant (pour la région) d’Allah : vous venez ici avec du vin ! Ignorez-vous donc, ô infidèles, que ce triste breuvage nous est absolument interdit, à nous autres, musulmans !

— Ah bon, donc, c’est bien du picrate, déduit gaillardement Béru, rasséréné par cette bonne nouvelle.

Le vaeze nous contemple en caressant ses rides profondes.

— Déchaussez-vous, laissez ce vin hors de la mosquée et je vous la ferai visiter, nous promet-il.

Il est des moments, dans la vie, où l’homme doit savoir se confier à l’homme, fût-ce au débotté.

— Mon père, lui dis-je, si vous voulez bien me permettre de vous appeler ainsi, n’étant familiarisé ni avec votre langue ni avec votre religion, ayez la bonté de nous conduire dans un endroit discret où nous pourrons parler de choses graves.

Le digne homme secoue la tête.

— Rien n’est plus discret que la maison de Dieu, répond-il, elle est là pour qu’y soient débattues les questions les plus graves…

Je voudrais lui dire que, son dieu n’étant qu’un cousin germain du mien, j’ai le droit de préférer un terrain neutre pour converser, seulement un certain brouhaha s’opère à l’extérieur. On entend des coups de sifflet, des ordres, des cliquetis. Par l’enfilade de porche, je distingue des uniformes.

— Que se produit-il ? s’interroge le vaeze.

Il trotte s’informer et revient, arborant la mine hautaine et résignée des martyrs.

— On l’a dans le sac, non ? soupire Bérurier.

— Ça m’a l’air probable, Gros.

Le musulprêtre croise ses bras sur sa poitrine aussi étroite et creuse qu’un plumier.

— Vous êtes des meurtriers, lamente-t-il.

— Écoutez, m’sieur le shâh noine, attaque Bérurier, nous sommes victimes d’une cavale…

Le cinq-tomes l’interrompt d’un geste de souverain et de pontife :

— Je n’ai pas a connaître de vos crimes. La police cerne cette mosquée. Elle n’a pas le droit d’y pénétrer et tant que vous y séjournerez, nul ne pourra rien contre vous. Mais si vous voulez accepter le conseil d’un sage, ne tardez point à vous rendre. L’homme qui se livre accomplit un acte de foi auquel Allah ne saurait rester insensible.

— Et ta sœur ? riposte le philosophe de comptoir.

— Elle doit venir me voir tout à l’heure avec ma nièce, répond le vaeze surpris. Comment le saviez-vous ?

Le Mastar lui met la main sur l’épaule.

— Je te vas faire une confidence, ma vieille branche : on est espédié par Allah pour sauver l’Iran d’un grand danger. Crois-nous ou va te faire aimer chez le révérend Plumeau, mais ce que je te bonnis est textuel ! Si les matons nous arquepincent, ton pays sera tellement groggy que même le gaullisme arriverait pas à le sauver. Cela dit, drive-nous dans ton arrière-boutique qu’on puisse roupiller et se mouiller la meule avec le nectar ci-joint sans que tes paroissiens nous découpent la peau des testiburnes avec des ciseaux de brodeuse.

Le vioque gratouille de plus en plus furieusement la crasse emmagasinée dans ses rides. Le pressentant ébranlé, je lui pose les mains sur les épaules.

— Puisque vous êtes un sage, mon père, vous devez savoir lire dans le regard d’autrui. Voyez mes yeux et dites-moi si ce sont ceux d’un assassin !

Il me regarde. Il a une brave bouille, ce vaeze. Les d’entre vous qui se souviennent encore de l’acteur Sinoël pourront se faire une juste idée du personnage.

On le devine pur, tendre et crédule. Il croit en la justice, à Dieu, aux hommes.

Tout en me laissant détroncher, je sors une liasse de billets de ma vague et la glisse dans la main du vénérable personnage.

Les représentants du culte (de n’importe quel culte, de tous les cultes) ont en commun l’art d’escamoter une obole.

Tu leur attriques un bif, et une seconde plus tard ils ont à nouveau les mains vides. Le plus doué des prestidigitateurs n’est qu’un balourd affligé de rhumatismes déformants en comparaison.

Le vaeze détourne ses yeux sanieux.

— Mon fils, déclare-t-il, la vérité me force à dire que n’ai lu dans vos yeux qu’une grande bonté, jointe peut-être à une certaine insuffisance hépatique.

XIV

Je dormais, je me réveille !

Admirez le raccourci de cette phrase, la somme d’idées que ces cinq mots expriment. L’intensité de ces sept pieds martelant en cadence mon potentiel de sommeil.

Car malgré les périls qui nous cernent, malgré le tragique, l’horreur même, de notre situation, j’en ai écrasé comme une forêt déguisée en souches.

Je me tiens blotti sur un tapis, près d’un escalier de marbre. Les vibrations métalliques d’un appareillage sonore font grincer des échos caverneux. Je perçois, multipliés par des amplificateurs, des gloussements, des chuchotis gonflés comme des rafales de simoun.

Les lamentos aigrelets d’un muezzin s’élèvent au-dessus de la mosquée et y retombent majestueusement. Ils sont bêlés, gutturaux. À chaque attaque on a l’impression que le prieur se racle le gosier pour expulser un glave. C’est tout en « r » et en « h ». Ça se chante pas, ça s’expectore ! Et puis, après une courte période, des rires éclatent sur la ville, fantastiques, puissants comme le rire du Bon Dieu chatouillé. Une voix grossie jusqu’à la saturation auditive tonne sur les toits bouseux de la ville :

« Dégueule, mon pote, on verra ce que c’est ! »

Après quoi, un duo foireux, bâtard, branlochant se fait entendre toujours sur le même canal sonore. Deux organes ayant grand mal à unissonner entonnent ce chant jusqu’alors inconnu en pays islamique, ce chant que jamais, au grand jamais, on ne confia aux quatre points cardinaux du haut d’un minaret :

Nous sommes les moines de Saint-Bernardin. Nous sommes les moines de Saint-Bernardin. Nous nous couchons tôt et nous levons matin…