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Réveillé du haut en bas je pars à la recherche de Bérurier, car l’une des deux voix est la sienne.

Quelques errements dans les dépendances de la mosquée me permettent de mettre la vue sur un bien curieux tableau. Béru et le vaeze blindés à mort devant le micro servant à diffuser la prière ! Ils se tiennent par le cou. Quatre bouteilles vides attestent que leurs libations furent copieuses.

Ayant achevé les « Moines de Saint-Bernardin », la nouvelle chorale de Lâtri Nihité passe sans plus attendre Aux trois orfèvres en s’accompagnant d’un solo de batterie exécuté par le vaeze sur son samovar.

Je me précipite et débranche l’ampli.

— T’es dingue, Gros ! Qu’est-ce que c’est que ce circus, tu tiens vraiment à nous faire lyncher par la foule ?

— Ben quoi, on se marre ! proteste le Dodu. Puisqu’on est bouclés ici, autant que ça se passe bien.

Il tapote l’épaule du vaeze.

— Ce mec-là, c’est du velours en branche, mon pote ! Il a beau chiquer les champions de la ligue antialcoolique, espère un peu qu’il biberonne comme un veau qu’aurait bouffé de la morue. Tu l’aurais vu tourniquer autour de mes flacards quand je m’ai eu mis à les dépuceler. Il a refusé de trinquer un coup, mais pas deux ! Hein que c’est vrai, la Cerise ?

Le petit vieux rigole comme un bossu.

— T’as maté la populace, dehors ? demande Bérurier, rappelle-toi qu’on fait recette. Tu parles d’un métinge ! On se croirait à la Mutualité. De la volaille, de l’armée ! Des mecs en jeep, d’autres à pinces. Mitraillettes, tringlots ! Ils sont parés pour la reconstitution historique de « Verdun, terre brûlée ». Et derrière ça se la ramène tante et plus, à pied, en voitures. Des services de cars font des navettes ! J’eusse pas cru qu’on obtiendrait un succès aussi franc et massif ! Le jour que de Gaulle s’est pointé, y avait moins de trèpe. On pulvérise les Bitolles, Mireille Maqueue et tutti chianti ! Tu veux un gorgeon de picrate ? C’est du rosé qu’a du corps, du gilet et toute la garde-robe souhaitable.

Je refuse.

— Béru, fais-je. Au lieu de te blinder comme un pourceau, tu ferais mieux de trouver un moyen de sortir d’ici.

Mon reproche me vaut un haussement d’épaules.

— Je sais reconnaître le possible de l’impossible, Gars. À moins que le père Glandu aye un hélicoptère au sommet de son séminaret et que tu saurais le piloter, faut pas compter quitter cette crémerie. J’en ai causé avec le petit Vioque, y l’assure qu’on l’a dans l’œuf, pas vrai, Mahomed ? Not possible of mettre les adjas of ici. On va avoir droit au siège en règle ! Tous les fidèles se sont cassés quand y z’ont su que des roumis criminels occupaient leur abbaye, dont on peut pas compter sur quelqu’un. D’autre part ces peaux d’hareng permettront jamais qu’on nous rentre de la bouffe, on a la terre native soite de se rendre, soite de se laisser mourir de faim, ce dont je suis pas tellement partisan.

Il picole une méchante goulée, avale sa chère rasade, et soupire :

— Reste plus qu’à déchirer mon pan de chemise pour en faire un drapeau blanc !

— Penses-tu, ces truffes le prendraient pour le drapeau japonais !

— Alors, quoi ?

Un double bruit de pas fait résonner les voûtes de la mosquée. Je vais jeter un bout de regard et je vois se pointer deux femmes voilées. Une grosse vieille et une mince jeune.

— Ma sœur et ma nièce ! bavoche le vaeze. Chères filles qui osent s’aventurer ici tout en sachant qu’elles y trouveront des assassins.

Il apostrophe les arrivantes avec volubilité, nous désignant frénétiquement et s’exprimant sur un ton de plaidoirie. Je sais qu’il cherche à nous disculper aux yeux des arrivantes, mais les deux femmes sont durailles à convaincre. Elles restent à l’écart, évitant de nous regarder.

— Voici Eddé Komhsah, ma vénérée sœur, présente le petit Vieux ! Ainsi que Tanadéjhà Vhu, ma nièce bien-aimée. Elles habitent Jsanhbien Ktumlamî, un village perdu dans la chaîne Dhârpanteur et viennent me voir une fois par an, le jour de mon anniversaire…

Pendant qu’il bavasse je regarde les deux survenantes.

— Tu sais à quoi je pense, Béru ? Tu serais belle avec la robe de la frangine, et moi pas dégueulasse avec celle de la nièce.

— Exaquete, riposte le Dodu sans sourciller, tu crois que ces chères petites médèmes consentiront à nous cloquer leurs chiftirs ?

— C’est pas leur main qu’on leur demande, Gros, leur consentement n’est pas indispensable.

Je me tourne vers le saint homme.

— Vos parentes accepteraient-elles de nous prêter leurs vêtements moyennant une somme rondelette, mon cher père et néanmoins ami ?

Il secoue la tête en papillotant des stores.

— Pourquoi en faire, mon Allah !

— Nous les passerions et, escortés par vous, pourrions quitter ce saint lieu que nous profanons involontairement de notre présence. La police les a vues entrer, elle ne tiquera pas en les voyant sortir et vous seriez là pour répondre aux questions.

Je crois que mon projet le dégrise un brin.

— Je ne pense pas que ni Eddé Komhsah, ni Tanadéjhà Vhu consentent à se dévêtir.

— Bon, on va s’expliquer personnellement nous-mêmes avec ces dames, tranche Béru, si t’as des petits pois à écosser ou un coup de balai à donner dans le clocher, va, on t’appellera quand on aura besoin de toi !

— Mais…

Je presse la main du vaeze. Sentant au creux de sa paume le doux contact d’un billet de banque, il stoppe net ses récriminations.

— N’auriez-vous point confiance en nous, mon père ? lui dis-je.

Il opine.

— Si, mon fils. Comment n’accorderait-on pas sa confiance à un homme possédant une poignée de main pareille !

Et il se retire.

Les deux dames veulent le suivre, mais je m’interpose avec le sourire et le pistolet piqué au chafouin.

— J’embarque la vioque dans la sacristie, m’avertit Béru. J’espère qu’elle rouscaillera pas trop pour se dépoiler, ça m’ennuierait de cigogner le bulbe d’une personne de c’t’âge. Moi tu me connais : j’ai la galanterie chevillée au corps.

On croit des choses, mais on a tort. L’homme a trop tendance à distribuer aux autres les nobles sentiments (qui lui font d’ailleurs défaut).

Ainsi, je vais bien vous épater en vous déclarant que la nièce sauvageonne du vaeze ne fait pas le moindre chichi pour ôter sa robe. Elle a l’air de bien assumer l’occase, Tanadéjhà Vhu. De la trouver opportune, même. Probable qu’elle en a quine, la jouvencelle, de jouer à perte de jeunesse Mam’zelle Gertrude au pensionnat. Comprenez-moi bien : j’aurais pas la pétoire en pogne, sûr qu’elle regimberait, seulement, à cause de ce morceau de métal, elle a un prétexte pour se soumettre, do you see ! Nuance ! Combien de femmes, à travers le monde, n’aspirent qu’à trouver un motif valable pour déconner ? Elles sont prêtes, mais c’est le coup d’envoi qui leur manque.

Pour vous en revenir, la môme Tanadéjhà Vhu, sous son voile, elle cache un mignon visage effarouché et hardi. Effarouché, c’est pour amadouer l’homme. Hardi, pour le provoquer. Elle ne parle ni le françouze ni l’angliche. Faut dire que dans la chaîne Dhârpanteur l’école n’est pas obligatoire. Les petites filles, dès l’âge de quatre ans, on se les mobilise pour tisser des tapis. Le tapis, il m’amadoue (comme disait un pyromane) depuis que j’ai appris qu’il était toujours fabriqué par des mômasses, depuis que j’en ai vu au tapin, assises devant les grandes trames, à passer des bouts de laine entre des fils, à les couper menu, gravement, clic clac, du même coup de ciseau pareil à un grignotage d’insecte. Elle manipule que la langue Fârci, mon effeuilleuse, si bien que je lui en roule une sous la protection d’Allah. Tanadéjhà Vhu a une réaction bizarre : elle rigole. Pas fort, mais elle glousse en soufflant fort du nez et en se trémoussant le valseur. Moi, vous me connaissez ? Je joins volontiers le geste à la parole. Dès lors que cette mignonne enfant ne me paraît pas fondamentalement opposée à une certaine prise de contact, je pousse mes avantages. Ça continue de ne pas l’apeurer, le médius inquisiteur. Probable qu’elle a un cousin déluré ou que son papa cultive des bananiers dans son jardin.