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— Nous y voici, Gros. C’est la cahute de torchis, sur la droite.

On se pointe dans la plus sommaire (puisque nous ne sommes que deux) des files indiennes.

Il fait sombre comme dans le trou du tronc du culte d’un Noir. C’est plein d’une fumaga épaisse résultant de la carbonisation d’un morcif de bidoche oublié dans une poêle sans beurre. Ça pue la place du marché de Rouen un 30 mai 1431.

— Mince, mais ça crame ! glapit le Gastronome des faubourgs en courant retirer du feu la pauvre tranche d’animal mort. Je veux bien que le mouton supportasse plus mieux la cuisson qu’un filet de bœuf, mais y a des limites ! Dis, elle est pas sérieuse, côté cordon bleu, ta pépée. Mam’zelle a tort d’aller aux fraises pendant que sa jaffe cuit.

Je lui intime d’un signe l’ordre de la boucler. M’a semblé entendre du bruit. Quelque chose comme une plainte…

Inquiet, je m’avance vers le lit misérable occupant un renfoncement. On dirait que les couvrantes font une longue bosse. Je les arrache. Vahi est là, ligotée comme la plus belle andouille qu’il m’ait été donné de voir.

— Ça alors ! m’exclamé-je, comme on doit le faire dans un bon feuilleton lorsqu’il convient de marquer la stupeur.

J’ajouterais volontiers : « Que vous est-il arrivé ? », mais ce serait de la salive gâchée car la pauvrette est bâillonnée.

— La jeune fille a eu un turbin ? demande le Gros, la bouche pleine, car il est déjà aux prises avec le morceau de mouton calciné. M’étonnait aussi qu’elle laissasse son bout de bélier se transformer en charbon de bois.

À partir de là tout se passe très vite. Un coup de sifflet retentit, vipérin, tout proche. Les canons de deux mitraillettes sortent de sous le plumard. Des mecs se pointent du dehors, nombreux, armés, patibulaires. Je reconnais les archers du prince Anârchi. Il y a un double claquement. Deux longues lanières de fouet s’enroulent à nos torses, faisant choir nos longues robes et nous soudant (égyptien) les bras au corps. Zorro est arrivé, mes fieux ! Bon ouvrage, rondement mené. Après une rapide enquête, nos ennemis ont appris mes relations avec le pêcheur et sa fille. Se doutant que nous aurions besoin d’un refuge, ils nous y ont tendu une embuscade.

Ça m’intimide un peu, moi, ce gai-tapant. Je réalise parfaitement combien les heures qui vont suivre seront difficiles à vivre. Faut t’exercer au stoïcisme, mon San-A. T’en as déjà vu de dures (et t’en as montré d’encore plus dures), toujours tu t’en es tiré pour le plus grand profit de ton compte en banque et à la satisfaction d’un grand nombre de tes lecteurs, gens de goût dont l’intelligence est tellement ouverte que tu peux y pénétrer la tête haute. Donc, mon San-A. tu te dépatrouilleras une nouvelle fois de ce seau de gadoue.

Le temps que je me bonnisse tout ce réconfort et nous voilà jetés pêle-mêle sur le plateau brûlant d’une fourgonnette. Vahi, Béru et moi. Deux gus armés prennent place à nos côtés. On se met à débouler dans Ispahan à l’allure d’une ambulance, lorsque l’ambulancier a rancard avec sa petite amie.

Chez le prince ! Seconde époque ! Les geôles !

Elles semblent féodales, bien que la demeure du gars Anârchi soit récente. Ou alors c’est sa crèche qu’on a édifiée sur d’anciennes oubliettes. Toujours est-il que nous voilà dans des cul-de-basse-fosse voûtés, humides, bas de plaftard et couverts de salpêtre. La pierre de taille est énorme. La porte entièrement en fer, tellement lourdingue qu’ils se mettent à deux pour l’ouvrir et la fermer. La lumière dégouline par un soupirail en biseau, pas plus épais que l’annuaire téléphonique du Liechtenstein.

Pourtant, la faculté d’adaptation de l’homme est telle qu’il s’accoutume vite au milieu où il est projeté. Au bout d’une heure, n’importe quel mecton est capable de lire des trucs en italique à la lueur d’un ver luisant.

Ces peaux de zobe nous ont entravés d’étrange manière ! Une unique paire de menottes suffît car ils ont fixé l’une des extrémités à ma cheville et l’autre au poignet de Bérurier si bien que nous ne pouvons nous tenir debout simultanément, Alexandre-Benoît et mécolle.

Mon premier soin est de délivrer la pauvre Vahi de ses liens et bâillon.

— Pauvre chou, la cajolé-je en la serrant contre moi. Comment tout cela est-il arrivé ?

— Je crois que c’est à cause de votre chauffeur d’hier.

— Mostaclaouhi ?

— Celui du prince l’avait repéré et ils sont allés chez lui dans la nuit, pour le faire parler…

— Oui, exactement, très exactement ! lamente dans les profondeurs de l’ombre une petite voix fluette.

Je repte, en halant Béru, vers la source de vérités. Je découvre le pauvre cher célibataire dans un état que je découvrirai de plus en plus piteux, au fur et à mesure qu’il me sera possible de le bien distinguer. Il a deux énormes bosses à la place des yeux. Son visage est violet et ses lèvres ont des épaisseurs de steak haché. D’ailleurs, elles sont hachées ! Sa bouche n’est qu’une horrible boursouflure. Il cause menu, menu, comme on tète le chalumeau d’un gin-fizz. Me semble qu’il devrait parler japonais, ça lui serait plus commode.

Toujours prolixe, cependant. Toujours très courtois malgré sa gueule en compote.

— Ils sont arrivés dans la nuit, et ils m’ont prié de leur dire tout ce que je savais à votre propos, où je vous avais conduits, qui nous avions vu, etc.

— Mon bon ami, ils vous ont molesté ?

— Considérablement. Je pense qu’Allah me fait expier mes fautes. J’ai perdu ma chienne, mon dentier est irrécupérable et ma pauvre voiture passablement endommagée. Joignez à cela que les sévices qui me furent infligés m’ont beaucoup affaibli. Oh, excusez-moi, monsieur, je vais m’évanouir.

Il s’évanouit comme promis.

— Donc, dis-je à Vahi, ils ont connu nos relations par ce malheureux et sont allés chez vous ?

— Je commençais à préparer le repas quand ils se sont précipités sur moi. Vous croyez qu’ils vont nous mettre à mort ?

— Espérons que non, ma douceur, à nos âges ce ne serait pas moral.

Elle se serre contre moi.

— J’ai un peu peur !

Un peu ! Ils ont du ressort, les Moyen-Orientaux !

— Pourquoi ces gens s’acharnent-ils sur vous ? À cause des deux hommes de l’aéroport ?

— Hélas !

— Vous ne voulez rien me dire ?

— C’est tellement grave, chérie…

Mes restrictions l’affligent, ou plutôt la vexent, car, bien qu’elle soit concave, c’est une fille qu’on vexe[11].

— Après ce que j’ai enduré pour vous, vous n’avez toujours pas confiance en moi ! amertume-t-elle.

— J’ai confiance en toi mais pas en eux. Je ne veux pas, s’ils te torturent, que tu sois en mesure de leur apprendre la vérité.

Vahi se cambre dans l’ombre.

— Vous me prenez pour qui, pour une frêle Occidentale ?

Je suis fumarot tout de même. Pourquoi lui endolorer l’orgueil ?

Il ne lui reste plus que ce genre de satisfaction, à la pauvrette. Elle n’est même pas sûre de voir Naples avant de mourir. Alors, un bon mouvement, San-Antonio. Déballe une chouette historiette, manière de lui calmer un chouïa les angoisses.

— Pardonne-moi, mon amour, balbutié-je, ne répands pas les larmes amères de la confiance bafouée sinon je vais donner un libre cours aux miennes.

Sur ces paroles typiquement dix-huitième siècle et seizième arrondissement, comme l’écrit si joliment mon aimable précurseur Girolamo-Giacomo Casanova au chapitre IX de ses mémoires : « … nos lèvres savourèrent leur nectar au milieu des plus doux baisers », ce qui, traduit en San-Antonien du vingtième siècle signifie qu’on se roule une pelle.

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11

Je fais ça par bonté d’âme, pour que les dénigreurs aient la preuve tangible que j’écris bel et bien de la chose et que ça les débile un peu.