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C’est alors, mes chéries chéries, que votre San-Antonio se montre vraiment, mais alors vraiment, à la hauteur.

XVII

À la hauteur, c’est bien l’expression qui convient. Mais tout s’accomplit si vite, presque au rythme de ma pensée, qu’il est turpide de vouloir le raconter. Puisque, pourtant, vous me payez (mal mais ça ne vaut pas plus) pour ça, et que je suis un homme de devoirs (de vacances), je vais vous relater la chose de mon mieux (ce qui n’est déjà pas si mal, car j’aimerais voir la bouille que vous feriez si le passage ci-joint était rédigé par M. Paul Claudel).

Maginez-vous donc que pour hisser un luron de mon acabit, il n’est point trop de deux hommes vigoureux. En vertu de quoi, deux des gardes empoignent l’autre extrémité du filin, cependant que le troisième s’affaire à me maintenir à l’aplomb de la poulie. Trop poulie pour être au net, dirait Machin.

Oooh hisse !

C’est Kémal qui m’hale. Ils y mettent du jus de muscle. Mon bras part comme une flèche vers les gaufrettes en mosaïques du plafond. Seulement, le bon San-A., il s’est livré à un de ces tours de passe-passe qui filerait des insomnies à Bruno Coquatrix tellement ses premières parties de programmes lui sembleraient débilitantes en comparaison. Ce qu’il a maquillé, votre San-A. ? Peu de chose à la vérité. Pendant qu’on s’activait sur son pauvre pouce, il a mine de rien tiré sur le câble de sa main libre afin de ménager une réserve de mou. Si bien que lorsque la môme au voile a claqué des doigts pour ordonner la fâcheuse manœuvre, le malin San-A. prompt comme les deux fameux duettistes Buffalo et Bill, a, d’un mouvement rodéesque, passé la boucle ainsi constituée au cou de l’homme demeuré près de moi. Cette opération me fut d’autant plus facile que le dégourdoche se penchait pour aider à la manœuvre en me soulevant par les flûtes.

Les deux gardes, tout à leur effort, se rendent pas tout de suite compte du topo. Les v’là qui jouent les sonneurs de cloche avec tant de vigueur que ma victime en attrape le bourdon et s’en fait exploser les tympans.

Étranglé net ! Le garde meurt et ne se rend pas compte de ce qui lui arrive[14].

Sentant une résistance, les deux connards halent de plus belle, vous pensez bien, finissant de dégloter et de dévertébro-cervicaliser leur copain. On se trouve dans la situation suivante : l’étranglé est déguisé en pendu. Bibi a le bras droit étiré comme un feuilleton de Zévaco. La fille au voile se fout à hurler. On clochette derrière la jalousie pire qu’au tribunal lorsque l’accusé montre avec quoi il a violé la petite fille de la crémière, et les deux pommes tracteuses, au lieu de se demander la raison du brouhaha, s’escriment de concert (car ils sont mélomanes. Avant ils s’escrimaient de conserve, mais ils avaient chopé le scorbut).

Évidemment, je vous beurre la tartine, seulement mon récit ne dure que quelques secondes. Elles n’en ont pas moins suffi au troisième garde pour déguiser sa femme en veuve, et à San-Antonio pour arracher le sabre recourbé passé dans la ceinture du zig.

Enfin, alertés par les clameurs, les haleurs, à l’heure de la vérité, comprennent et lâchent tout.

Floc ! Le pendu choit en vitesse, comme si ça ne dépendait que de lui. Moi, superbe de cran. Fou d’énergie ! Glorieux comme Bonapartoléon au pont des Invalides, me rappelant les gestes des hussards sabreurs qui décapitaient les bouteilles de champagne d’un coup de zoum-zoum bien appliqué, je file une monstre sabrée au filin. Mon horoscope du jour doit être vachement positif car le petit câble est sectionné comme s’il s’agissait d’une vulgaire asperge. En même temps, un garde pousse un horrible cri. Ce branque qui se jetait sur moi a stoppé la trajectoire de l’arme. Excepté un train rapide, y a rien de plus périlleux à bloquer en marche qu’un coup de sabre donné par le commissaire San-Antonio. À preuve : ça lui fend la poire depuis le front jusqu’au menton. Il a le pif comme une peau de banane, quatre lèvres et deux rictus.

Bon, je continue de vous raconter la suite ou bien si vous préférez une histoire drôle ? Je vous pose la question parce que, par moments, ça me casse les urnes de vous empaqueter de la belle marchandise riche en action, bourrée de suce-pince avec plein de jolis adjectifs tricotés par la rousse. Je me dis que c’est de la déconfiture donnée à des purs sots. Je me démanche le bulbe pour vous et vous m’oubliez dans les gogues ou alors maâme votre pauvre femme me ramasse sur la carpette, au matin, avec vos mégots et vos capotes. J’ai mes pages aussi cornées que vos fronts, les gars, un chiffonnier n’en voudrait pas. Et bibi, bonne crêpe toujours, y va de sa romance à épisodes. Il travaille comme pour la Pléiade. Il rame énergiquement vers des postérités, oubliant vos auréoles de caoua, vos souilleries au tomato et autres répugnantes empreintes de vos pelles à frites ! C’est beau l’amour de son métier !

Louez mon mérite, mes frères. Ou plutôt non : achetez-le !

Si vous me relisez faites-le dans la joie, et si vous me reliez, que ça soit en chagrin.

Je continue donc pour les plus méritants d’entre vous.

Au cœur de l’action, il se dépasse, San-A. Il fait des choses qu’on jugerait impossibles si on les lisait dans un roman policier.

Sans lâcher mon sabre ébréché et sanglant, je me jette sur la beauté à voile et je la ceinture.

Le troisième garde a dégainé. Il me charge en criant la devise des Anârchi : « Athank Jthempâl Mahvâche », ce qui veut dire grosso modo : « Si tu ne t’es jamais assis sur un paratonnerre, prépare tes miches ! » En guise de réponse, je propulse la douce jeune fille à sa rencontre, expédiant peu galant, je n’en disconviens pas, mais qui m’épargne un duel à l’arme blanche dont l’issue serait trop incertaine.

Mince, je n’y suis pas allé de main morte. Voilà qu’une petite corne brillante pousse dans le dos de la demoiselle. Elle choit en arrière, transpercée jusqu’au fond du cœur d’une atteinte imprévue aussi bien que mortelle, selon le principe d’Archimède. Le garde bute dans ses pieds. Il récupère son équilibre.

Déjà un poignard luit à son poing. Il va le lancer. Non ! J’attendais même plus Blücher, et voilà Grouchy qui se pointe ! Quelle chance ! It is mon jour, to day, no ? Il se pointe en la personne du gars Prof, lequel, surmontant sa douleur, sa faiblesse et ses rhumatismes articulaires, vient de se dresser, armé d’une de ses sandales. Vous parlez d’un écrase-merde ! Une vraie tartine de cuir, avec un talon épais commak et garni de plaquettes métalliques.

Il en use comme d’une matraque !

Ploff !

Cette secouée sur le cassis du troisième et dernier péon ! Ouille ! Et une cervelle qui prend le jour, une ! Meunière ! Elle lui dégouline par les oreilles, tellement il a eu la sandale agressive, le vieux Grinsky.

On dira ce qu’on voudra, mais les chaussures André, c’est de la marchandise à toutes épreuves.

Maintenant, peut-être pourrions-nous pousser notre avantage, non ? S’agit de bander fort sa volonté et d’y aller à l’huile de muscles. Entre la présente hécatombe et celle de la veille, commence à y avoir du déchet dans les troupes princières. On les lui décime plus vite qu’il ne les recrute, ses lanciers de la mort, Anârchi.

— Filons, commissaire ! préconise Prof en boitillant.

Nous voici curieusement alliés, tous les deux : le poulet et le malfrat. Unis farouchement par un même danger.

— Minute !

Je me penche sur les cadavres et me saisis d’un second sabre. Je dois faire image d’Épinal, ainsi nanti, vous pensez pas ? Mon père, ce héros au sourire si doux ! Je fonce sus à la jalousie. Je la déjalouse à grandes sabrures. Personne derrière ! Une porte est ouverte dans le fond de la loge.

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14

J’ai déjà dû caser ça quelque part, mais si vous avez des doubles, vous pouvez faire des échanges avec des copains.