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Prof, m’est avis, il aura pris la démange des voyages, à la faveur de l’été. Qui va savoir depuis combien de jours, depuis combien de nuits il le caressait, son rêve d’échappée iranienne ?

Je le dis au Vioquard. Mais il prend sa lippe refusante, le Boss. Sa mimique « objection-non-valable-votre-honneur ».

— S’il partait seul ou avec sa femme, voire encore en compagnie d’un groupe organisé, peut-être, San-Antonio. Oui, peut-être, seulement ça n’est pas tout. Il a retenu deux places. L’autre est au nom de Jerry Mac Ring, ce qui, je suppose, ne vous dit rien ?

— En effet, avoué-je spontanément, car je suis certain de ne pas connaître ce nom. Un Américain d’origine écossaise, je suppose ?

— Probablement.

— Il s’agit d’un ami à Prof ?

— Ils ne se sont encore jamais vus, dit le Vieux en me virgulant un gentil sourire. King est le fils dévoyé d’un fonctionnaire américain en Europe. Il vient de purger une peine de quatre ans de prison à Amsterdam pour attaque à main armée.

Il sort de sa poche une photographie et me la présente.

— Ecce homo ! fait-il.

Bérurier, que l’on tient en quarantaine et qui en a classe de jouer les potiches intercepte l’image d’un coup de paluche péremptoire.

— Un Italien, je suppose, dit-il. Avec un nom pareil ! Ecce Homo, ça sent son Napolitain d’un lieu.

Ayant repris possession du cliché, tandis que le Dabe couvre mon ami de son regard d’aigle vindicatif, je constate que le dénommé Mac King est un beau jeune homme au regard clair et hardi à peu près aussi sentimental d’apparence qu’une panoplie de gynécologue.

— En résumé, ajoute le Vieux, le père Prof qui n’a jamais quitté son pavillon de meulière s’embarque brusquement pour l’Iran en compagnie d’un truand qu’il n’a pas encore rencontré. Si vous trouvez la chose normale, moi je veux bien, mais il va falloir me trouver une justification valable.

Il a raison. Voilà qui est troublant.

— Comment avez-vous eu vent de ce voyage, sans indiscrétion, patron ?

— Par le plus grand des hasards. Vous savez bien qu’il est notre meilleur auxiliaire, mon cher ? L’un de vos collègues retenait des places d’avion aux bureaux d’Air France des Champs-Élysées lorsqu’il a aperçu Prof au guichet voisin, en train de procéder lui aussi à ses réservations. Un flic est un flic. Chassez le naturel, il revient au galop. Connaissant son Grinsky, il a voulu savoir où le bougre se rendait. Il a attendu le départ de notre bonhomme et a demandé des renseignements sur le voyage qu’il projetait après avoir argué de sa qualité de policier. Ensuite de quoi, ce zélé inspecteur m’a adressé une petite note pour me signaler la chose. J’ai fait prendre des renseignements sur Mac King dont le nom ne me disait rien et j’ai su qu’il achevait de purger une peine de prison en Hollande. King n’a encore jamais mis les pieds en France. Il sort de prison ce matin. Je suppose que son premier soin sera de se précipiter à Paris car les deux hommes partent demain pour Téhéran.

Le déplumé tire deux biftons d’Air France de sa poche et les dépose sur mon bureau.

— Vous aussi, dit-il. Je ne sais pas pourquoi, mais leur voyage ne me dit rien qui vaille.

Je prends les biftons, établis l’un à mon nom, l’autre à celui de Béru.

Pour un type qui prétendait jouer cette enquête à pile ou face…

II

— Stop ! lance Béru.

Notre driver file un coup de patin qui met en contact le pif à Béru et le pare-brise de la chignole. Le Gros commence à raisiner du blair sur sa belle limouille violine.

— Quel manche, ce gus ! beugle le Mastar. Tas appris à conduire sur une auto-tamponneuse, dis, Fesse de rat !

— C’est vous qui…, plaide le malheureux.

— J’ai jamais vu piloter comme ces gens-là, clame Béru. Au début j’ai cru que la circulation se faisait à gauche dans ce patelin, comme chez les rosbifs ! Et ça te double à droite, et ça te croise à gauche ! Et ça te klaxonne dans les portugaises que l’André-Louis Dubois se tartinerait de la cire à cacheter dans les cages à miel s’il viendrait là, tellement ça lui insupporterait l’auriculaire.

Je le laisse vitupérer son souffre-douleur pour m’attacher de nouveau aux pas de nos deux lascars, lesquels viennent de quitter leur charrette.

Depuis hier, ils n’ont visité que des mosquées, des palais, des jardins ou des musées, comme de vrais, d’innocents touristes soucieux de découvrir le maximum de curiosités, dans un minimum de temps. Cette fois pourtant je tique en les voyant se diriger vers un établissement bancaire. Une banque ! Voilà qui leur ressemble beaucoup plus que les poteries de Têpé Moussian du Mouzeh Irân Bâstân. Banque Melli ! C’est écrit dessus, comme sur le port du Salut.

Cela dit, j’imagine mal mes deux larrons arrivant l’un de Hollande, l’autre de Pantruche pour braquer une banque iranienne.

Contre toute attente, au lieu de pénétrer dans l’établissement, ils empruntent toujours sous la conduite de leur guide une entrée latérale fermée par une grille (provisoirement ouverte) Cette entrée est, en réalité, une sorte d’impasse coincée entre l’établissement et une usine. C’est plein de pétrolettes et de vélos. Des zigs cassent la graine, accroupis dans des zones d’ombre. Ils bouffent des trucs bizarres enroulés dans les minces galettes qui, ici, servent de pain.

Je note un certain va-et-vient touristique sur la gauche de l’impasse et aperçois un grand panneau annonçant en plusieurs langues que, dans les sous-sols de la banque sont entreposés les joyaux de la couronne.

Fectivement on pénètre dans un petit hall marmoréen à droite duquel prend un escalier. Les trésors, vous remarquerez, se trouvent toujours en sous-sol. De principe, ça s’enfouit, les cailloux précieux, la joncaille et consort. L’homme les reconfie à la terre d’où il les a extraits, c’est instinctif. De même il lui restitue sa carcasse, au sol généreux. Après usage.

La mentor de ma fine équipé prend des biftons pour son duo. Ils se laissent balader. Prof et King.

Une fois passé le guichet des cartes postales, y a une espèce d’antichambre meublée d’une longue banquette ou quatre costauds aux poches gonflées font des mots croisés en caractères sténographico-vermicelleux. Pas besoin de leur examiner les fafs pour retapisser leur identité, à ces gentilshommes d’infortune. C’est écrit matuche sur leurs bouilles. Un poulaga, du haut en bas de la planète, sur sa face éclairée comme sur sa face cachée, il trimbale le même air féroce et vigilant. La même indifférence redoutable de lion assoupi. Prêt à donner de la griffe au premier signe. Drôlement pernicieux comme individu. Toute la papelardise et la hargne sont accumulées en lui. La façon qu’il vous regarde ! Froid dans le dos. On ressent du picotis dans l’échine. On se pressent en défaut de quèque chose.

Prof et King viennent de franchir le seuil de la caverne Alibabesque. Des grilles aux barreaux plus gros que les jambons du Mastar s’interposent entre les joyaux et la vie courante. Pour le moment elles sont écartées, mais on devine qu’au premier éternuement suspect, vrraoum ! Elles se claquent rapidos. Et tant pis pour les ceux qu’auront leur petit doigt ou leurs burnichettes dans la fermeture.

Je m’offre un ticket d’extase et pénètre à mon tour dans cet univers fantastique où le diamant devient mesquin à force d’accumulation, l’or quincaille, et les pierres les plus rares bimbeloteries pour mercerie de faubourg.