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Blouing ! Je percute des choses molles ! J’entends gueuler. On soubresaute ! On dodeline de l’avant ! On tangue, on cahote, on cabosse, on carabosse ! J’arrache un vantail du portail. Je défonce la jeep de la flicaille ! Dans le rétro, je vois le fabuleux incendie rivaliser d’ardeur avec le soleil.

On nous course à pied, à vélo, à mulet, en voiture. C’est un déferlement.

— Appuie ! Appuie ! aboie Béru en donnant des coups de ventre en avant pour stimuler le véhicule.

J’appuie. Beaucoup trop ! Une première fois j’évite en montant sur le trottoir une bagnole qui radine à notre rencontre. Une deuxième fois je frôle un petit taxi poussif bourré de femmes voilées ; mais à la troisième manœuvre je n’arrive pas à esquiver la voiture des pompiers. Elle est trop large, elle roule trop vite, on la pilote trop mal. Y a un cracziboum du tonnerre. Les firemen embardent, déracinent un arbre et se renversent sur la chaussée, obstruant celle-ci fort à propos.

Mon jour de bol, je vous dis !

XIX

Je vous ai rassuré à la fin du chapitre dix-huit, à mon grand regret, faut que je vous déprime en ce début de dix-neuvième. D’accord, lorsqu’une Bentley des années pré-guerrières percute une voiture de pompiers actuelle, c’est l’auto des pompelards qui s’avoue vaincue. Seulement, ce genre d’affrontements, mes gueux, ressemble aux procès civils. À l’arrivée, un des mecs est à poil et l’autre en bannière. Je m’en rends compte dare-dare que la roue avant gauche écrit des 8 en marchant, que le réservoir de flotte est éventré et que le moteur, à la suite de cette commotion, perd ses légumes pire qu’un hémorroïdien constipé. En vertu de ces différentes avaries, nous parcourons encore deux cent cinquante-trois mètres seize exactement avant que la tire se fasse porter blême.

— Vite ! Vite ! s’écrie Mostaclaouhi qui semble avoir retrouvé un semblant de goût à l’existence.

— Vite quoi, hé, tas de poils ? bougonne Béru en ouvrant la portière d’un coup de coude capable de percer la coque du France.

— Ma voiture n’est pas loin : au fond de l’impasse, là-bas à droite…

Déjà il s’élance, tenant stoïquement le cadavre raidissant de sa Mirza dans les bras. On dirait qu’il fonce chez un toubib avec un bébé blessé, le cher compagnon de geôle.

Guidé par mon instinct, je le suis. Béru continue de chiquer les voitures-balais en poussant Prof devant lui.

Toujours en file indienne (ne sommes-nous pas sur la route des Indes) on finit par débouler dans une espèce de cour miséreuse où sont remisés quelques tacots informes dont les musées de l’auto eux-mêmes n’ont pas gardé la moindre trace. Trônant parmi ces épaves, rutilante malgré un gros emplâtre rouge, la tuture au Père La Cerise ! Un joyau égaré dans une poubelle !

— Je l’avais apportée au carrossier, explique le déchienné, car je ne pouvais souffrir le cruel spectacle de cette estafilade qui la mutilait.

Il se penche sur l’emplâtre, le caresse d’un doigt d’aveugle où le sens tactile devient presque visuel.

— Beau travail ! apprécie-t-il. Après la peinture il n’y paraîtra plus…

— Hé, Pépère, tu crois que c’est le moment de faire des effets de chignole ? fulmine Béru. Allons, en route !

Délibérément il s’installe au volant.

— Ah ! non, c’est moi qui conduis ! s’égosille Mostaclaouhi.

— Occupe-toi de la dépouille à Maâme Médor et moule-nous ! tranche le Magistral. Manche comme t’es, même si tu piloterais un tracteur j’aurais les foies de me laisser bahuter par toi.

L’heure sacro-sainte de la sieste ayant vidé les lieux, nous décarrons sans avoir aperçu le tôlier.

— Couchez-vous ! recommande l’Enflure. Seul au volant je passerai plus mieux inaperçu. Et au fait, vouesconva ?

— Prends la route de Téhéran. Si nous parvenons à atteindre la capitale, on se mettra sous la protection de l’ambassade de France.

— Surtout n’allez pas trop vite, recommande le Persan ! Je ne voudrais pas qu’on abîme mon auto : c’est tout ce qui me reste en ce monde.

Nous roulons depuis près d’une plombe sans la moindre anicroche. Je commence à me dire qu’Allah n’est pas si vache que cela avec les roumis, lorsque Béru file un brutal coup de patin.

— De la casse ? je demande.

— Y a un zef terrible sur la route, dit le Gros… Des chignoles en file, vers les lointains, me semble que c’est un barrage de flics. Je crois apercevoir des uniformes.

Nous nous redressons. Jusque-là tout à bien carburé et nous sommes sortis de la ville sans encombre, et assez facilement, la signalisation étant faite en caractères arabes et en caractères latins.

— Il y a dans la boîte à gants des jumelles qu’un touriste a oubliées, déclare Mostaclaouhi.

Je m’en saisis. Le temps de les braquer, me voici informé.

— De la troupe ! fais-je. D’ici qu’on provoque une mobilisation générale…

— Bon, décide le Gros, heureusement qu’avec tout ce désert on n’a pas besoin de route !

— Comment, pas besoin de route ? s’enroue notre vieux camarade.

— Tu vas voir, Totor !

Sans un poil d’hésitation, Béru braque à droite et se met à rouler sur la lande galeuse jonchée de pierres. De grands trous bordés d’herbe jaune donnent un aspect lunaire au paysage.

— Mais vous êtes fou, fou, fou ! trépigne le vieillard. Mes amortisseurs ! Mes pneus ! Mes lames de ressorts !

— Et ta sœur ! complète Béru. Vaut mieux que ça soye les boudins de ta charrette qui soyent nazes plutôt que les tiens, hé, crème de tomobiliste !

— Mais ce n’est pas une jeep ! sanglote Mosta.

— C’en deviendra une !

On cahote sévèrement. Des parpaings projetés par les roues avant sonnent contre la caisse de l’infortunée voiture.

— Ma carrosserie ! pleure le malheureux.

Bérurier secoue sa tête rageuse.

— Tu veux que je te dise, Pépère ? T’es possessif ! Avec toi c’est Mon dentier, Ma chienne, Ma voiture ! Ton prochain, tu te le carres dans l’oigne, hein, petit monstre ? On est là qu’on essaie de te sauver la mise, et toi tu rouscailles comme un paumé pour la préservance de ton capital. Tu vas pas dans le sens de l’histoire, mec ! Je veux bien qu’ici vous êtes en pleine châhterie et que c’est pas la démocratie qui vous empêche de dormir, mais quand même c’est écœurant à force.

Énervé, Alexandre-Benoît se met à champignonner ! L’auto bondit dans un grand tintinnabulage. On se pète la tronche au plafond. Prof hurle comme un damné. Il supplie qu’on lui donne un calmant, qu’on l’achève, ou du moins qu’on le dépose dans le grand désert ocre. C’est cacophonesque en diable comme équipée ! J’arrive pas à mater nos arrières à la lorgnette car ça tangue trop.

— Une fois qu’on aura contourné cette montagne, déclare le Dodu en montrant l’horizon, on sera paré et on pourra rattraper la route.

Seulement, il faut y parvenir. Le sol devient de plus en plus tourmenté. Il a l’air d’un immense tapis brosse, mais il cache des perfidies ! La tire détonne. Un pneu vient d’éclater. Avant que le Mastar ait réalisé la chose, on percute un rocher ! Paoum ! Tout l’avant se trouve bigorné !

— Il ne me reste plus qu’à mourir, soupire assez sobrement Mostaclaouhi.

— D’accord, envoie-nous un faire-part.

Dans le choc, le second pneu a éclaté.

— Je préfère, assure Béru, de la sorte on n’a pas besoin de changer la roue.

— Vous n’allez pas rouler sur les jantes ? demande frileusement le Persan.

— Qu’est-ce tu veux qu’on fasse d’autre ?