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— Comment êtes-vous venue ? Pas à bosse de dromadaire, je présume ?

Poupette part d’une exclamation super-britiche.

— Ahoooo, nooo ! Il m’a amenée sur son motocyclette !

— Parce qu’il a un motocyclette ! jubilé-je.

— Une Triumph de 500 cm3 culbutée à fourche télescopique, déclare fièrement la dame. C’était vertigineux, vraiment ! Vous n’avez jamais eu l’opportunité de faire de la motocyclette, cher ?

— Si, et je sens que je vais l’avoir à nouveau… Cela vous ennuierait-il de revenir à Ispahan avec moi ? J’aurais grand besoin de votre aide…

Elle fait miroiter ses dents de porcelaine.

— Grand fou !

Dans le dénuement où je me trouve, je n’en suis plus à un frisson près.

— Croyez-vous que cet enfant des douars consentira à me prêter sa moto ?

— Compte là-dessus, et bois de l’ab[16] fraîche, grommelle dans l’ombre le Casanova triganesque. Embarque la vieille si tu veux, mais t’avise pas de toucher à ma péteuse si t’as pas envie que je t’en plante vingt centimètres dans le bide !

— Ciel, mais vous parlez français !

— Ce serait malheureux, j’ai fait mes études de vétérinaire à Maisons-Alfort, dans la classe de chameaux du professeur Mabeldoche.

— Passionnant ! Je suis ravi de vous connaître, déclaré-je en lui tendant la main.

Machinalement il s’en saisit. Fatale confiance. D’un mouvement sec je l’attire à moi et lui place un sévère coup de boule entre les lampiards. Le jeune vétéromanichel devient mou, ce qui n’a rien de surprenant chez un garçon parvenu à bout de coït. Me reste plus qu’à le ficeler avec des liens de fortune.

Tout en bloquant ceux-ci à l’aide des nœuds de ma connaissance, je me fais votre interprète pour poser à ma gracieuse compagne une question aussi indiscrète que préoccupante.

— Douce amie, j’ai eu à maintes reprises l’occasion de vous voir accepter des hommages masculins et j’ai observé que vous adoptiez toujours pour les agréer la position à genoux, est-ce la conséquence d’un vœu ou cette coutume répond-elle aux préceptes d’une religion inconnue de moi ?

Dame Bitalaviock secoue ses frisettes ternes.

— Vous n’y êtes pas, cher, la raison en est des plus simple : lors de mon passage à Byblos, je me suis fracturée le coccyx en faisant l’amour avec une colonne dorique.

Malgré l’heure tardive au point d’en devenir matinale, une forte animation règne autour de l’hôtel Châh Abbas lorsque je coupe le moteur de la Triumph. La mère Tateburne reste cramponnée à moi de ses grands doigts palpeurs de slips. Elle a les jupes retroussées jusqu’au gosier et son énorme hangar à pauvre homme pend de chaque côté de la selle comme une paire de sacoches vides.

— Terminus, lui apprends-je, ça va être à vous de jouer, maintenant, fière belle.

Elle masse les quintuples bourrelets dévalant ses cuisses. Sa belle culotte de sujette anglaise est maculée par le pot d’échappement, aussi des curieux nocturnes s’assemblent-ils déjà pour admirer des choses peu exposées d’ordinaire en pays voilé.

— Je serais allée jusqu’au bout du monde, chuchote-t-elle en adoptant cette voix de gorge sans laquelle Mme Marlène Dietrich n’aurait été que ce que vous savez. Ah, mon fou ! Vous devez savoir faire vibrer une grande amoureuse, vous, je devine !

Des paniques me vrombissent dans le calbard. Vais-je devoir, pour sauver ma peau et les joyaux de la couronne d’Iran, escalader cette Anna Purna ? N’aurais-je donc vécu que pour cette nymphonie ? Tout comme un politicien confondu, je remets ma réponse aux prunes. L’astuce consiste à m’introduire dans la chambre de la vieille sans encombre.

— Ne surestimez pas mes talents, chère Caroline, modesté-je ; en amour, le comportement de chacun dépend de la chacune. Certaines peaux font chanter les sens, tandis que d’autres les rendent aphones, aussi n’échafaudons pas des délices prématurées. L’important, c’est que vous me permettiez d’entrer dans votre chambre sans être vu. Je vais essayer de m’introduire par effraction dans la piscine de l’hôtel et, de là dans les jardins. Attendez-moi près du petit pont en dos d’âne après avoir laissé ouverte votre porte-fenêtre. D’accord ?

— Vous me laissez le temps de me faire une beauté ? roucoule la colombe déplumée.

— Non, dis-je fermement, ce serait de la folie.

Et je m’ajoute en plein in petto : « Je n’ai pas l’éternité pour moi ! »

Entrer dans la piscine est d’autant plus fastoche qu’elle se trouve en réparation. Seulement j’ai une mauvaise surprise lorsque j’entrouvre la lourde donnant sur le jardin. Ce dernier est brillamment illuminé et une nombreuse troupe d’hommes en costumes régionaux y exécutent une manœuvre compliquée. Ils marchent en cadence, d’un pas britannouille, glissé, lent, morfondu. Un officier à turban galonné leur lance des ordres que les gus exécutent avec un ensemble presque parfait, à cela près que les derniers attaquent le mouvement des premiers à l’instant où ceux-ci débutent une autre manœuvre. Mais chacun sa spécialité, n’est-il pas vrai, et il n’est point permis à tous les peuples d’avoir du sirop de robot dans les pipe-lines, comme des que je connais et que je ne citerai pas ici afin de ne pas choquer mon traducteur londonien, ni mon éditeur allemand.

Sur moi donc, cette troupe s’avance (et porte sur son dos une malle d’assurances). Je me tapis (c’est le pays ou jamais) dans l’ombre d’une colonne, tandis que l’autre me défile à bout portant devant le pifo. Voilà des temps immémoriaux que j’ai pas croqué et je me sens les flubes branlants. Ça me grimpe à la pensarde comme un étourdissement consécutif à trop de soleil.

— Si de mon temps les garçons de mon régiment avaient défilé de la sorte, j’en aurais fait fusiller une bonne moitié, grince une voix, dans my back.

Le tout en anglais, of course. Décidément j’en sors pas. J’sais pas si vous l’avez remarqué, mais le rosbif continue de pulluler à travers le world. Tu fais un pas et tu tombes sur. T’enjambes, y en a encore. Partout : sur les places Saint-Marc (et de Thou), sur les marches des musées, dans les trains à la Cook et même dans des restaurants où l’on ne mange pas forcément de la merde.

L’individu qui vient de maugréer est un vieillard rectiligne et gris, à la peau crocodileuse, dont le teint est là pour attester que le Bordelais fut envahi par les Anglais jadis.

Je lui adresse un sourire.

— Major Aloïs Nervofcow, se présente-t-il. Vous ne trouvez pas cette pantomime effarante, vous ?

— Si, très beaucoup !

— L’homme ne sait plus défiler au pas. Il redevient singe, monsieur ! Bientôt il remarchera à quatre pattes ! Si je vous disais…

Son regard se durcit.

— Je ne passe plus devant Buckingham Palace. J’ai honte ! La relève de la garde, à présent ? Le Casino de Paris ! Le Palladium ! De l’opérette !

— Qui sont ces fantoches ?

Il émet un bruit de girouette.

— La garde du prince Anârchi. Il paraît que la résidence de ce bougre a brûlé aujourd’hui, en conséquence de quoi, le princelet est venu investir cet hôtel, profitant de ce qu’il est à peu près vide en cette saison.

Tiens, tiens ! Comme le hasard continue d’être grand ! Comme il est beau et généreux !

— Mais pourquoi diantre ces soldats…

— De carnaval, monsieur ! De carnaval…, m’interrompt Nervofcow.

— Pourquoi ces soldats de carnaval, docilé-je, manœuvrent-ils à cette heure induse ?

— Parce qu’ils participent après-demain aux festivités de Téhéran.

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16

Ab : eau en iranien.