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— Après-demain ?

— Vous n’avez jamais entendu parlé de la traditionnelle cérémonie annuelle du Châh Perchéh ?

— Non, j’ai beaucoup de soucis, et l’Iran n’en est même pas le cadet.

— Chaque année, le Châh monte sur le trône dans sa grande tenue de cour pour recevoir, entouré de sa famille, tous les membres de son gouvernement. À cette occasion il y a un grand défilé des délégations provinciales, appelé « Marche des Kûthéreû ». Vous en avez ici un exemple !

Il ricane :

— Quand je pense que ce gredin d’Anârchi se fait appeler le Juste et qu’il rêve du trône !

Pour le coup, quand j’entends cela, mes jambes se dérobent comme une putain consciencieuse.

— Anârchi est appelé le Juste ?

Le major Nervofcow me balaie de ses yeux anti-excrémentieux.

— Ah, ça, monsieur, vous êtes arrivé ici sans même lire un guide touristique ! Ignorez-vous qu’Anârchi est le petit cousin du beau-frère d’un ami de collège de Sa Majesté, et qu’à ce titre, il prétend avoir droit à la couronne ?

— Heu, eh bien, je…

— Ignorez-vous que le valeureux monarque qui règne en ce moment sur l’Iran a essuyé avec une peau de chamois plusieurs attentats ?

— En effet, je…

— Ignorez-vous qu’Anârchi mène une campagne sournoise dans le peuple pour discréditer son Châh et se faire à soi-même une réputation de Juste ? Il promet une répartition des biens nationaux, une attribution de pétrole à tout le monde, la télévision avec Lléhonzîthrôn en couleur dans chaque foyer, la photo en pied du général de Gaulle dans les écoles, des funérailles gratuites à tous ceux qui mourront de faim, l’eau courante dans les pissotières, la mise en exploitation du Désert salé par la maison Cérébos et un porte-clés à son effigie à tout électeur qui n’usera pas de son droit de vote. En réalité, l’odieux bonhomme est un filou qui a déjà promis les gisements pétrolifères du golfe Persique aux Russes, aux Chinois et aux Américains afin d’être soutenu par eux tous le cas échéant…

Je laisse discourir le bavard ex-officier afin de me couler jusqu’au petit pont où m’attend sa grosse compatriote.

— Je commençais à m’inquiéter, cher très cher, bafouille-t-elle en me capturant la main. Venez vite, la voie est libre à nos ivresses.

Parvenus dans la chambre, je tire les rideaux. La brave ogresse me regarde agir avec des yeux si proéminents qu’elle va devoir faire allonger les branches de ses lunettes s’ils ne se résorbent point.

Tout en me dégustant du regard, la v’là qui se dessape à gestes lents d’effeuilleuse professionnelle. Elle déboulonne son soutien-loloches et vingt-cinq kilos de bidoche en solde s’abattent sur son ventre.

— Un instant, bredouillé-je, si ça ne vous ennuie pas, Caroline série, je préférerais un sandwich au jambon, une bière et une communication téléphonique avec l’ambassade de France à Téhéran.

Comme je la vois se contrister, j’ajoute vivement.

— Avant que de me consacrer à votre bonheur, je veux prendre des forces et m’alléger l’esprit.

Pour le coup, son rayon intérieur se rebranche sur le 220.

Déjà elle tend la main vers le bigophone lorsqu’on sonne depuis le couloir. Un joli timbre, ma fois, feutré, mélodieux.

Mistress Bitalaviock va à la porte.

— Caisse ? demande-t-elle, commettant, vous l’aurez noté au passage, une grave confusion orthographique.

— Un message pour vous, madame ! répond la voix fluette d’un garçon de rez-de-chaussée (car ici nous ne sommes pas à l’étage).

Mémère, décontractée tout plein, open sa door sans méfiance.

Seulement moi, vous me connaissez, hein ? J’ai un solide instinct qui me fait différencier le coup de sonnette du laitier de celui de la gestapo. Tandis que la Gravosse déverrouille, je me jette à plat ventre et rampe prestement sous le lit. C’est classique, voire banal, mais ça rend encore des services.

— Messieurs ! De quoi s’agit-il ! Messieurs, que me voulez-vous ! Mais enfin, messieurs… Je vous en prie, ce n’est pas correct ! Je suis presque nue, messieurs !

Elle recule dans la pièce, tandis que des pieds s’avancent. Une demi-douzaine de pieds, capables d’assurer l’équilibre et le déplacement d’au moins trois personnes. Des pieds d’homme !

Un court silence suit les exclamations de la généreuse personne. Elle reprend, d’une voix franchement inquiète.

— Messieurs… que… signifie ! Mais qu’est-ce que vous me faites ?

Puis, plus rien. Il y a eu une brève bousculade. À la ronde des panards, je pige les péripéties de l’opération : on la fait asseoir sur le lit. On lui entrave les bras dans le dos, et on lui met un bâillon. Elle essaie encore de protester, mais ne formule plus que des grognements porcins.

Un sifflement, illico suivi d’un rude claquement. Tout le pucier en est ébranlé. V’là qu’on fouette maman Bourremoi, à c’t’heure. C’est peut-être pas fait pour lui déplaire, frénétique de fion comme je la sais. Un mec à branché la radio pour couvrir les détonations du fouet. Ça joue Merci pour tes fleurs précisément. La vieille soubresaute tant et plus sur le lit. Je morfle de sérieux coups de boudin dans le dossard.

Enfin la séance s’arrête. On baisse la radio. Quelqu’un décroche alors le téléphone. La standardiste doit le questionner en anglais car il répond dans cette belle langue.

— Passez-moi les appartements de Son Altesse !

Je crois vaguement reconnaître cette voix. Ah ! oui c’est celle du gros suifeux qui m’a fait le coup de la baignoire l’autre jour, dans l’établissement de bains.

— Allô ! Ici Ali Gâthorr, prévenez Son Altesse qu’elle peut descendre chambre 69, la personne est prête.

Il vient de dire « laissez-moi seul avec cette femme ».

J’en suis persuadé, bien qu’il ait lancé cet ordre en farci. Y a des intonations et des intentions qui ne trompent pas.

Effectivement, les trois tortionnaires sont sortis. Le prince, dont je ne connais pour l’instant que les pieds, vient de s’asseoir sur le lit, près de dame Bitalaviock. Il doit la mater d’un long regard scrutateur pour essayer de la fasciner.

Enfin il parle. Sa voix est douce, presque suave.

— Avant de vous ôter ce bâillon, je veux que vous m’écoutiez. J’ai quelques questions à vous poser et il faudra m’y répondre franchement sinon vous mourrez dans d’effroyables souffrances. J’aime faire souffrir.

Un léger gloussement. Je me dis qu’elle doit être de la rondelle dansante, l’Altesse. À cause de son petit rire énervé, de sa voix fluette. Des fois qu’il y a eu maldonne à la base et qu’on l’a déguisé en eunuque quand il était mouflet, ce bon prince. Par inadvertance. Un toubib miro, ou distrait. Viens par ici petit ! Cric, crac ! Oh ! pardon, mon chou, j’ai confondu avec tes amygdales ! Ça existe ! On a vu pire. Même dans les photos modernes, en pleine lumière, il s’en est passé des choses bizarres. Choc opératoire ! Tu parles, Georges ! Un coup de rapière malheureux ! Y t’défont l’ourlet. Ou bien ils découpent pas en suivant le pointillé. Des chirurgiens, j’en connais que j’abandonne, beurrés comme toute la Normandie à 4 plombes du mat au bord d’un trottoir. Ah ! je voudrais les voir découdre, trois ou quatre heures plus tard, en pleine gueule de bois, le regard tortillé façon boyau de course de rechange, la paluche glagla-tante. « Vous dites que je viens de heug… lui ablationner le foie au lieu de la rate ? Et alors ? C’est pas le premier qu’aura perdu la foi ! Elle est bonne, celle-là ! Et maintenant, tous en chœur : « Chevaliers de la table ronde, goûtons voir si le vin est bon… »

Textuel, je vous dis. Pendant ce temps, m’sieur Duconnard, il fait la planche à la surface de l’éternité, le coffret bourré de courants d’air. Sa veuve qui ignore encore qu’elle l’est — et donc ne peut se réjouir — fait semblant de se morfondre dans le couloir. « Ça s’est bien passé, docteur ? — Admirablement, mais il a une déformation congénitale de la tuyère centrale qui, hélas… » Le tour est joué !