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Faut toujours dans un livre comme celui de cette fois. Sinon il part en quenouille, s’alanguit ! Si t’as pas le duel du donjon à la fin, t’es marron. Tiens, oui, mince, j’aurais dû situer ma scène au sommet d’un minaret, vous croyez pas ? Ispahan à nos pieds ! La voix du muezzin pareille à celle de Fernand Reynaud : « Bourreaux d’enfints ! Bourreaux d’enfints ! » Qu’est-ce qu’on fait, on y grimpe ? Comment ? Vous êtes cardiaques. Merci de préviendre ; pas envie de vous voir canner pendant l’ascension. Bon, on reste dans la chambre de l’hôtel, d’ailleurs y a l’air conditionné.

— Donc, lui dis-je, au prince, en lui plaçant son taille-crayon sur la glotte (aucune importance, il est polyglotte), un cri et tu es mort !

Bath début de scène, non ?

Le prince me grimace un rictus comme on en voit aux envahisseurs turcs sur les gravures persanes.

Je cherche quelque chose de définitif à lui balancer, de bien marquant, qu’on pourra graver dans le marbre ou couler dans le bronze.

— Maintenant t’es marron, lui dis-je après mûres réflexions.

Puis, à la gentille Anglaise de plus en plus béante, je murmure :

— Douce amie, allez mettre le verrou à la porte, ensuite demandez au téléphone l’ambassade de France. Dites que c’est pour Son Altesse salopartissime. Il nous faut d’urgence la communication.

Jusque-là, ça ne se présente pas trop mal, hé ?

Docile, Mme Bitalaviock va lourder. Bon, c’est pas encore les coffres de la banque of England, comme sécurité, cette piaule, mais c’est déjà mieux que la ligne Maginot. En revenant, elle louche sur les attributs du prince, qui sont très exceptionnels, je le confirme ici, et pousse un soupir malheureux.

— Ah vous ! Vous, alors ! me sermonne-t-elle d’un index exigeur de revanche. Vous me la copyerez[17].

Puis, empoignant le bignou.

— Allô ! Take me l’Ambassade of France ! De la part from sa Majesty !

« How mutch d’attente ? About a quart of hour ? Tank’s très beaucoup[18] ! »

— Tu vas t’asseoir dans ce fauteuil, beau prince ! ordonné-je en attendant que j’obtienne la communication. Si tes sbires s’impatientent, calme-les. Je t’avertis solennellement qu’au moindre danger je te saignerai comme un goret ! Ne me mets pas à l’épreuve, il y va de ta triste vie !

Sans rechigner, Anârchi se lève et gagne le fauteuil par moi désigné.

— Tu es le frère de la pseudo Vahi, n’est-ce pas ? lui demandé-je.

Il ne répond pas, mais sa mimique s’accentue.

— Je t’en prie, sois décent et planque tes richesses, elles entretiennent chez Madame un grand désordre psychique, grondé-je, quelle impudeur ! Et quelle santé ! Conserver sa vigueur en ayant un rasoir sur la gorge, faut venir au pays d’Émile et Une Nuits pour voir ça.

À présent, mes lecteurs et chères trices, vous allez vivre l’instant le plus surprenant de toute la littérature, qu’elle soit classique, policière, érotique ou sous-préfectorale. On n’a jamais écrit ce qui va suivre depuis que l’homme pense, que le monde est perverti et que l’encre est encre. Rien n’approchant ne fut conçu. Vous pouvez lire Sainte-Beuve, Casanova, André Billy, Claude Farrère, Marguerite de la Pointe du Raz, la vie de 5-20-100 d’épaule, le Figaro Littéraire, l’œuvre de Jean Dutour, les Petites Affiches, la tant Con Tesdeségur, le Bottin, les Mémoires de Guerre du Général Biguenose, ceux du Cardinal de Retz (qu’on appelait le Retz du culte), vous pouvez lire « Le Chasseur Français », le catalogue de la Redoute, les journaux japonais, la rubrique philatélique de Jacqueline Caurat, la Bible, le Coran, le Kâma-Sûtra, le cahier des charges de votre immeuble, la Croix, la Bannière, votre livret de famille. Vous pouvez lire tout ce qui fut imprimé jusqu’à ce jour, aller déterrer des papyrus dans les sables égyptiens ou déchiffrer des hiéroglyphes au fond des cavernes les plus caverneuses, vous ne trouverez rien de similaire à ce qui va suivre d’un instant à l’autre ! Rien de comparable ! Rien d’approchant ! Rien qui le préfigure ! Je vais vous donner enfin du neuf. Monseigneur Huet, évêque d’Avranches prétendait déjà sous La Fontaine que tout avait été dit, et que ce qui est exprimable tiendrait en sept volumes s’il n’avait été exprimé qu’une seule fois ! Erreur, le brave prélat se mettait la crosse dans l’œil. Il restait encore une chose à dire. Ceux qui auraient le triste culot de prétendre avoir lu un truc semblable devront m’en apporter la preuve, et je leur offrirai des vacances au Creusot !

Mes paroles sont des actes, comme disait Anouilh. Revenons aux actes.

Tenez, je reprends un peu plus haut pour vous remettre dans le bath. Je vous resitue bien la scène. Mrs. Bitalaviock (qui peut de moins en moins s’asseoir) est debout près du téléphone. Le prince Anârchi vient de se poser dans le fauteuil ainsi que je le lui ai ordonné. Moi, je me tiens prudemment derrière lui, rasoir en main. Et, pudique à faire plaisir au curé de votre paroisse, je demande à l’Altesse de remiser sa tricotine-pur-nerf afin qu’on cesse de scabrer dans ces pages qui obtinrent toujours l’imprimatur de l’archivécé. Vous y êtes ? Hockey !

Semblant décidé à m’obéir en tout poing, le gars Anârchi porte la main sur son profuseur à voyous pour le remiser. Mais à cet instant il tire dessus d’un geste brutal et l’arrache.

Je prends un temps pour vous permettre de récupérer. Ça va mieux, ce vertige ?

Vous doutez de mes sens, pas vrai ? Vous vous dites, le San-A. sa cervelle fait roue libre ! Il a des vaperies pernicieuses, ou bien alors il veut nous éprouver, se rendre exactement compte du jusqu’où va notre connerie. À moins que ça débâcle dans sa tronche. Y a des lézardes, des fuites ! Il craquelle de la pensarde, le pauvre chou. Il est surexposé du bulbe, notre commissaire ! Il sait plus à quel saint Nichon se vouer ! Il calamité à force de vouloir épater.

Erreur, mes fils ! Je récuse ! M’inscris en faux !

Stoppez vos sarcasmes ! Arrachez de vos âmes l’herbe galeuse du doute ! Je vous dis la vérité, comme tout le temps. Rien que la vérité ! Telle quelle, à l’état brut. La vérité sans fard, la vérité sans phare, la vérité sans charre !

Le prince vient de s’extraire le tubuleur d’approche comme on sort un couteau de chasse de sa gaine.

J’ai le temps de comprendre (et qui ne le comprendrait) que son zifolard à tête gauloise n’est qu’une copie d’ancien. Un leurre, comme disent les pêcheurs !

Ça vous la coupe, à vous z’aussi, pas vrai, mes bons messieurs ! Un zifolet adaptable ! Votre rêve à la plupart ! Le goumanche qui s’emboîte ! Scout toujours prêt ! On vous remet ça, la patronne ! Et des commak, t’en as déjà senti passer ? Je suis en train de vous faire himalayer l’imagination, hein ? Je sème du rêve dans les kangourous. Le scoubidou interchangeable ! Reprise standard ! Tu te le fais vulcaniser en cas d’usure. Mince, c’est beau le progrès, tout de même ! T’as toutes les grandes prouesses à portée de reins. Suffit de faire semblant de grimper en danseuse, ton moteur deux temps travaille pour ta gloire !

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17

Comme on peut le constater, Mrs. Bitalaviock a employé ici le verbe copier : to copye en français moderne.

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18

Je préfère la faire parler ainsi car tout le monde comprend, et ça vous apprend l’anglais si vous ne le connaissez pas.