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— Hello ! lancé-je à ce dernier.

Il ne réagit pas. Sa main grêle continue le petit mouvement branlotteur. Clic-clic-clic-clic ! Vous parlez d’un turbin !

— Vous parlez anglais ? m’obstiné-je.

Il n’a pas la moindre réaction. Mes paroles, sans jeu de mots, semblent passer au-dessus de sa tête.

Après tout, peut-être qu’il ne connaît pas le britiche, cézigue ?

J’essaie du français, sans plus de succès. Comme je ne jacte pas la langue fârci (malgré les dispositions que les dames veulent bien me reconnaître) j’en conclus que nous ne pouvons correspondre que par gestes ou par le canal d’un traducteur. Las, je suis ligoté avec du fil de fer, et je n’ai pas le numéro de téléphone de l’école Berlitz sous la main. Force m’est donc de ronger mon frein.

En attendant des jours plus favorables à l’épanouissement de mes deltoïdes, je regarde tourniquer le dromadaire. Il va de son pas hésitant, toujours aux aguets, en dodelinant sa pauvre tête rendue plus grotesque encore par les œillères de paille dont on l’a affublé.

« Gling gling gling ! fait la chaîne du nain. »

La grosse roue pivote en émettant un crissement aigu par instants.

Bon, et si tu examinais un peu le topo, mon Grand ? Tes pieds nickelés se sont avisés de ta filature. De la manière fracassante que tu l’effectuais, rien d’étonnant à cela. Un aveugle paralytique, avec sa seule canne blanche, se serait aperçu qu’il était suivi ! Agacé par la découverte, Prof et son copain ont demandé à leurs potes d’ici d’intervenir et on t’a intercepté de manière pittoresque. Tant va la cruche à salaud qu’à la fin elle se casse !

Ce que je souhaiterais connaître, c’est leurs intentions à mon sujet. Vont-ils décider de me liquider ou se contenteront-ils de me neutraliser pendant la durée de leur turbin ici ?

Voyez-vous, moi, ce qui me chiffonne dans ce blitz, c’est l’attitude de Prof. Père tranquille farouchement établi dans sa sécurité, v’là qu’en prenant du carat, il joue les Charles le Téméraire, le papa Grinsky. Il largue bobonne, la maison à jardinet et zoum, il radine à Téhéran d’un coup d’aile pour y jouer les Capone ! Il se mouille jusqu’aux narines ! Un zig de son âge ! Ordinairement, arrivés dans ces parages de l’existence, ce sont plutôt les craqueurs qui se rangent, non ? J’aime pas buter sur des non-sens psychologiques.

Je ressens des cuissures au cuir chevelu. Probable que des morcifs de cruche me draguent par la tronche !

Elle devait être drôlement épaisse, la soupière du gars ! Oh ! pardon, ce coup de cymbale, mes frères ! Heureusement qu’elle m’a pas chinoisé sur le calcium, Félicie ! Des granulés au superphosphate, à la louche j’en ai bouffé. Et du fer, donc ! Et du phosphore ! Des platées d’épinards, mes filles. Des brochetons au beurre blanc !

Elle m’a drôlement fignolé, chimiquement, M’man ! Dosé comme une potion délicate, à la petite balance dont les poids ressemblent à des miettes de pain en cuivre ! L’huile de foie de morue ? Des barils ! Après, c’est les morues que je me tapais ! Le ricin, tenez ! Pour la mise à jour des tuyaux : radical ! J’ai eu droit à tous les tonifiants. Gobé des œufs frais pondus, entiflé des bolées de lait bourru, tâté de la quintonine, des sels de fruits, du sirop des Vosges, l’hiver… Et je vous passe le bon miel des Alpes. Un garnement comme bibi, s’il est baraqué Apollon et plus résistant que le béton armé, croyez-moi, sa vieille y est pour quelque chose. Elle l’a soigné comme une plante rare, son Antoine, ma douce mère. On peut se permettre d’être du mec surchoix au bout d’un traitement pareil ! Bains de tilleul, parfaitement ! Ouate thermogène au premier toussotement. Cataplasmes moutardés au moindre éternuement ! Un velours ! J’eusse été bourrin, je devenais le super grand crack à ce régime-là. Toutou, je gagnais tous les concours !

Le bruit de chaîne s’arrête. Par contrecoup, le chameau aussi. Je me tortille pour mieux mater en direction du nain et je vois entrer deux femmes, deux vraies cette fois, drapées dans de longues étoffes sombres. Elles coltinent une grande manne d’osier, vide si j’en crois la manière désinvolte dont elles la trimbalent.

Elles en cassent pas une broque au nabot et descendent l’escalier pour venir à moi.

Ayant déposé la grande corbeille, dans le safran, ces dames se voilent pudiquement la face, ensuite de quoi elles me cramponnent qui par les pinceaux, qui aux épaules et me déposent dans leur panier. Le couvercle se rabat. Good night.

Ils ont beau bouffer que du lait caillé, dans ce pays, les gonzesses y sont costaudes. Comme un édredon, elles se l’embarquent, le beau San-A. ! Mettons comme un ballot de linge propre, quoi !

À travers les mailles d’osier de la manne (qui n’a pour mézigue rien de céleste) je peux mater un vague tantinet le paysage. Il n’est pas joyce ! Les deux rombières a biscoteaux me drivent dans une arrière-cour pétante de soleil où des oripeaux sèchent sur des bouts de bois placés en faisceau. Elles traversent ensuite un grand local obscur. J’ai plus de mal à distinguer les lieux, pourtant, grâce à mon regard de lynx élevé aux Quinze-Vingt, j’aperçois des bonshommes accroupis, occupés à imprimer des étoffes à l’aide de grosses empreintes de bois sur lesquelles ils frappent du tranchant de leur main capitonnée.

Personne ne lève les chasses de son turf au passage des deux dames. On gravit quelques marches. La clarté revient, accompagnée d’une âcre odeur de lessive. Ça sent la vapeur crasseuse, le méchant savon, le vieux linge moisi.

Ces dames me déposent et s’en vont. Je parviens pas à retapisser le topo, because mon regard est orienté face à un mur peint en bleu. À force de trémoussements et de tire-bouchonnages je parviens à modifier ma position. Justement y a un gros trou dans la paroi de la malloche et j’ai une vue générale du local. Impensable ! Ma parole, je dois rêver tout ça. Ils m’ont camé, c’est pas possible !

V’la que je me trouve dans un établissement de bain extrêmement primitif. Çà et là des espèces de cuves limoneuses sont creusées dans le sol. Lequel sol comporte des différences de niveau. Sur le plus élevé, j’avise un vieux type qui se trempe les pinceaux dans l’une des fosses après avoir retroussé le bas de son pantalon. Plus près de moi, sur la gauche, un autre vieillard est assis, les jambes écartées, les mains posées à plat dans son dos pour maintenir son équilibre, cependant qu’un bonhomme au torse ceint d’une serviette-éponge rouge lui rase la tête au moyen d’un formidable coupe-chou. Ahurissant, éberluant.

Malgré ma situation je ne peux pas m’empêcher de me fendre la cerise à la vue de cette scène burlesque. C’est tellement loin de mon problème que je doute de mes sens, comprenez-vous ? D’abord le chameau avec le nain, et puis maintenant ces vieux qui se décamotent les nougats ou se font permanenter à la Yul dans ce hammâm, non, je vous jure, ça paraît dingue tout plein.