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Son cou sortait d’un col blanc, rabattu. Ses cheveux, dont les deux bandeaux noirs semblaient chacun d’un seul morceau, tant ils étaient lisses, étaient séparés sur le milieu de la tête par une raie fine, qui s’enfonçait légèrement selon la courbe du crâne; et, laissant voir à peine le bout de l’oreille, ils allaient se confondre par derrière en un chignon abondant, avec un mouvement ondé vers les tempes, que le médecin de campagne remarqua là pour la première fois de sa vie. Ses pommettes étaient roses. Elle portait, comme un homme, passé entre deux boutons de son corsage, un lorgnon d’écaille.

Quand Charles, après être monté dire adieu au père Rouault, rentra dans la salle avant de partir, il la trouva debout, le front contre la fenêtre, et qui regardait dans le jardin, où les échalas des haricots avaient été renversés par le vent. Elle se retourna.

– Cherchez-vous quelque chose? demanda-t-elle.

– Ma cravache, s’il vous plaît, répondit-il.

Et il se mit à fureter sur le lit, derrière les portes, sous les chaises; elle était tombée à terre, entre les sacs et la muraille. Mademoiselle Emma l’aperçut; elle se pencha sur les sacs de blé. Charles, par galanterie, se précipita et, comme il allongeait aussi son bras dans le même mouvement, il sentit sa poitrine effleurer le dos de la jeune fille, courbée sous lui. Elle se redressa toute rouge et le regarda par-dessus l’épaule, en lui tendant son nerf de bœuf.

Au lieu de revenir aux Bertaux trois jours après, comme il l’avait promis, c’est le lendemain même qu’il y retourna, puis deux fois la semaine régulièrement, sans compter les visites inattendues qu’il faisait de temps à autre, comme par mégarde.

Tout, du reste, alla bien; la guérison s’établit selon les règles, et quand, au bout de quarante-six jours, on vit le père Rouault qui s’essayait à marcher seul dans sa masure, on commença à considérer M. Bovary comme un homme de grande capacité. Le père Rouault disait qu’il n’aurait pas été mieux guéri par les premiers médecins d’Yvetot ou même de Rouen.

Quant à Charles, il ne chercha point à se demander pourquoi il venait aux Bertaux avec plaisir. Y eût-il songé, qu’il aurait sans doute attribué son zèle à la gravité du cas, ou peut-être au profit qu’il en espérait. Était-ce pour cela, cependant, que ses visites à la ferme faisaient, parmi les pauvres occupations de sa vie, une exception charmante? Ces jours-là il se levait de bonne heure, partait au galop, poussait sa bête, puis il descendait pour s’essuyer les pieds sur l’herbe, et passait ses gants noirs avant d’entrer. Il aimait à se voir arriver dans la cour, à sentir contre son épaule la barrière qui tournait, et le coq qui chantait sur le mur, les garçons qui venaient à sa rencontre. Il aimait la grange et les écuries; il aimait le père Rouault; qui lui tapait dans la main en l’appelant son sauveur; il aimait les petits sabots de mademoiselle Emma sur les dalles lavées de la cuisine; ses talons hauts la grandissaient un peu, et, quand elle marchait devant lui, les semelles de bois, se relevant vite, claquaient avec un bruit sec contre le cuir de la bottine.

Elle le reconduisait toujours jusqu’à la première marche du perron. Lorsqu’on n’avait pas encore amené son cheval, elle restait là. On s’était dit adieu, on ne parlait plus; le grand air l’entourait, levant pêle-mêle les petits cheveux follets de sa nuque, ou secouant sur sa hanche les cordons de son tablier, qui se tortillaient comme des banderoles. Une fois, par un temps de dégel, l’écorce des arbres suintait dans la cour, la neige sur les couvertures des bâtiments se fondait. Elle était sur le seuil; elle alla chercher son ombrelle, elle l’ouvrit. L’ombrelle, de soie gorge de pigeon, que traversait le soleil, éclairait de reflets mobiles la peau blanche de sa figure. Elle souriait là-dessous à la chaleur tiède; et on entendait les gouttes d’eau, une à une, tomber sur la moire tendue.

Dans les premiers temps que Charles fréquentait les Bertaux, madame Bovary jeune ne manquait pas de s’informer du malade, et même sur le livre qu’elle tenait en partie double, elle avait choisi pour M. Rouault une belle page blanche. Mais quand elle sut qu’il avait une fille, elle alla aux informations; et elle apprit que mademoiselle Rouault, élevée au couvent, chez les Ursulines, avait reçu, comme on dit, une belle éducation, qu’elle savait, en conséquence, la danse, la géographie, le dessin, faire de la tapisserie et toucher du piano. Ce fut le comble!

– C’est donc pour cela, se disait-elle, qu’il a la figure si épanouie quand il va la voir, et qu’il met son gilet neuf, au risque de l’abîmer à la pluie? Ah! cette femme! cette femme!…

Et elle la détesta, d’instinct. D’abord, elle se soulagea par des allusions, Charles ne les comprit pas; ensuite, par des réflexions incidentes qu’il laissait passer de peur de l’orage; enfin, par des apostrophes à brûle-pourpoint auxquelles il ne savait que répondre.

– D’où vient qu’il retournait aux Bertaux, puisque M. Rouault était guéri et que ces gens-là n’avaient pas encore payé? Ah! c’est qu’il y avait là-bas une personne, quelqu’un qui savait causer, une brodeuse, un bel esprit. C’était là ce qu’il aimait: il lui fallait des demoiselles de ville! – Et elle reprenait:

– La fille au père Rouault, une demoiselle de ville! Allons donc! leur grand-père était berger, et ils ont un cousin qui a failli passer par les assises pour un mauvais coup, dans une dispute. Ce n’est pas la peine de faire tant de fla-fla, ni de se montrer le dimanche à l’église avec une robe de soie, comme une comtesse. Pauvre bonhomme, d’ailleurs, qui sans les colzas de l’an passé, eût été bien embarrassé de payer ses arrérages!

Par lassitude, Charles cessa de retourner aux Bertaux. Héloïse lui avait fait jurer qu’il n’irait plus, la main sur son livre de messe, après beaucoup de sanglots et de baisers, dans une grande explosion d’amour. Il obéit donc; mais la hardiesse de son désir protesta contre la servilité de sa conduite, et, par une sorte d’hypocrisie naïve, il estima que cette défense de la voir était pour lui comme un droit de l’aimer. Et puis la veuve était maigre; elle avait les dents longues; elle portait en toute saison un petit châle noir dont la pointe lui descendait entre les omoplates; sa taille dure était engainée dans des robes en façon de fourreau, trop courtes, qui découvraient ses chevilles, avec les rubans de ses souliers larges s’entrecroisant sur des bas gris.

La mère de Charles venait les voir de temps à autre; mais, au bout de quelques jours, la bru semblait l’aiguiser à son fil; et alors, comme deux couteaux, elles étaient à le scarifier par leurs réflexions et leurs observations. Il avait tort de tant manger! Pourquoi toujours offrir la goutte au premier venu? Quel entêtement que de ne pas vouloir porter de flanelle!

Il arriva qu’au commencement du printemps, un notaire d’Ingouville, détenteur de fonds de la veuve Dubuc, s’embarqua, par une belle marée, emportant avec lui tout l’argent de son étude. Héloïse, il est vrai, possédait encore, outre une part de bateau évaluée six mille francs, sa maison de la rue Saint-François; et cependant, de toute cette fortune que l’on avait fait sonner si haut, rien, si ce n’est un peu de mobilier et quelques nippes, n’avait paru dans le ménage. Il fallut tirer la chose au clair. La maison de Dieppe se trouva vermoulue d’hypothèques jusque dans ses pilotis; ce qu’elle avait mis chez le notaire, Dieu seul le savait, et la part de barque n’excéda point mille écus. Elle avait donc menti, la bonne dame! Dans son exaspération, M. Bovary père, brisant une chaise contre les pavés, accusa sa femme d’avoir fait le malheur de leur fils en l’attelant à une haridelle semblable, dont les harnais ne valaient pas la peau. Ils vinrent à Tostes. On s’expliqua. Il y eut des scènes. Héloïse, en pleurs, se jetant dans les bras de son mari, le conjura de la défendre de ses parents. Charles voulut parler pour elle. Ceux-ci se fâchèrent, et ils partirent.