Je me suis figuré bien souvent l’endroit qu’elle habite, le costume qu’elle porte, les yeux et les cheveux qu’elle a. – J’entends sa voix; je reconnaîtrais son pas entre mille autres, et si, par hasard, quelqu’un prononçait son nom, je me retournerais; il est impossible qu’elle n’ait pas un des cinq ou six noms que je lui ai assignés dans ma tête.
– Elle a vingt-six ans, pas plus, ni moins non plus. – Elle n’est plus ignorante, et n’est pas encore blasée. C’est un âge charmant pour faire l’amour comme il faut, sans puérilité et sans libertinage. – Elle est d’une taille moyenne. Je n’aime pas une géante ni une naine. Je veux pouvoir porter tout seul ma déité du sofa au lit; mais il me déplairait de l’y chercher. Il faut que, se haussant un peu sur la pointe du pied, sa bouche soit à la hauteur de mon baiser. C’est la bonne taille. Quant à son embonpoint, elle est plutôt grasse que maigre. Je suis un peu Turc sur ce point, et il ne me plairait guère de rencontrer une arête où je cherche un contour; il faut que la peau d’une femme soit bien remplie, sa chair dure et ferme comme la pulpe d’une pêche un peu verte: c’est exactement ainsi qu’est faite la maîtresse que j’aurai. Elle est blonde avec des yeux noirs, blanche comme une blonde, colorée comme une brune, quelque chose de rouge et de scintillant dans le sourire. La lèvre inférieure un peu large, la prunelle nageant dans un flot d’humide radical, la gorge ronde et petite, et en arrêt, les poignets minces, les mains longues et potelées, la démarche onduleuse comme une couleuvre debout sur sa queue, les hanches étoffées et mouvantes, l’épaule large, le derrière du cou couvert de duvet: – un caractère de beauté fin et ferme à la fois, élégant et vivace, poétique et réel; un motif de Giorgione exécuté par Rubens.
Voici son costume: elle porte une robe de velours écarlate ou noir avec des crevés de satin blanc ou de toile d’argent, un corsage ouvert, une grande fraise à la Médicis, un chapeau de feutre capricieusement rompu comme celui d’Héléna Systerman, et de longues plumes blanches frisées et crespelées, une chaîne d’or ou une rivière de diamants au cou, et quantité de grosses bagues de différents émaux à tous les doigts des mains.
Je ne lui ferais pas grâce d’un anneau ou d’un bracelet. Il faut que la robe soit littéralement en velours ou en brocart; c’est tout au plus si je lui permettrais de descendre jusqu’au satin. J’aime mieux chiffonner une jupe de soie qu’une jupe de toile, et faire tomber d’une tête des perles ou des plumes que des fleurs naturelles ou un simple nœud: je sais que la doublure de la jupe de toile est souvent aussi appétissante au moins que la doublure de la jupe de soie; mais je préfère la jupe de soie. – Aussi, dans mes rêveries, je me suis donné pour maîtresse bien des reines, bien des impératrices, bien des princesses, bien des sultanes, bien des courtisanes célèbres, mais jamais des bourgeoises ou des bergères; et dans mes désirs les plus vagabonds, je n’ai abusé de personne sur un tapis de gazon ou dans un lit de serge d’Aumale. Je trouve que la beauté est un diamant qui doit être monté et enchâssé dans l’or. Je ne conçois pas une belle femme qui n’ait pas voiture, chevaux, laquais et tout ce qu’on a avec cent mille francs de rente: il y a une harmonie entre la beauté et la richesse. L’une demande l’autre: un joli pied appelle un joli soulier? un joli soulier appelle des tapis et une voiture, et ce qui s’ensuit. Une belle femme avec de pauvres habits dans une vilaine maison est, selon moi, le spectacle le plus pénible qu’on puisse voir, et je ne saurais avoir d’amour pour elle. Il n’y a que les beaux et les riches qui puissent être amoureux sans être ridicules ou à plaindre. – À ce compte, peu de gens auraient le droit d’être amoureux: moi-même, tout le premier, je serais exclu; cependant c’est là mon opinion.
Ce sera le soir que nous nous rencontrerons pour la première fois, – par un beau coucher de soleil; – le ciel aura de ces tons orangés jaune clair et vert pâle que l’on voit dans quelques tableaux des grands maîtres d’autrefois: il y aura une grande allée de châtaigniers en fleurs et d’ormes séculaires tout couverts de ramiers, – de beaux arbres d’un vert frais et sombre, des ombrages pleins de mystères et de moiteur; çà et là quelques statues, quelques vases de marbre se détachant sur le fond de verdure avec leur blancheur de neige, une pièce d’eau où se joue le cygne familier, – et tout au fond un château de briques et de pierres comme du temps de Henri IV, toit d’ardoises pointu, hautes cheminées, girouettes à tous les pignons, fenêtres étroites et longues. – À une de ces fenêtres, mélancoliquement appuyée sur le balcon, la reine de mon âme dans l’équipage que je t’ai décrit tout à l’heure; – derrière elle un petit nègre tenant son éventail et sa perruche. – Tu vois qu’il n’y manque rien, et que tout cela est parfaitement absurde. – La belle laisse tomber son gant; – je le ramasse, le baise et le rapporte. La conversation s’engage; je montre tout l’esprit que je n’ai pas; je dis des choses charmantes; on m’en répond, je réplique, c’est un feu d’artifice, une pluie lumineuse de mots éblouissants. – Bref, je suis adorable – et adoré. – Vient l’heure du souper, on me convie; – j’accepte. – Quel souper, mon cher ami, et quelle cuisinière que mon imagination! – Le vin rit dans le cristal, le faisan doré et blond fume dans un plat armorié: le festin se prolonge bien avant dans la nuit, et tu penses bien que ce n’est pas chez moi que je la termine. – Ne voilà-t-il pas quelque chose de bien imaginé? – Rien au monde n’est plus simple, et, en vérité, il est bien étonnant que cela ne soit pas arrivé plutôt dix fois qu’une.
Quelquefois c’est dans une grande forêt. – Voilà la chasse qui passe; le cor sonne, la meute aboie et traverse le chemin avec la rapidité de l’éclair; la belle en amazone monte un cheval turc, blanc comme le lait, fringant et vif au possible. Bien qu’elle soit excellente écuyère, il piaffe, il caracole, il se cabre, et elle a toutes les peines du monde à le contenir; il prend le mors aux dents et la mène droit à un précipice. Je tombe là du ciel tout exprès, je retiens le cheval, je prends dans mes bras la princesse évanouie, je la fais revenir à elle et la reconduis à son château. Quelle est la femme bien née qui refuserait son cœur à un homme qui a exposé sa vie pour elle? – aucune; – et la reconnaissance est un chemin de traverse qui mène bien vite à l’amour.
– Tu conviendras au moins que, lorsque je donne dans le romanesque, ce n’est pas à demi, et que je suis aussi fou qu’il est possible de l’être. C’est toujours cela, car rien au monde n’est plus maussade qu’une folie raisonnable. Tu conviendras aussi que, lorsque j’écris des lettres, ce sont plutôt des volumes que de simples billets. En tout j’aime ce qui dépasse les bornes ordinaires. – C’est pourquoi je t’aime. Ne te moque pas trop de toutes les niaiseries que je t’ai griffonnées: je quitte la plume pour les mettre en action; car j’en reviens toujours à mon refrain: – je veux avoir une maîtresse. J’ignore si ce sera la dame du parc, la beauté du balcon, mais je te dis adieu pour me mettre en quête. Ma résolution est prise. Dût celle que je cherche se cacher au fond du royaume de Cathay ou de Samarcande, je la saurai bien dénicher. Je te ferai savoir le succès de mon entreprise ou sa non-réussite. J’espère que ce sera le succès: fais des vœux pour moi, mon cher ami. Quant à moi, je m’habille de mon plus bel habit, et sors de la maison bien décidé à n’y rentrer qu’avec une maîtresse selon mes idées. – J’ai assez rêvé; à l’action maintenant.