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Je les regardais d’un air sombre et furieux, qui aura dû leur paraître bien singulier. – Après tout, j’avais tort de me mettre si fort en colère contre eux, car ils m’avaient rendu, sans le vouloir, le service de couper mon plaisir à point, au moment où, par son intensité même, il allait devenir une douleur ou s’affaisser sous sa violence. – C’est une science que l’on ne regarde pas avec tout le respect qu’on lui doit que celle de s’arrêter à temps. – Quelquefois, en étant couché avec une femme, on lui passe le bras sous la taille: c’est d’abord une grande volupté de sentir la tiède chaleur de son corps, la chair douce et veloutée de ses reins, l’ivoire poli de ses flancs et de refermer sa main sur sa gorge qui se dresse et frissonne. – La belle s’endort dans cette position amoureuse et charmante; la cambrure de ses reins devient moins prononcée; sa gorge s’apaise; son flanc est soulevé par la respiration plus large et plus régulière du sommeil; ses muscles se dénouent, sa tête roule dans ses cheveux. – Cependant votre bras est plus pressé, vous commencez à vous apercevoir que c’est une femme et non pas une sylphide: – mais vous n’ôteriez votre bras pour rien au monde, il y a beaucoup de raisons pour cela: la première, c’est qu’il est assez dangereux de réveiller une femme avec qui l’on est couché; il faut être en état de substituer au rêve délicieux qu’elle fait sans doute une réalité encore plus délicieuse; la seconde, c’est qu’en la priant de se soulever pour retirer votre bras vous lui dites d’une manière indirecte qu’elle est lourde et qu’elle vous gêne, ce qui n’est pas honnête, ou bien vous lui faites entendre que vous êtes faible ou fatigué, chose extrêmement humiliante pour vous et qui vous nuira infiniment dans son esprit; – la troisième est que, comme l’on a eu du plaisir dans cette position, l’on croit qu’en la gardant on pourra en éprouver encore, en quoi l’on se trompe. – Le pauvre bras se trouve pris sous la masse qui l’opprime, le sang s’arrête, les nerfs sont tiraillés, et l’engourdissement vous picote avec ses millions d’aiguilles: vous êtes une manière de petit Milon Crotoniate, et le matelas de votre lit et le dos de votre divinité représentent assez exactement les deux parties de l’arbre qui se sont rejointes. – Le jour vient enfin, qui vous délivre de ce martyre, et vous sautez à bas de ce chevalet avec plus d’empressement qu’aucun mari n’en met à descendre de l’échafaud nuptial.

Ceci est l’histoire de bien des passions.

– C’est celle de tous les plaisirs.

Quoi qu’il en soit, – malgré l’interruption ou à cause de l’interruption, jamais volupté pareille n’a passé sur ma tête: je me sentais réellement un autre. L’âme de Rosette était entrée tout entière dans mon corps. – Mon âme m’avait quitté et remplissait son cœur comme son âme à elle remplissait le mien. – Sans doute, elles s’étaient rencontrées au passage dans ce long baiser équestre, comme Rosette l’a appelé depuis (ce qui m’a fâché par parenthèse), et s’étaient traversées et confondues aussi intimement que le peuvent faire les âmes de deux créatures mortelles sur un grain de boue périssable.

Les anges doivent assurément s’embrasser ainsi, et le vrai paradis n’est pas au ciel, mais sur la bouche d’une personne aimée.

J’ai attendu vainement une minute pareille, et j’en ai sans succès provoqué le retour. Nous avons été bien souvent nous promener à cheval dans l’allée du bois, par de beaux couchers de soleil; les arbres avaient la même verdure, les oiseaux chantaient la même chanson, mais nous trouvions le soleil terne, le feuillage jauni: le chant des oiseaux nous paraissait aigre et discordant, l’harmonie n’était plus en nous. Nous avons mis nos chevaux au pas, et nous avons essayé le même baiser. – Hélas! nos lèvres seules se joignaient, et ce n’était que le spectre de l’ancien baiser. – Le beau, le sublime, le divin, le seul vrai baiser que j’aie donné et reçu en ma vie était envolé à tout jamais. – Depuis ce jour-là je suis toujours revenu du bois avec un fond de tristesse inexprimable. – Rosette, toute gaie et folâtre qu’elle soit habituellement, ne peut échapper à cette impression, et sa rêverie se trahit par une petite moue délicatement plissée qui vaut au moins son sourire.

Il n’y a guère que la fumée du vin et le grand éclat des bougies qui me puissent faire revenir de ces mélancolies-là. Nous buvons tous les deux comme des condamnés à mort, silencieusement et coup sur coup, jusqu’à ce que nous ayons atteint la dose qu’il nous faut; alors nous commençons à rire et à nous moquer du meilleur cœur de ce que nous appelons notre sentimentalité.

Nous rions, – parce que nous ne pouvons pleurer. – Ah! qui pourra faire germer une larme au fond de mon œil tari?

Pourquoi ai-je eu tant de plaisir ce soir-là? Il me serait bien difficile de le dire. J’étais pourtant le même homme, Rosette la même femme. Ce n’était pas la première fois que je me promenais à cheval, ni elle non plus. Nous avions déjà vu se coucher le soleil, et ce spectacle ne nous a pas autrement touchés que la vue d’un tableau que l’on admire, selon que les couleurs en sont plus ou moins brillantes. Il y a plus d’une allée d’ormes et de marronniers dans le monde, et celle-là n’était pas la première que nous parcourions; qui donc nous y a fait trouver un charme si souverain, qui métamorphosait les feuilles mortes en topazes, les feuilles vertes en émeraudes, qui avait doré tous ces atomes voltigeants, et changé en perles toutes ces gouttes d’eau égrenées sur la pelouse, qui donnait une harmonie si douce aux sons d’une cloche habituellement discordante, et aux piaillements de je ne sais quels oisillons? – Il fallait qu’il y eût dans l’air une poésie bien pénétrante puisque nos chevaux mêmes paraissaient la sentir.

Rien au monde cependant n’était plus pastoral et plus simple: quelques arbres, quelques nuages, cinq ou six brins de serpolet, une femme et un rayon de soleil brochant sur le tout comme un chevron d’or sur un blason. – Il n’y avait d’ailleurs, dans ma sensation, ni surprise ni étonnement. Je me reconnaissais bien. Je n’étais jamais venu dans cet endroit, mais je me rappelais parfaitement et la forme des feuilles et la position des nuées, cette colombe blanche qui traversait le ciel, s’envolait dans la même direction; cette petite cloche argentine, que j’entendais pour la première fois, avait bien souvent tinté à mon oreille, et sa voix me semblait une voix d’amie; j’avais, sans y être jamais passé, parcouru cette allée bien des fois avec des princesses montées sur des licornes; les plus voluptueux de mes rêves s’y allaient promener tous les soirs, et mes désirs s’y étaient donné des baisers absolument pareils à celui échangé par moi et Rosette. – Ce baiser n’avait rien de nouveau pour moi; mais il était tel que j’avais pensé qu’il serait. C’est peut-être la seule fois de ma vie que je n’ai pas été désappointé, et que la réalité m’a paru aussi belle que l’idéal. – Si je pouvais trouver une femme, un paysage, une architecture, quelque chose qui répondit à mon désir intime aussi parfaitement que cette minute-là a répondu à la minute que j’avais rêvée, je n’aurais rien à envier aux dieux, et je renoncerais très volontiers à ma stalle du paradis. – Mais, en vérité, je ne crois pas qu’un homme de chair pût résister une heure à des voluptés si pénétrantes; deux baisers comme cela pomperaient une existence entière, et feraient vide complet dans une âme et dans un corps. – Ce n’est pas cette considération-là qui m’arrêterait; car, ne pouvant prolonger ma vie indéfiniment, il m’est égal de mourir, et j’aimerais mieux mourir de plaisir que de vieillesse ou d’ennui. Mais cette femme n’existe pas. – Si, elle existe; – je n’en suis peut-être séparé que par une cloison. – Je l’ai peut-être coudoyée hier ou aujourd’hui.